Le président américain Donald Trump à Maison Blanche à Washington, le 7 août 2025. - Sipa Press

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Donald Trump suit les traces du Parti communiste chinois en exerçant un contrôle de plus en plus serré sur l’économie.

L'Opinion - 12 août 2025 - Par Greg Ip*

Il y a une génération, on pensait qu’avec la libéralisation de la Chine, son économie allait ressembler à celle des Etats-Unis. Mais en réalité, ce sont les Etats-Unis qui commencent à ressembler furieusement à la Chine. 

Les exemples sont légion : Donald Trump qui demande la démission du patron d’Intel, le versement par Nvidia et AMD de 15 % des recettes de la vente de puces en Chine au gouvernement américain, l’action préférentielle (« golden share ») que Washington aura dans U.S. Steel et qui était la condition au rachat de l’aciériste par Nippon Steel, ou encore les 1 500 milliards de dollars d’investissements promis par des partenaires commerciaux que Donald Trump prévoit de diriger personnellement. 

Ce n’est pas du socialisme, dans lequel l’Etat contrôle les moyens de production. Cela ressemble plutôt à du capitalisme d’Etat, un système à mi-chemin entre socialisme et capitalisme, dans lequel l’Etat oriente les décisions d’entreprises censément privées. 

En Chine, on l’appelle « socialisme aux caractéristiques chinoises ». Les Etats-Unis ne vont pas aussi loin que la Chine, ou même que des adeptes plus modérés du capitalisme d’Etat, tels que la Russie, le Brésil ou, à certains égards, la France. Appelons donc cette variante « capitalisme d’Etat aux caractéristiques américaines ». Cela reste une rupture radicale avec le libéralisme qu’incarnait naguère le pays. 

En Occident, nombreux sont ceux qui admirent la Chine pour sa capacité à dynamiser la croissance par des projets d’infrastructure massifs, des progrès scientifiques et la promotion de certains secteurs

Comment nous avons appris à aimer le capitalisme d’Etat

Nous ne fricoterions pas avec le capitalisme d’Etat si le grand public et toutes les parties en présence n’étaient pas persuadés que le capitalisme de marché ne fonctionnait pas. En effet, ce système a encouragé des dirigeants d’entreprise, toujours en quête de profits maximums, à délocaliser la production. Résultat : des effectifs dans l’industrie réduits à peau de chagrin, une dépendance à la Chine pour des produits vitaux tels que les minéraux critiques, et un sous-investissement dans les secteurs d’avenir, à commencer par les énergies propres et les semi-conducteurs. 

L’ingérence du gouvernement fédéral dans le monde des entreprises n’est pas une nouveauté, tant s’en faut. Les autorités ont ainsi dirigé la production pendant la Seconde Guerre mondiale et, en vertu de la loi sur la production pour la défense de 1950, dans des situations d’urgence telles que la pandémie de Covid-19. Pendant la crise financière de 2007-2009, elles ont volé au secours des banques et des constructeurs automobiles. Ce n’était toutefois là que des solutions temporaires. 

Joe Biden est allé plus loin, et a cherché à peser sur la forme même du secteur. Sa loi sur la réduction de l’inflation prévoyait une enveloppe de 400 milliards de dollars en soutien aux énergies renouvelables. La loi CHIPS and Science Act accordait 39 milliards de dollars de subventions pour la fabrication de semi-conducteurs aux Etats-Unis. Sur cette somme, Intel a reçu 8,5 milliards de dollars, ce qui a légitimé la demande de démission du numéro un de l’entreprise par Donald Trump, au motif qu’il aurait eu des liens avec la Chine. A ce jour, Intel a refusé cette demande. 

Joe Biden est allé à l’encontre de la direction et des actionnaires de U.S. Steel pour bloquer le rachat par Nippon Steel, même si son équipe n’y voyait aucun risque pour la sécurité nationale. Donald Trump est revenu sur ce veto, tout en s’octroyant la « golden share », qu’il pourra utiliser pour peser sur les décisions de l’entreprise. Sur le fond comme sur la forme, cet avantage ressemble fortement aux actions préférentielles que les entreprises privées chinoises doivent émettre à l’intention du PCC. 

L’administration Biden avait envisagé un fonds souverain destiné à financer des projets stratégiques mais risqués sur le plan commercial, tels que les minéraux critiques — un secteur dominé par la Chine. Le mois dernier, le département de la Défense a annoncé une prise de participation de 15 % dans MP Minerals, qui extrait de tels minéraux. 

En Occident, nombreux sont ceux qui admirent la Chine pour sa capacité à dynamiser la croissance par des projets d’infrastructure massifs, des progrès scientifiques et la promotion de certains secteurs. Dans ce domaine, les Etats-Unis sont souvent pénalisés par le jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs et les compromis propres à une démocratie pluraliste. 

