Tribune
« Trump n’est pas un dur qui s’est levé pour rétablir les valeurs de l’Occident chrétien, défendre son peuple floué par des élites mondialistes, lui redonner un revenu et une fierté. Rien de tout cela. Le contraire »
L'Opinion - 23 novembre 2025 - Par Eric Le Boucher
Le vrai malheur des démocraties n’est pas que Donald Trump soit un dur, c’est qu’il soit un faux dur. Le président américain montre ses muscles contre les wokes des universités américaines, il vire les fonctionnaires résistant à ses ordres et il envoie son plus puissant porte-avion contre le minable Maduro au Venezuela. Mais face aux véritables adversaires de la Liberté, les dictateurs, face aux saboteurs du capitalisme, les voleurs, face aux assassins de la vérité, les complotistes, il cède. Pire, il les promeut. Tartarin, il bombe le torse contre les petits et se couche devant les grands.
Lors de leur dernière rencontre le 30 octobre à Pusan, en Corée du sud, le président chinois a très habilement accueilli son homologue américain en le félicitant pour avoir fait la paix au Moyen-Orient. On imagine celui qui juge mériter le prix Nobel rougissant de plaisir. Devant la presse, Donald Trump dira que la rencontre a été « extraordinaire ». Il a surajouté : « Sur une échelle de 0 à 10, 10 étant la meilleure note, la réunion méritait un 12 ». La réalité est que la Chine a remporté ce jour-là la guerre commerciale qu’avait déclenché Trump. Fort de son monopole mondial des métaux rares, indispensables à l’électronique, promettant d’acheter (sans engagement précis) du soja aux agriculteurs américains et de limiter (sans engagement précis) ses livraisons de composants du fentanyl, Xi Jinping a obtenu une baisse des droits de douane. Il a intimidé Trump. Il a parlé de puissance à puissance.
Capricieux, facile à berner, ignorant ses vrais alliés, irrespectueux de tous les principes moraux de l’économie libérale, affaiblissant la science et la recherche des Etats-Unis, le président américain n’aboutit qu’à aider le pouvoir chinois
A Pékin, explique The Economist du 15 novembre, le premier mandat de Trump avait provoqué de la « panique » mais désormais, il est considéré dans les bureaux de la Cité Interdite comme « la meilleure chance » pour la Chine. Capricieux, facile à berner, ignorant ses vrais alliés, irrespectueux de tous les principes moraux de l’économie libérale, affaiblissant la science et la recherche des Etats-Unis, le président américain n’aboutit qu’à aider le pouvoir chinois, à solidifier ses capacités dans la finance et la technologie et à étendre son influence géopolitique. Le paradoxe n’est pas mince de voir que le MAGA a pour résultat d’installer la grandeur de la Chine.
Le cas Poutine est plus mystérieux. Le plan de paix en Ukraine en 28 points que Donald Trump vient de proposer reprend toutes les demandes les plus maximalistes du dictateur russe. Voilà dix mois que Trump téléphone à Poutine pour que cessent les armes. La déclaration faite à l’issue de ces « conversations d’hommes », est toujours celle d’une grande victoire. Puis, les semaines suivantes, Trump semble découvrir que le tsar ne l’écoute pas et qu’il se moque des promesses qu’il fait. On se dit que « Trump a enfin compris » qui était le véritable et seul responsable de la guerre… Mais non. Nouvelle conversation, nouveau ralliement à Moscou. Et cette fois, dans une version pire du pire. L’Ukraine doit abandonner ses territoires, l’armée de Kiev doit être réduite de 25 % à 600 000 soldats, l’Otan ne doit pas s’en mêler et si 100 milliards de dollars d’avoirs russes gelés doivent être employés à reconstruire l’Ukraine, les Etats-Unis doivent toucher 50 % des bénéfices de ces investissements. Le président américain ajoute le vol à l’infamie.
L’Amérique a changé de camp, elle abandonne le sien, celui du monde « libre », pour celui des dictateurs.
Ce plan ne sera pas appliqué, il ne peut l’être. Mais Trump en conclura sans doute qu’il a fait ce qu’il pouvait et qu’il peut laisser les Européens tous seuls face à l’ours. Un retrait américain qui laissera carte blanche à Moscou pour la suite. Thomas Friedman du New York Times propose de décerner à Trump non pas le prix Nobel mais « un prix Chamberlain », du nom du Premier ministre britannique a cru en 1938 qu’en lui cédant un bout de Tchécoslovaquie on pouvait arrêter Hitler, « ce gentleman ». Ce « deal à la Trump » sera pas sans écho à Taiwan : l’Amérique a changé de camp, elle abandonne le sien, celui du monde « libre », pour celui des dictateurs.
La réception en grande pompe du prince d’Arabie Saoudite Mohammed ben Salmane à la Maison Blanche n’a, cette fois, rien de mystérieux. Tout ici relève de ce qui anime fondamentalement l’ancien promoteur immobilier : le gros fric. Le pétrole, c’est l’or et la force, tout ce qu’il aime. L’assassinat en 1918 du journaliste Jamal Khashoggi commandité par MBS est oublié, les pays producteurs du Moyen-Orient sont les grands amis de Trump. Il faut les flatter et les attirer pour toute une liste de raisons monétaires. D’abord, leurs investissements en Amérique et, maintenant que les Etats-Unis sont les plus gros producteurs de brut, une entente de cartel, un deal implicite, pour défendre les prix. Ensuite les raisons malfamées, l’accueil de complexes de golf que construit sa famille dans la région du Golfe et les actions prises par les princes dans les cryptomonnaies lancées par cette même famille Trump. Ajoutons une admiration revendiquée pour un mode de vie : Mar-a-Lago est, à tous points de vue, un palais des Mille et Une nuits.
Trois dictateurs et leur admirateur, telle est la ligne faussement dure de la nouvelle diplomatie américaine. Telle est sa faiblesse intime et la raison qui explique pourquoi le MAGA se terminera par son inverse : l’Amérique plus faible que jamais. Tous les émules du président américain en Europe ou ailleurs, ils sont nombreux et ils voient leurs sondages monter, se trompent complètement sur le personnage. Trump n’est pas un dur qui s’est levé pour rétablir les valeurs de l’Occident chrétien, défendre son peuple floué par des élites mondialistes, lui redonner un revenu et une fierté. Rien de tout cela. Le contraire. Trump brutal aime Poutine, Trump vantard se fait rouler par l’intelligent Xi et Trump intéressé fait de drôles d’affaires avec MBS.
Donald Trump aurait pu être véritablement radical, « dur », dans la défense de son pays, de son économie et de ses valeurs de liberté. Mais on ne défend pas une nation en démantelant tout ce qui la tient : son Etat, sa justice, son école, sa science, sa morale. On ne défend pas une économie en brisant sa régulation et installant la corruption. On ne défend pas la démocratie en admirant ses détracteurs.
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