Tribune
Le secrétaire général de Renaissance s’adresse, dans une tribune au « Monde », aux leaders de la gauche républicaine – sans La France insoumise –, aux indépendants et aux Républicains pour chercher, par le dialogue et le compromis, un gouvernement et une feuille de route à la France.
Le Monde - 9 juillet 2024 - Par Stéphane Séjourné*, secrétaire général de Renaissance
Les résultats des élections législatives ont produit une situation inédite dans l’histoire de la Ve République : au lendemain du scrutin, aucune majorité claire ne se dégage pour notre pays.
Malgré la confusion qui règne, les électeurs ont été clairs sur trois points. Premièrement, ils ont décidé que le bloc d’extrême droite était disqualifié pour gouverner. Non seulement il finit troisième, mais les électeurs se sont massivement mobilisés pour lui faire barrage. Je note d’ailleurs qu’eux-mêmes ne prétendent pas désormais à autre chose qu’à l’opposition.
Deuxièmement, aucun des trois blocs arrivés en tête ne peut gouverner seul. Il n’y a pas de mandat populaire pour l’application intégrale d’un programme de gouvernement de l’un des trois blocs. Cela vaut pour Ensemble pour la République comme pour le Nouveau Front populaire, tous deux à plus de 100 sièges de la majorité absolue.
Une majorité de projets
Troisièmement, pour donner un gouvernement à la France, il faudra que les forces politiques hier adverses entament des discussions pour former une majorité de projets. Cet objectif implique que chaque force politique pose ses conditions mais aussi accepte celles de ses concurrents. C’est le principe même de la coalition parlementaire et le quotidien de la quasi-totalité des démocraties européennes.
Pourtant, depuis dimanche, le Nouveau Front populaire fonce tête baissée, comme si aucune de ces réalités démocratiques n’existait.
Ils veulent appliquer leur programme comme s’ils avaient une majorité pour le faire. Ils prétendent désigner le premier ministre, comme si celui-ci avait, de manière automatique, le soutien de la majorité de l’Hémicycle sans discussion préalable sur sa feuille de route ou ses priorités. Ils évoquent même des 49.3 d’abrogation et une gouvernance par décrets.
Les mêmes qui conspuaient « la minorité présidentielle » de 250 sièges en 2022 sont aujourd’hui les premiers à prétendre disposer de tous les pouvoirs avec 182 sièges seulement ! Le Nouveau Front populaire n’est pas au-dessus de la démocratie parlementaire.
Imagine-t-on une seconde le social-démocrate Olaf Scholz, le soir de l’élection de ses 207 députés sur les 700 du Bundestag, faire comme si les autres forces politiques n’existaient pas ? Dans quelle démocratie la coalition arrivée en tête prétend gouverner avec un tiers des sièges de son Parlement ? Dans quelle pensée magique s’est enfermée la gauche pour croire posséder un droit absolu de dicter le tempo de la démocratie française ?
Il faut être réaliste
Soyons clairs, je ne conteste pas la possibilité pour la gauche républicaine de gouverner ou de participer à un gouvernement. Mais à 100 sièges de la majorité absolue, à 14 sièges d’écart avec le bloc central (qui est plus large que EELV et le PS réunis), il faut être réaliste.
En Europe, cette règle s’applique à tous les camps. Les gouvernements socialistes comme celui de Pedro Sanchez tout comme les coalitions allant de la droite à l’extrême droite n’ont jamais prétendu gouverner sans majorité.
Regardons nos amis polonais ! Quatre forces politiques concurrentes – de gauche, du centre et de droite – ont gagné l’année dernière contre l’extrême droite. Aucune d’elles n’a prétendu gouverner seule. Aujourd’hui, le gouvernement démocrate de Donald Tusk est composé de ces quatre forces.
Le bloc central est prêt à discuter avec tous les membres de l’arc républicain – des écologistes aux Républicains. Nos conditions préalables doivent être affinées, mais nos lignes rouges sont connues : soutien à l’Europe et à l’Ukraine, aucune compromission sur la laïcité et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, accélération de la transition écologique, la sécurité comme priorité gouvernementale, et le maintien de la politique d’attractivité économique. Cela exclut nécessairement Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise de l’équation gouvernementale.
Nous devrons tout faire pour réussir
Mais, aujourd’hui, aucune porte ne s’est ouverte. Le Nouveau Front populaire pense qu’il gagnera la bataille de l’opinion et forcera nos élus à ne pas censurer son gouvernement. C’est oublier que nos électeurs leur ont donné leurs voix pour empêcher les extrêmes de gouverner. C’est oublier que les Français attendent un comportement responsable et exemplaire de leurs représentants. C’est oublier que le bloc central a réuni des millions de votants dès le premier tour sur une base programmatique claire qui doit être représentée. C’est oublier, enfin, que la démocratie parlementaire a ses règles et que ceux qui la bafouent s’en relèvent rarement.
Je le dis aussi aux leaders de la gauche républicaine comme aux indépendants et aux Républicains : un autre chemin est possible. Un chemin où, par le dialogue et le compromis, nous pouvons donner un gouvernement et une feuille de route à la France.
Peut-être que nous n’y arriverons pas, peut-être que nos divergences sont trop fortes, mais la France vaut bien cet effort. Nous devrons tout faire pour réussir.
Il faut que chacun le comprenne : nous ne sommes plus en campagne. Il ne s’agit plus d’unir son camp, mais bien de s’unir dans l’intérêt des Français.
*Stéphane Séjourné est le secrétaire général de Renaissance. Elu député (Ensemble) des Hauts-de-Seine, il est ministre de l’Europe et des affaires étrangères du gouvernement de Gabriel Attal.
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