Javier Milei a fortement réduit les dépenses publiques. Mariana Greif / REUTERS

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L’efficacité avec laquelle le président argentin a réduit la dépense publique laisse songeur à Paris.

Le Figaro - 8 décembre 2024 - Par Anne de Guigné

La personnalité fantasque du président argentin et son goût de la provocation avaient brouillé les pistes. Même s’il continue de fasciner à travers le monde les milieux d’extrême droite, Javier Milei l’a démontré : il n’a rien d’un populiste. C’est un libertarien, qui croit aux vertus du libre-échange et à la discipline budgétaire. À ce titre, l’ancien professeur d’économie met en musique depuis un an une pensée parfaitement rationnelle. Depuis les années Thatcher, peu d’États ont subi un remède de cheval aussi drastique que celui qu’il inflige à l’Argentine en termes de libéralisation de l’économie. Pour l’instant, la méthode est probante : en un an, Milei a réussi à remettre au carré les grands équilibres macroéconomiques, jusqu’ici bien malmenés. L’inflation tourne désormais autour de 3 % à 4 % mensuels, contre 17 % en moyenne sur l’année 2023. Après des coupes drastiques dans les dépenses, le pays affiche aussi un excédent budgétaire. « Mon mépris pour l’État est infini », a assumé ce pourfendeur du socialisme auprès des journalistes de The Economist.

Reste à transformer ces succès en résultats visibles pour la population et au sein de la sphère microéconomique : croissance des entreprises, revenus des ménages… En attendant de voir comment tournera l’année 2025, les libéraux assument une admiration certaine. Jean-Marc Daniel, professeur émérite à l’ESCP, voit ainsi « deux éléments frappants dans le bilan de Milei : d’abord, il a compris que pour lutter contre l’inflation, il fallait stabiliser les taux de change, d’où sa décision de dévaluer le peso . Ensuite, il a démontré qu’il est possible de baisser les dépenses publiques. » Sur ce point, derrière ses déclarations à l’emporte-pièce, le président agit avec grande méthode : il a préservé en partie la sphère sociale mais réduit drastiquement les transferts de l’État fédéral vers les régions. En parallèle, il a mis un terme à la monétisation du déficit argentin.

Sortir du clientélisme

La « thérapie de choc » du président vis-à-vis du marché immobilier, qui était fortement régulé, a aussi été observée avec attention. Pour Nathalie Janson, enseignant-chercheur à Neoma : « la réussite est spectaculaire : le nombre de biens loués a augmenté de 30 %, tandis que les prix baissaient de 20 % ». « Les gouvernements précédents avaient poussé très loin les curseurs en termes de traitement clientéliste des dépenses publiques, Milei s’y est attaqué de front, note encore la chercheuse. Et je pense que, sur ce point, nous avons à Paris quelque chose à apprendre de lui. »

Milei a dit la vérité au peuple et il a fait ce qu’il a dit. C’est pour cela, je pense, que la moitié de la population le soutient encore malgré les souffrances endurées depuis un an

Daniel Borillo, professeur de droit à Nanterre et chercheur associé au CNRS-Paris II

Vue de France, la méthode Milei ne peut en effet que sidérer. « Quand je vois à quel point il est impossible de toucher à la moindre dépense publique  ici, je me dis quel courage il a eu, et de quelle résilience les Argentins font preuve ! », avance Daniel Borillo, professeur de droit à Nanterre et chercheur associé au CNRS-Paris II. « Il a dit la vérité au peuple et il a fait ce qu’il a dit. C’est pour cela, je pense, que la moitié de la population le soutient encore malgré les souffrances endurées depuis un an », affirme encore cet Argentin, parisien depuis des décennies.

Au-delà les libéraux, tous les économistes observent désormais avec attention ce qui se passe en Argentine, devenue un laboratoire grandeur nature de l’application de la pensée libertarienne. « Politiquement, je suis assez éloigné de Milei, et j’ai d’ailleurs sur le fond beaucoup de désaccords avec lui, confie le social-démocrate Philippe Aghion. Mais il faut reconnaître qu’il a des résultats économiques et sociaux, et cela donne envie de s’intéresser de plus près à ce qu’il a fait. » Ce professeur d’économie au Collège de France le reconnaît volontiers : son regard a changé, ces derniers mois, sur Javier Milei.