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« La question paradoxale qui se pose avec le président réélu est celle-ci : va-t-il prendre des mauvaises mesures qui vont affaiblir son pays ? MAWA : “Make Americain Weak Again” ? »
L'Opinion - 5 janvier 2025 - par Eric Le Boucher
Une croissance solide, des adversaires, l’Europe et la Chine, englués, des capitaux qui affluent plus que jamais, un plein-emploi, une suprématie technologique confirmée, une productivité qui redémarre : au moment où Donald Trump arrive à la Maison Blanche avec pour promesse de redresser son pays, « Make America Great Again », les Etats-Unis le sont déjà. Quand des responsables politiques, comme des généraux, font une erreur de diagnostic sur la situation, le résultat ne peut pas être bon. La question paradoxale qui se pose avec le président réélu est celle-ci : va-t-il prendre des mauvaises mesures qui vont affaiblir son pays ? MAWA : « Make Americain Weak Again » ?
Commençons par la politique étrangère avec un maître mot : l’isolationnisme. Donald Trump ne veut plus engager des GI et en vérité surtout des dollars, pour venir défendre celui-ci ou celui-là. Il a beaucoup de défauts mais certainement pas celui d’être un va-t-en-guerre. Il se fait fort d’établir « en quelques jours » la paix là où ça brûle, en Ukraine et au Moyen-Orient, et ensuite « go home ». Cette politique de repli n’est pas en totale rupture avec ses prédécesseurs, Barack Obama l’a tracée après les déboires de l’interventionnisme « à la Bush ».
On verra ce qu’il en sera mais le paradoxe MAWA commence ici à l’extérieur : grâce à leur puissance militaire, leur flotte, leurs armes de pointe et leurs fantastiques réseaux mondiaux de surveillance, les Etats-Unis sont venus en renfort de leurs « proxys », les Ukrainiens et les Israéliens, qui ont infligé une nette défaite à leurs ennemis russes et iraniens. Poutine qui se croyait arrivé à Kiev en deux semaines n’a gagné, à très haut prix, qu’un petit bout de territoire. Son économie a résisté en surface mais la Russie, ayant perdu ses réserves monétaires comme ses meilleurs jeunes, est exsangue. Même constat au Moyen-Orient où sur les fronts palestinien, libanais, syrien, l’armée israélienne, soutenue par l’Amérique et l’écroulement de Bachar al-Assad, a infligé un terrible recul au régime des mollahs. La puissance mondiale des Etats-Unis est actuellement non pas faible, mais très forte. L’isolationnisme aboutira à quoi si l’Amérique tourne le dos à ses amis ? Peut-on préserver la plus forte armée du monde en la laissant dormir dans ses casernes ?
Le plus « à contre-temps » de l’élection de Donal Trump viendra de la politique économique intérieure
Pénuries. Et la Chine, le grand rival thucydidien ? Donald Trump se pose là aussi en continuateur de la ligne anti-Pékin de ses prédécesseurs et de toute la classe politique américaine. Mais il avait brusqué les choses lors de son premier mandat en introduisant des barrières douanières et des embargos. L’effet produit n’est pas allé dans le sens voulu : Xi Jinping a accéléré ses efforts dans les hautes technologies avec pour résultat de donner à ses entreprises une avance certaine dans les industries vertes, dont l’automobile, et de leur permettre un rattrapage dans l’Intelligence artificielle, l’aéronautique et, demain, la biologie. Trump 2 veut brusquer plus encore sa politique avec des tarifs douaniers à 60 % mais quelles en seront les conséquences ? Pékin sera poussé à conquérir d’autres marchés, dans le Grand Sud et en Europe, c’est-à-dire que le grand rival rayonnera quand l’Amérique se repliera. Great or Weak ?
Le plus « à contre-temps » de l’élection de Donal Trump viendra de la politique économique intérieure. On l’a dit, la croissance est exceptionnelle, 2,5 % l’an prochain, le marché du travail est excellent, les investissements dans l’industrie et la technologie, boostés par les plans de Joe Biden, sont sommitaux. Trump hérite des Quarante Glorieuses technologiques qui ont rendu l’économie forte car innovante. Il veut installer le protectionnisme aux frontières, renvoyer des migrants, abaisser les impôts et ôter les contraintes écologiques et prudentielles. Sur le fond idéologique, il veut mener la guerre contre « l’Etat profond » truffé de démocrates progressistes et contre le wokisme afin de rétablir les valeurs américaines. Avec quel effet économique ?
Le paradoxe MAWA est d’abord macro. Le renvoi des immigrés va provoquer des pénuries dans beaucoup de secteurs et tendre le marché du travail, c’est-à-dire va profiter aux salariés pour demander des hausses. Des droits de douane à 60 % sur les produits chinois et 10 %-20 % sur les autres seront également très inflationnistes. La hausse des prix qui, déjà, semblait plus résistante que voulu notamment dans les services, ne peut que gonfler. Le conflit avec la FED est préprogrammé : le président va vouloir des baisses de taux, l’autorité monétaire refusera. L’indépendance de la Banque centrale sera mise en jeu. Rien de tout cela n’est bon à court et moyen terme pour l’économie américaine.
Le capitalisme ne sera plus libéral, il sera en faveur des « gagnants »
Rentes. Le paradoxe est ensuite structurel. Avec Trump se confirme la victoire des rentes : la déréglementation signifiera l’abandon des tentatives démocrates de rétablir plus de concurrence dans l’internet et dans beaucoup d’autres secteurs où les gros « font les prix » à leur guise (internet, télécoms, chimie, pharmacie...). Le débat est ouvert : ces géants servent-ils à accélérer l’innovation et les gains de productivité — auquel cas ils sont utiles à l’ensemble de l’économie américaine —, ou au contraire sont-ils si impérieux et si avides qu’ils sont devenus des freins à l’innovation pour demain ? Plus largement, est-ce le bon moment de « durcir » encore le capitalisme ou, comme le voulait Joe Biden, de l’adoucir en redonnant à l’Etat-Providence de la force par des impôts sur les gagnants ?
Une bonne moitié des économistes est dubitative : refouler l’immigration, installer le protectionnisme et préférer la puissance à la concurrence sont des mauvais choix. La Bourse a applaudi, les milliardaires se sont ralliés derrière le porte-drapeau Elon Musk en faveur de ce qui se veut un capitalisme dur assumé. Les démocrates voulaient se rapprocher du modèle européen de capitalisme « inclusif », Donald Trump prend la direction totalement opposée. Le capitalisme ne sera plus libéral, il sera en faveur des « gagnants ». L’idée muskienne est que l’Amérique sera forte si elle ne s’attarde pas à pleurer sur ceux qui tombent.
D’où le paradoxe Great ou Weak politique. Des membres de la classe moyenne ont voté Trump parce qu’il dit les entendre. Le président réélu va-t-il les secourir vraiment ou n’était-ce qu’une Great mystification ?
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