Institutions
Il semble que seul un choc violent pourra arrêter la dégringolade que connaît la France
L'Opinion - 4 décembre 2024 - Par Nicolas Beytout
Au point de dérèglement où en est arrivée la France, puisque plus rien ne semble arrêter les responsables de cette dégringolade et puisque, pour tout dire, il semble que seul un choc violent pourra rompre cet enchaînement fatal, alors il reste à espérer qu’arrive vite la crise. La vraie, celle qui fera prendre conscience aux Français qu’aucun des scénarios envisagés aujourd’hui ne suffira pour redresser le pays. Celle qui donnera une chance de rebondir sur une nouvelle politique, seule à même de remettre la France sur de bons rails.
Vite, la crise. Qu’on en finisse avec ce lent supplice des motions de censure. Qu’on en finisse avec les négociations de bouts de budgets, de queues de crédits dérisoires au regard des impasses accumulées. Qu’on en finisse avec l’accumulation stérile des lignes rouges tracées par chaque parti politique, dont l’entrelacs rend impossible la moindre solution. Qu’on en finisse avec ce déni français : oui, une censure du gouvernement sera un choc gravissime ; oui, les marchés, malgré leur apparente indolence, finiront par se retourner et eux qui assument le train de vie de notre modèle social nous le feront payer ; oui, le piège de la dette se refermera sur nous, et rien de ce qui a été proposé jusqu’à présent ne permettra d’en écarter les mâchoires.
Vite, la crise. Parce que, même si Michel Barnier n’avait ni le temps ni les marges de manœuvre pour tenter autre chose, le projet de budget et celui pour le financement de la Sécurité sociale n’étaient pas à la hauteur des défis posés par l’immensité des déficits publics. Ils ne tranchaient pas entre impôts et dépenses, au risque d’être « en même temps » un budget récessif et confiscatoire.
Vite, la crise, parce que plus tôt la France abordera sans fard les vraies, les douloureuses questions, plus vite elle cassera la logique de l’hellénisation, cette lente glissade vers la tragédie grecque. Mais il faudra, pour cela, surmonter deux obstacles aujourd’hui infranchissables.
Le premier est la réalité de notre vie politique. Dans l’état où Emmanuel Macron a mis le pays avec la dissolution, aucune majorité n’est possible. Comme on le voit avec la motion de censure que doit affronter Michel Barnier, chacun des trois pôles (extrême droite, centre ou gauche) vit sous la menace d’une alliance des deux autres pour le faire chuter. Pire, la période que nous venons de traverser a nourri les haines croisées. Au sein du « bloc central » qui était censé soutenir le Premier ministre, la détestation est à son comble entre la macronie déclinante et des Républicains tout à leur illusion d’avoir conquis Matignon. Au lieu de surjouer la cohésion au motif que le gouvernement était minoritaire, ils ont étalé leur mésentente. A gauche, la mainmise politique et idéologique de Jean-Luc Mélenchon sur le Nouveau Front populaire se fait au prix de menaces et de coups de force entre alliés. Même François Hollande, tout ancien chef de l’Etat qu’il est, se trouve dominé. Quant à l’extrême droite, elle a jeté aux orties son déguisement de parti respectable, Marine Le Pen démontrant qu’il n’y avait pas plus dangereux que de négocier avec elle.
Il y aurait bien l’éternelle solution miracle, toujours évoquée, jamais essayée : celle de la nomination d’un gouvernement « technique », réputé plus ou moins apolitique. Mais il se heurterait vite à la réalité électorale et à la nécessité de faire adopter les lois de financement sur lesquelles aura buté Michel Barnier. Sauf à concevoir un budget de l’Etat et de la Sécu qui ne règle aucun des sujets de fond : dérive de la dépense, surendettement, pression fiscale record, addiction aux aides sociales. Ce serait reculer pour mieux tomber…
Car, gouvernement technique ou pas, il restera un autre obstacle à surmonter : le refus de regarder la réalité en face dans lequel se réfugient tant de Français. La surdité envers tout discours évoquant la gravité de la situation. De ce point de vue, les deux mois qui viennent de se dérouler ont fait beaucoup de mal. Installer l’idée, comme l’a fait Michel Barnier dès le premier jour, que faire payer les riches allait régler une partie du problème, c’était évacuer le débat sur la nécessité de l’effort de tous. Les autres partis politiques se sont d’ailleurs engouffrés avec gourmandise dans cette course au toujours plus de taxes et de dépenses ou, pour les plus vertueux, toujours moins d’économies. La société française est droguée à l’aide sociale, au coup de pouce financier, à la prime quelle qu’elle soit. Le tout financé par une addition irréelle de taxes et de prélèvements que personne n’imagine temporaires.
C’est cette vrille qu’il faut briser. C’est cette prise de conscience collective qu’il faut provoquer. C’est à ce prix que le pays peut se relever.
On objectera que c’est un scénario terriblement impopulaire, et qu’il suffirait d’y aller par étapes. Mais qui, quel parti politique, quelle fausse majorité peut aujourd’hui prétendre avoir le temps devant soi ?
La crise, vite. La prise de conscience collective, vite.
Reste à savoir comment se produirait le déclic ? Viendra-t-il du peuple, exaspéré de voir que les problèmes du quotidien ne sont pas réglés, que les sujets comme l’insécurité et l’immigration sont toujours hors de contrôle, désespéré de voir que nos enfants, délaissés par une école en crise, auront une vie moins facile ? Viendra-t-il de la pression politique qui monte déjà à l’endroit d’Emmanuel Macron, mis en accusation pour sa responsabilité dans ce chaos ? Viendra-t-il des marchés financiers, plutôt bonasses aujourd’hui, mais dont on connaît la propension à se retourner brutalement et à devenir ensuite incontrôlables ?
La France est en danger, et elle ne le sait pas encore.
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