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Pour comprendre l’attitude russe, il faut revenir à ce qu’il appelle « les racines de la crise », qui désignent en fait un projet global pour toute l’Europe de l’Est.
Le Journal.info - 21 mai 2025 - Par Pierre Benoit
« De gros egos sont impliqués, mais je pense qu’il va se passer quelque chose …et si cela n’arrive pas, je me retire tout simplement, encore une fois, c’était une affaire européenne et ça aurait dû le rester ». A l’issue de deux heures de discussion téléphonique avec Poutine, cette petite phrase de Donald Trump sonne comme un aveu d’impuissance devant l’inertie de Poutine. Cinq mois de bavardage inutile et meurtrier.
« Nous sommes sur la bonne voie », a répondu Poutine sobrement. Même si la préparation d’un mémorandum a été évoquée, il n’y aucune piste, aucun calendrier. Échec donc de la « méthode Trump » qui avait adopté le narratif de Poutine en évitant soigneusement de désigner l’agresseur russe dans la crise ukrainienne.
Gonflé à bloc par son récent voyage dans les pays du Golfe et sa cascade de contrats, on imagine le président américain suspendu au téléphone, faire l’éloge de sa « diplomatie transactionnelle ». Les profils psychologiques des deux personnages sont aux antipodes, mais peu importe. Poutine l’a laissé parler, à la fin il a douché l’enthousiasme du milliardaire républicain en revenant sur son leitmotiv habituel : « les racines de la crise doivent être éradiquées ». Cette phrase résume, à elle seule, la stratégie géopolitique du maître du Kremlin mise en œuvre dans la crise ukrainienne.
En avril 2005, Vladimir Poutine déclarait : « la chute de l’URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle ». Après le départ de Gorbatchev, la dislocation de l’empire soviétique a ouvert, selon lui, une séquence d’humiliation mis à profit par le monde occidental pour gagner du terrain en Europe centrale. C’est à cette époque que Poutine imagine déjà une forme de reconquête impériale, dépouillée de l’ancienne idéologie communiste, une reconquête donc sur une base purement nationaliste et avec l’aide de l’église orthodoxe russe.
En Ukraine, les exigences du président russe peuvent se résumer ainsi : départ du gouvernement Zelensky, neutralisation du pays, ni adhésion à l’UE ou pire encore, à l’Otan. Mais sa vision est plus large encore : il s’agit de créer un espace allant de la mer Noire à la Baltique où Moscou n’aurait que des amis.
Devant le blocage de la situation, Volodymyr Zelensky note que « si Moscou pose des conditions pour le retrait de nos troupes de notre territoire, cela signifie que la Russie ne veut pas que la guerre se termine ». Le président ukrainien plaide donc pour de nouvelles sanctions : « des sanctions bancaires et énergétiques américaines seraient déterminantes, Poutine continue à profiter de cette guerre ».
En début de semaine, les dirigeants européens, Emmanuel Macron en tête, ont eux aussi annoncé d’autres sanctions. L’Union Européenne a déjà adopté 17 paquets de mesures de toute nature pour contrer Moscou. Le tout dernier concerne la flotte des pétroliers russes fantômes – estimée à quelque 500 navires – qui continuent de livrer du fuel partout dans le monde. Un 18ème train de mesures est en préparation, cette fois pour bloquer le transit du gaz russe en partance sur l’Europe. À Washington, le sénateur Lindsey Graham, un fidèle de Trump, est porteur d’un projet de loi qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour l’économie russe. Cette proposition a déjà reçu le soutien de soixante-dix républicains et démocrates, elle pourrait passer sans veto présidentiel, ce qui arrangerait bien Trump.
Pour l’instant, Poutine n’a cure de toutes ces gesticulations. D’une part ses alliés, chinois ou iraniens, lui fournissent des armes autant que de besoin, d’autre part, il grignote chaque jour du terrain dans le Donbass. À l’inverse, les forces ukrainiennes sont loin de détenir tout le matériel dont elles ont besoin, notamment pour la défense aérienne. Autre exemple : les volumes des munitions dont elles disposent sont parfois dans un rapport de un à dix par rapport aux dotations des troupes russes. Or, l’affrontement ukrainien est aussi une guerre d’attrition.
En fait, Poutine veut prolonger le conflit non seulement pour avancer, négocier en position de force le moment venu. Mais aussi parce qu’il cherche à provoquer une rupture du front qui serait dévastatrice pour Kiev. Autant dire que la crise ukrainienne entre désormais dans la phase de tous les dangers.
Pierre Benoit
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