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Authenticité en politique, fiabilité en Europe, crédibilité à l’international... La présidente du Conseil a su, contre toute attente, s’imposer et imposer une stabilité rare en Italie. Avec un vrai talent d'équilibriste
L'Opinion - 12 août 2025 - Par Francesco Maselli
Le gouvernement de droite a franchi le cap des 1 000 jours, devenant le quatrième plus long de l’histoire de la République. Une stabilité que la présidente du Conseil doit à sa maîtrise des finances publiques et à son talent de funambule, capable de concilier de nombreuses contradictions, en politique intérieure comme sur la scène internationale.
Dans le deuxième grand reportage qu’il consacre à Emmanuel Macron dans The Guardian, Emmanuel Carrère s’éloigne, comme toujours, des discours officiels pour capter les équilibres humains du pouvoir. Après des pages consacrées au chef de l’Etat français, une autre figure politique retient son attention lors d’un sommet du G7 au Canada : la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni. Ce n’est ni son programme ni son influence diplomatique qui frappent l’écrivain, mais une qualité plus directe : sa spontanéité. « Une chose est sûre à propos de Meloni : c’est la moins poker face de tous. Si quelque chose l’amuse, elle éclate de rire. Si elle s’ennuie, elle lève les yeux au ciel et soupire. »
Mimiques. Ces mimiques, devenues virales sur les réseaux sociaux, ont contribué à forger une image d’authenticité, alors que beaucoup de dirigeants semblent peser chaque geste. A cela, Giorgia Meloni ajoute le savoir-faire des professionnels de la politique. Giovanni Donzelli, député et figure de proue de Frères d’Italie, la connaît depuis trente ans et a milité avec elle dans le mouvement de jeunesse d’Alleanza Nazionale. Il voit dans cette constance l’un des ressorts de son autorité. Meloni a gravi tous les échelons : « Des manifestations étudiantes à la présidence du mouvement de jeunesse, puis conseillère provinciale, députée, ministre. La politique, c’est affronter les difficultés, gérer une communauté, faire face aux déceptions et aux conflits. Rien ne s’improvise. »
Ces traits personnels ont façonné sa manière d’aborder la scène internationale, sur laquelle Giorgia Meloni a tout misé. A la tête d’un parti historiquement eurosceptique, elle est aujourd’hui perçue comme une partenaire fiable à Bruxelles. Certes, elle reste proche de la Hongrie de Viktor Orbán et siège au sein du groupe ECR avec les Polonais du PiS, mais elle soutient l’Ukraine, respecte les règles du jeu communautaire et entretient de bons rapports avec les Etats-Unis, quelle que soit l’administration.
Des dirigeants sociaux-démocrates saluent aussi sa ligne. Le Britannique Keir Starmer a loué ses résultats sur le contrôle migratoire, tandis que la Danoise Mette Frederiksen coopère avec elle pour limiter l’influence de la CEDH sur les politiques nationales.
Air du temps. Lia Quartapelle, députée du Parti démocrate, dans l’opposition, estime qu’elle a compris l’importance des enjeux internationaux : « Gouverner l’Italie sans positionnement crédible est impossible. Et il faut lui reconnaître d’incarner, en ce moment de difficulté globale pour la gauche, un certain air du temps. Une fois cela dit, Meloni a évité les réformes structurelles les plus sensibles — l’école, la santé, la bureaucratie — mais cette prudence ne l’a pas affaiblie ». Ou, au contraire, dans un pays peu enclin aux révolutions, lui permet de ne pas trop stresser l’opinion publique, vieillissante et fatiguée par des années d’instabilité.
La confiance dans le gouvernement recule – environ 35 % d’opinions favorables – mais les partis de la majorité, qui rassemble Frères d’Italie, la Ligue et Forza Italia, se maintiennent à un niveau équivalent, voire supérieur à celui de 2022, selon les sondages. Ce paradoxe tient aussi à la faiblesse d’une gauche divisée et dépourvue d’un leader capable de rivaliser avec la présidente du Conseil, qui demeure la personnalité politique la plus populaire du pays.
