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International

Dans la nouvelle stratégie américaine de sécurité nationale publiée par la Maison-Blanche, le président américain expose les raisons de son mépris pour l’Union européenne.

Le Figaro - 9 décembre 2025 - Par Renuad Girard*

La publication par la Maison-Blanche, le 5 décembre 2025, de la nouvelle stratégie américaine de sécurité nationale a stupéfait les diplomates du monde entier. C’est un manifeste très clair, lisible en une demi-heure, où le trumpisme – c’est-à-dire l’idéologie Maga – s’exprime de manière totalement désinhibée.

C’est un texte crucial de la Révolution conservatrice américaine. Peu importe qu’on le déteste ou qu’on l’admire, ce texte restera dans l’histoire, au même titre que le discours des Quatorze Points de Wilson de janvier 1918, ou que la Charte de l’Atlantique d’août 1941 – avec une substance évidemment totalement différente. J’en recommande chaudement la lecture à quiconque cherche à saisir où va la nouvelle Amérique.

Sur nous, les Européens, elle a une vision particulièrement sombre. C’est important de l’étudier car c’est elle qui structurera les relations transatlantiques des prochaines années.

Le spectre de la disparition de l’Europe

Trump voit dans l’Europe un continent en grand déclin, à laquelle il convient de redonner sa « grandeur ». Aux yeux du 47e président américain, le déclin de l’Europe n’est pas qu’économique. Il est plus profond que cela. Il est civilisationnel.

Économiquement, Trump constate que la part de l’Europe dans le PIB mondial est passée de 25 % en 1990 à 14 % aujourd’hui. Cette chute est due selon lui au carcan de la réglementation, qu’elle provienne de Bruxelles ou des États membres de l’UE, qui étouffe la créativité et l’aventure industrielles.

Trump méprise l’Union européenne. À ses yeux, c’est une prison des nations, qui les prive de souveraineté et de liberté politique, qui les étouffe sous ses règlements, et qui encourage de folles politiques migratoires, lesquelles fracturent la société, effacent les identités nationales, retirant aux peuples européens la confiance qu’ils avaient auparavant en eux-mêmes.

Pour la Maison-Blanche, on ne reconnaîtra même plus l’Europe dans vingt ans, si elle ne met pas fin aux « invasions » migratoires dont elle est l’objet. Trump s’inquiète ouvertement que les Européens de souche soient un jour en minorité par rapport aux non-Européens dans certains pays de l’Otan, et que cela puisse changer la donne initiale de l’Alliance atlantique. « Nous voulons que l’Europe demeure européenne et qu’elle récupère la foi qu’elle avait en sa civilisation », écrit explicitement le président des États-Unis. Il s’inquiète de voir dépérir les économies et les armées européennes, à un point tel que les États européens ne constitueraient plus des alliés fiables pour l’Amérique.

Chercher la paix avec Poutine

La preuve que l’Europe a perdu sa confiance en soi, Trump la voit dans sa crainte de la Russie. La diplomatie américaine a désormais pour tâche de gérer les relations entre les Européens et les Russes, de manière à créer de la stabilité sur l’immense continent terrestre eurasiatique et à minimiser les risques de conflit entre la Russie et les États européens.

L’intérêt de l’Amérique est, selon son président, d’arrêter la guerre en Ukraine au plus vite, afin de stabiliser les économies européennes, de prévenir tout risque d’escalade, de rétablir un dialogue stratégique pacifié avec Moscou, de permettre la reconstruction de l’Ukraine, pour qu’elle puisse survivre comme un État viable.

Le message subliminal du texte de Trump est que les Européens ont commis une folie à s’ingérer dans le conflit russo-ukrainien. Il cite l’exemple de l’Allemagne, qui a déplacé les usines de son industrie chimique en Chine, afin qu’elles puissent continuer à bénéficier d’un gaz russe bon marché. Pour sanctionner la Russie, l’Allemagne s’est mise dans la dépendance de la Chine, ce qui représente une faute stratégique aux yeux du président américain. Il ajoute que la majorité des peuples européens veulent la paix, mais que leurs dirigeants ne les écoutent pas, car ils sont insensibles à ce que veut vraiment le peuple.

Le mot France n’apparaît pas une seule fois dans le texte trumpien. C’est vexant pour le pays de Montesquieu (qui a tant inspiré la Constitution des États-Unis) et de La Fayette (qui a libéré les Américains de la Couronne britannique), mais c’est comme ça. Nous allons devoir nous y habituer.

Trump ne veut pas pour autant divorcer des Européens, à qui il reste attaché sentimentalement (avec une préférence pour les Britanniques et les Irlandais) et économiquement (afin de poursuivre une saine concurrence avec eux), mais il veut redresser leurs pays, afin qu’ils récupèrent leur identité d’avant et leur liberté – d’action pour les dirigeants, d’expression pour les citoyens. Trump veut également aider les pays européens à ne jamais tomber sous la férule d’un empire étranger, comme la Chine ou la Russie. Lui-même ne se voit à aucun moment comme un impérialiste.

Sursaut européen

Il n’y a pas que du faux dans ce que dit Trump et un bon examen de conscience européen ne ferait de mal à personne. Mais je rends grâce au général de Gaulle de nous avoir appris à ne jamais suivre l’Amérique comme de petits chiots. À partir de janvier 2014, elle a pris fait et cause pour la révolution de Maïdan à Kiev, qui a fini par renverser un président aussi indiscutablement prorusse que régulièrement élu. Quand nous avons réussi des médiations, comme l’accord intra-ukrainien du 21 février 2014 (réalisé avec les Allemands et les Polonais) ou les « accords de Minsk » de février 2015 (réalisés avec les Allemands), l’Amérique ne nous a pas aidés, et la guerre l’a ensuite emporté sur la diplomatie. Pour suivre l’Amérique en 2022, nous avons pris des sanctions contre la Russie, affaiblissant sensiblement nos économies.

Et voici qu’avec Trump, trois ans plus tard, elle vire à 180 degrés, se réconcilie avec la Russie et affiche son mépris pour les dindons de la farce que nous sommes devenus.

Non, M. Rutte, Trump n’est pas notre Daddy et l’Amérique n’est pas notre maman. Nous ferons tout pour qu’elle reste notre amie, car elle est aimable à de nombreux titres, culturels comme historiques. Mais lui confier les clés de notre défense et de notre diplomatie, comme nous l’ont si longtemps seriné tant d’Atlantistes français, serait pure folie stratégique.

miniature r girard* Renaud Girard, journaliste et grand reporter au Figaro. Rappelons qu'il co-signe avec un philosophe le livre "Que reste-il de l'Occident ?", aux Editions Grasset. Jean-Christophe MARMARA