Dans un livre à paraître, intitulé Breakneck: China’s Quest to Engineer the Future, l’essayiste Dan Wang écrit que la Chine est un pays d’ingénieurs, qui mène de grands travaux à un rythme effréné, tandis que la société américaine est procédurière et tend à contrer tout ce qu’elle peut, le bon comme le mauvais. 

Pour ses admirateurs, Donald Trump brille par sa volonté à abattre ces obstacles procéduraux. Il a imposé des droits de douane à toute une batterie de pays et de secteurs, s’arrogeant une autorité censée revenir au Congrès. Il a arraché 1 500 milliards de dollars de promesses d’investissements de la part du Japon, de l’Union européenne et de la Corée du Sud, investissements qu’il va superviser directement, prétend-il, même si aucun mécanisme juridique ne semble exister pour cela. Ces promesses sont d’ailleurs d’ores et déjà remises en cause. 

La caractéristique essentielle du capitalisme d’Etat chinois est la discipline, et Donald Trump en est l’exact opposé

Les problèmes du capitalisme d’Etat

Jusqu’ici, le capitalisme d’Etat n’a jamais fait recette, et à raison. En effet, l’Etat ne peut pas affecter le capital de façon plus efficace que les marchés privés. Distorsion du marché, gaspillage et népotisme sont monnaie courante. En Russie, au Brésil et en France, la croissance est bien plus faible qu’aux Etats-Unis. 

Et en Chine, la réussite du capitalisme d’Etat n’est qu’apparente. Barry Naughton, chercheur à l’Université de Californie à San Diego, a montré que la croissance rapide que connaît la Chine depuis 1979 provient du marché et non de l’Etat. Le contrôle étatique réinstauré par Xi Jinping a ralenti la croissance du pays. La Chine déborde d'épargne, mais l’Etat en gaspille la plus grande part. De l’acier aux voitures, les excès de capacités font plonger les prix et les bénéfices. 

Le tableau n’est guère plus réjouissant aux Etats-Unis. Les interventions réalisées au nom de la sécurité nationale ou du soutien au démarrage d’industries naissantes ne mènent qu’à des gabegies telles que l’usine promise par Foxconn dans le Wisconsin ou l’usine de panneaux solaires Tesla de Buffalo, dans l’Etat de New York. 

En Chine, le capitalisme d’Etat est un système impliquant l’ensemble de la société, et qui est orchestré depuis Pékin par l’intermédiaire de millions de cadres dans les autorités locales et les conseils d’administration des entreprises. Aux Etats-Unis, il s’agit pour l’essentiel d’annonces émises depuis la Maison Blanche, dénuées de tout cadre stratégique ou institutionnel. « La caractéristique essentielle du capitalisme d’Etat chinois est la discipline, et Donald Trump en est l’exact opposé », a expliqué Dan Wang dans un entretien. 

Un moyen de contrôle

Le capitalisme d’Etat est un moyen de contrôle politique, et non simplement économique. Xi Jinping utilise sans vergogne les leviers économiques pour écraser tous les obstacles à la primauté du Parti. En 2020, Jack Ma, cofondateur d’Alibaba et sans doute le chef d’entreprise le plus connu du pays, a critiqué les autorités chinoises qui, disait-il, étouffaient l’innovation financière. Les représailles ne se sont pas fait attendre. Les autorités ont annulé l’introduction en Bourse de sa société financière, Ant Group, et ont fini par lui infliger une amende de 2,8 milliards de dollars pour pratiques anticoncurrentielles. Jack Ma a brièvement disparu de la scène publique. 

De même, Donald Trump a émis des décrets et appliqué ses pouvoirs réglementaires contre des groupes de médias, des banques, des cabinets d’avocats et d’autres entreprises qui, selon lui, s’opposent à lui, tout en récompensant les cadres qui souscrivent à ses priorités. 

Pendant son premier mandat, des chefs d’entreprise s’exprimaient souvent contre ses politiques, notamment en matière d’immigration ou de commerce. Aujourd’hui, ils le portent aux nues et lui font des dons, ou, pour la plupart, gardent le silence.  

Donald Trump cherche également à contrôler des organismes qui, depuis toujours, traditionnellement hors d’atteinte de la Maison Blanche, notamment le Bureau of Labor Statistics et la Réserve fédérale. Là encore, on peut faire le lien avec la Chine, où l’appareil administratif est entièrement subordonné au parti dirigeant.

Depuis longtemps, Donald Trump admire le contrôle qu’exerce Xi Jinping sur son pays, mais en théorie, il ne pourra pas l’imiter totalement. 

En effet, la démocratie américaine, par l’indépendance de la justice, la liberté d’expression, l’Etat de droit et la diffusion du pouvoir dans de multiples niveaux et branches d’administration, limite les pouvoirs de l’Etat. Le capitalisme d’Etat pourra-t-il, à terme, détrôner le libéralisme aux Etats-Unis ? Tout dépendra du maintien de ces contre-pouvoirs. 

*(Traduit à partir de la version originale en anglais par Timothée Gaven)