Pour Nicola Procaccini, eurodéputé de Frères d’Italie, l’écart entre les craintes initiales et la réalité a en fait été un atout : « Beaucoup prédisaient une crise démocratique. Il y avait une telle concentration de soupçons qu’à chaque fois qu’elle agissait modérément, cela paraissait vertueux. » Avec le temps, poursuit-il, les résultats lui ont donné raison : « Maîtrise des comptes publics, baisse du chômage, suppression du revenu de citoyenneté malgré son impopularité. La stabilité redevient une valeur, et elle l’incarne ».
Excédent primaire. En 2024, l’Italie a enregistré un excédent primaire de 0,4 % du PIB, attendu à 0,7 % en 2025, alors que le déficit a reculé de 7,2 % à 3,3 %, avec l’objectif de passer sous les 3 % en 2026 et de sortir de la procédure pour déficit excessif. Le marché du travail bat des records, et le pays affiche le taux d’emploi le plus élevé de son histoire.
Daniele Capezzone, directeur éditorial du journal conservateur Libero, résume ainsi le bilan de Giorgia Meloni : « Une politique étrangère claire et atlantiste, une réforme de la justice qui progresse, des finances sous contrôle, et une attention réelle aux plus fragiles, avec des baisses d’impôts ciblées pour les revenus en dessous de 35 000 euros. »
A cela s’ajoute une politique sécuritaire très droitière, qui a sans doute satisfait son électorat : une quarantaine de nouveaux délits introduits, plusieurs peines renforcées, l’interdiction de la gestation pour autrui, y compris à l’étranger, et une fermeté prévisible envers les navires humanitaires. Selon Daniele Capezzone, c’est l’absence de mesures pour les classes moyennes qu’elle devra combler d’ici 2027 : « Au-dessus de 40 000 euros, on n’a rien vu depuis vingt ans. Et comme les marges budgétaires sont étroites, il faudrait un peu d’audace libérale à la Javier Milei et couper dans les gaspillages. »
Serena Sileoni, ancienne conseillère de Mario Draghi et membre du think tank libéral Istituto Bruno Leoni, souligne une contradiction : « Meloni avait promis de libérer les énergies des entreprises, mais n’a touché ni aux rentes ni aux professions réglementées : rien, par exemple, pour ouvrir la concurrence dans les taxis ou les concessions balnéaires. »
Interventionnisme. Le gouvernement a même imposé, grâce à son veto sur les opérations industrielles stratégiques, des conditions si contraignantes au rachat de Banco BPM par Unicredit que l’opération a échoué, alors qu’il s’agissait de deux banques italiennes. « Tandis qu’elle maintient une ligne stricte sur les finances publiques, poursuit Sileoni, elle laisse des ministres, notamment dans l’industrie et l’agriculture, tenir des propos interventionnistes, parfois folkloriques, relevant d’un certain nationalisme économique. Elle rassure un électorat conservateur méfiant envers l’Etat, tout en parlant aux Italiens moins ouverts au marché. Il faut du talent ».
Ce talent d’équilibriste est essentiel, compte tenu de la nature de sa coalition, qui réunit des sensibilités différentes. « Nos électeurs ne comprendraient pas une rupture, analyse Giovanni Donzelli. Il y a des différences, mais nous partageons une vision du monde. La coalition a besoin d’un leader capable de resserrer les rangs, et c’est l’une des grandes qualités de Giorgia : depuis sa jeunesse, elle sait trouver une synthèse ».
En Italie, cette aptitude à tenir ensemble des contradictions lui vaut un surnom : la funambule. Une image qui résume bien sa méthode : incarner la stabilité tout en conciliant, sur la scène intérieure comme internationale, des positions parfois antagonistes sans perdre l’équilibre.
Italie: Giorgia Meloni, l’art de durer sans (trop) changer
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