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International
Autour de 60.000 fonctionnaires fédéraux ont déjà signé pour le plan de départs volontaires. Le coupeur de coûts Elon Musk a pris le contrôle des systèmes d'information des administrations clés. L'aide internationale et l'Education sont menacées de disparition.
Les Echos - 8 février 2025 - Par Par Solveig Godeluck
Un sursis pour des fonctionnaires hésitants et terrifiés. Jeudi, un juge fédéral du Massachusetts a suspendu la date butoir fixée par l'administration Trump pour son gigantesque plan de départs volontaires. Autour de 2 millions d'employés fédéraux devaient dire avant minuit s'ils souhaitaient prendre l'offre de huit mois de préavis payés mais non travaillés. En attendant la décision de justice, prévue lundi après-midi, l'Office de gestion du personnel (OPM) va continuer à enregistrer des démissions.
« Dans mon entourage, personne n'a pris l'offre à part ceux qui partent à la retraite. Mais je suis encore en période probatoire, et mes amis dans les autres agences m'ont dit que j'allais perdre mon job », s'inquiète un employé fédéral qui travaille à Washington. L'OPM a demandé une liste des salariés comme lui, qui sont en poste depuis moins d'un an, ou deux pour les juristes. Après les départs volontaires, il y aura des départs forcés. « Il n'y a pas de résistance ouverte, mais personne n'aime la direction que ça prend », confie ce fonctionnaire de carrière.
Pour le président Trump et ses conseillers radicaux, l'intervention d'un juge dans le plan de départs n'est qu'une chicane. La révolution administrative trumpiste est en cours, et rien ne pourra l'arrêter, espèrent-ils. Elle passe par la plus grande purge jamais tentée aux Etats-Unis depuis l'après-guerre.
Quelque 60.000 employés fédéraux avaient accepté le plan en tapant le verbe « resign » (démissionner) vendredi, en réponse à un courriel envoyé sur leur adresse en. gov ou. mil, suivant les instructions de l'OPM du 28 janvier. Ce n'est pas encore assez pour Elon Musk, qui vise à faire partir entre 5 % et 10 % des employés civils fédéraux, pour économiser des dizaines de milliards de dollars et alléger l'Etat fédéral.
« Une route qui fourche »
Ceux qui désirent rester ont été prévenus qu'ils devraient retourner tous les jours au bureau en personne, adopter une « culture de la performance », être « fiables, loyaux, dignes de confiance ». Et qu'ils n'avaient « pas de garantie » de conserver leur poste. Ce message est intitulé « Une route qui fourche » (Fork in the road), une phrase fétiche d'Elon Musk, le coupeur de coûts en chef de la Maison-Blanche.
L'homme le plus riche du monde s'est lié avec Donald Trump pendant la campagne électorale. Il a obtenu la création d'un comité sur mesure pour faire fondre la bureaucratie fédérale, le Department of Governement Efficiency (Doge), qu'il dirige avec la passion qui le caractérise. Placé sous l'autorité directe du président, cet « employé spécial » a été dispensé de confirmation sénatoriale et de certaines obligations de transparence.
Avec un bail de 130 jours effectifs au sein du gouvernement, il ne perd pas un instant. Depuis qu'Elon Musk a installé son lit dans une annexe de la Maison-Blanche, il semble même avoir pris les pleins pouvoirs sur l'administration centrale. Il faut dire qu'il est entré en action avant la prise de fonctions du patron de l'Office de gestion budgétaire Russell Vought et de nombreux scrétaires, de la Santé à l'Education. Il a formé une escouade d'ingénieurs très jeunes et très dévoués qu'il envoie dans les départements ou agences avec mission de plonger dans les systèmes d'information et d'établir des listes de salariés et de missions à supprimer.
Répétition générale chez Twitter
Les anciens employés de Twitter ont eux aussi reçu le courriel de la « route qui fourche » en octobre 2022, lorsqu'Elon Musk a débarqué au siège de San Francisco, après avoir surpayé l'acquisition du réseau social pour 44 milliards de dollars. Le nouveau patron leur a demandé de travailler « de longues heures à haute intensité » ou de partir. En fin de compte, 80 % des effectifs ont été supprimés, de gré ou de force.
Les licenciements ont été si massifs et si soudains, qu'il a fallu rappeler en urgence des salariés congédiés pour que Twitter/X puisse fonctionner. Pour Elon Musk, si l'on n'a pas besoin de rajouter (du personnel, des coûts, des normes de sécurité…) après avoir taillé, c'est que l'on n'est pas allé suffisamment loin dans la réduction des dépenses.
Autre caractéristique : il s'est attaqué en priorité aux fonctions jugées « woke », de la modération à la diversité et à l'inclusion. Le converti au populisme a un compte personnel à régler avec le « virus mental » qui a selon lui a atteint son fils devenu une fille.
Elon Musk est parfaitement en phase avec les idéologues réactionnaires qui prennent les manettes dans l'administration Trump. C'est même le fer de lance de leur chasse aux sorcières anti-diversité, car au nom de la lutte contre la discrimination, on supprime tous les postes se rapportant aux minorités raciales ou sexuelles.
40 % d'employés « non-indispensables »
Les 10.000 employés de l'USAID qui gère l'aide aux pays étrangers ont été les premiers à en faire les frais. Leur budget a été coupé, leur siège fermé, et leur agence est passée sous la tutelle du département d'Etat. Les émissaires du Doge sont restés sur place le week-end, dans des bureaux vides : Elon Musk s'est réjoui que « l'équipe adverse quitte le terrain »…
Ils devaient quasiment tous être placés en congé administratif vendredi avant minuit. Le personnel installé à l'étranger a trente jours pour rentrer. Sans gloire, puisque le gouvernement les a accusés de tous les maux : « On dirait que des milliards de dollars ont été volés à l'USAID et dans d'autres agences », a accusé Donald Trump jeudi, en prenant prétexte du coût des abonnements de presse à Politico.
Les moines-soldats d'Elon Musk ont également investi le système de paiement au Trésor, avec l'autorisation du secrétaire Scott Bessent, qui jure qu'ils n'ont qu'un droit de regard - mais tout de même sur les impôts, les prestations sociales, les contrats des fournisseurs… Samedi, un juge a temporairement restreint l'accès à ce système.
Le département de la Santé et les agences qui en dépendent, 80.000 salariés en tout, ont reçu l'ordre de classer les employés en période d'essai. Le CDC, la tour de contrôle anti-épidémies, a dû en placer 40 % en catégorie « non indispensable ». Un décret serait en préparation pour licencier des milliers de personnes dès la semaine prochaine, d'après le « Wall Street Journal ».
Selon le « Washington Post » , le Doge a aussi envoyé une vingtaine d'agents au département de l'Education, qui n'a que 4.400 employés, avant qu'un décret présidentiel ne le ferme. Le bureau de la justice environnementale au sein de l'agence de l'Environnement EPA va disparaître et ses 168 employés être mis à pied. Les météorologues de la NOAA ont reçu l'ordre d'interrompre tout contact avec leurs interlocuteurs étrangers.
« Ce que le peuple américain veut »
Certains font du zèle. Alors que le plan de départs volontaires de l'administration ne la concernait pas (ni les militaires, ni le renseignement), la CIA dirigée par John Ratcliffe a pris l'initiative mardi de l'étendre à ses propres employés. Quant à la procureure générale Pam Bondi, elle a monté un groupe de travail sur la politisation de la justice fédérale, du FBI, et des juges de New York dans les procès civils et pénaux intentés à Donald Trump. La future directrice du Renseignement Tulsi Gabbard devra, elle, enquêter sur la politisation des 18 agences et bureaux qu'elle supervise, de la CIA à la NSA.
Si les démocrates effarés sont inaudibles, les élus républicains se taisent ou applaudissent. James Comer, député républicain du Kentucky a bien résumé la situation sur Fox News : « Musk a été très transparent. Il a publié de multiples tweets par heure disant ce qu'il va faire et je pense que c'est ce que le peuple américain veut. » La popularité du patron du DOGE est au plus bas, mais l'administration centrale semble encore plus mal-aimée.
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