Entretien

Vote de confiance à l’Assemblée nationale, recours à l’article 16, déchéance du président : l’ancien conseiller politique et essayiste présente quelques pistes pour sortir de l’impasse dans laquelle la dissolution de l’Assemblée nationale a conduit le pays.

Le Figaro - 14 août 2024 - Par Alexandre Devecchio

 

LE FIGARO. - Vous aviez critiqué la dissolution décrétée par Emmanuel Macron le 9 juin dernier. Le président s’en est-il mieux sorti que prévu ?

Alain MINC. - Une fois la parenthèse enchantée des Jeux olympiques terminée, Emmanuel Macron se cognera au mur constitutionnel. En principe, le président de la République aurait dû suivre la règle parlementariste, en invitant les partis dans l’ordre d’arrivée aux élections législatives, à la seule condition que le premier ministre nommé s’engage à demander, dans les quarante-huit heures, la confiance de l’Assemblée nationale. 

De cette façon, il aurait pu lever l’hypothèque de « déni de démocratie » dénoncé par Jean-Luc Mélenchon. Or, Emmanuel Macron ne peut s’en sortir qu’à une seule condition : aider les socialistes à se dissocier des Insoumis. S’il reste prisonnier de ce « déni de démocratie », les socialistes ne pourront pas lui faire la grâce d’une abstention lors du vote du budget, ce qui le conduirait à une impasse.

Vous dites que Jean-Luc Mélenchon dénonce un « déni de démocratie ». N’est-ce pas une tendance réelle du macronisme ?

Emmanuel Macron a en effet une conception verticale du pouvoir. Mais cette conception s’inscrit dans le monde d’hier, monde dans lequel il pouvait détenir tous les pouvoirs tels que la Ve République les lui accorde. Aujourd’hui, le président de la République est un boxeur avec au moins un bras attaché derrière le dos, si ce n’est les deux. Il doit donc jouer avec habileté, s’il ne peut plus jouer avec autorité.

En quoi la stratégie que vous proposez, obtenir l’abstention des socialistes, serait-elle une stratégie habile ?

Le Rassemblement national et les Insoumis ensemble n’ont pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Avec les socialistes, ils obtiennent cette majorité et peuvent adopter une motion de censure, et ainsi empêcher le vote d’un budget. La position d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire nommer une personnalité sans avoir prouvé l’incapacité du Nouveau Front populaire à gouverner, conduirait à une montée des extrêmes. Les intégristes du macronisme poseront alors la question de l’utilisation de l’article 16, c’est-à-dire l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et le respect des engagements internationaux. 

Les intégristes de l’antimacronisme considéreront cela comme un acte autoritariste, et y répondront en évoquant la procédure de déchéance que prévoit la Constitution. Cette procédure repose sur le vote à la majorité absolue des deux assemblées, puis le vote des deux tiers des chambres réunies en Congrès. Cette montée aux extrêmes créerait les conditions d’une véritable crise de régime.

La solution d’une potentielle crise de régime ne réside-t-elle pas justement dans la démission du président de la République ?

D’abord, la démission du président de la République est un acte politique. Il ne faudrait pas la voir comme l’abdication des Bourbons ou des Habsbourg, selon la tradition monarchique française. Ensuite, si la démission advenait, elle ne résoudrait rien : le successeur ne pourrait pas non plus dissoudre l’Assemblée nationale avant le mois de juin prochain. Le capital politique acquis lors de l’élection présidentielle se volatiliserait immédiatement. 

Si un projet de budget est déposé par un gouvernement, quel qu'il soit, il est à la merci d'une motion de censure. Seule l'abstention des socialistes éviterait le vote d'une motion de censure

Alain Minc

Cette voie, avant le mois de juin prochain, n’est pas la solution. Celle que j’ai dessinée précédemment ne garantit pas non plus la fin de l’impasse, mais elle pourrait ouvrir la voie d’une hypothétique solution. Au-delà, je n’en vois aucune autre. À la rentrée, aucun budget ne sera adopté et les marchés s’agiteront. Toutes les conditions de l’impasse semblent réunies.

L’hypothèse d’un gouvernement technique est-elle à exclure ?

Remplacer le ministre des Affaires étrangères par la secrétaire générale du Quai d’Orsay fonctionnerait. Mais la directrice du budget ne peut pas édicter le budget de la France : le Parlement doit le voter. Si un projet de budget est déposé par un gouvernement, quel qu’il soit, il est à la merci d’une motion de censure. Seule l’abstention des socialistes éviterait le vote d’une motion de censure. Cependant, comment obtenir l’abstention des socialistes sans lever l’hypothèque de départ, le « déni de démocratie », par un vote de confiance refusé au gouvernement du Nouveau Front populaire ?

Peut-on imaginer la formation d’un gouvernement de droite, en obtenant l’abstention du Rassemblement national ?

En supposant que cette hypothèse fonctionne d’un point de vue technique, elle serait absurde d’un point de vue politique.

Peut-on trouver un homme providentiel ?

Quand bien même la France dénicherait un homme comme Mario Draghi, c’est-à-dire un personnage mondialement reconnu, il serait confronté au même problème. Un Mario Draghi français ne pourrait faire adopter un projet de loi de finances sans l’abstention du camp socialiste. Or, Emmanuel Macron a écarté leur candidate d’un revers de la main. Lucie Castets semble en effet avoir été choisie à l’initiative du Parti socialiste. 

Il faut d’abord prouver qu’un gouvernement Castets ne fonctionne pas, pour donner ensuite une chance à un gouvernement technique ou à une personnalité de centre droit. La situation est inédite et laisse la France sans solution, sauf en cas d’abstention d’un pan important de l’Assemblée lors du vote du budget, ce qui laisserait entrevoir un espace pour un gouvernement capable de faire adopter un budget.

On en revient au péché originel de la dissolution…

Dissoudre en pensant renouveler son capital politique est un déni de réalité. Il ne s’agissait pas d’une cohabitation entre deux vieux partis, comme celle de François Mitterrand et Jacques Chirac, mais d’une cohabitation d’une autre nature, avec le Rassemblement national. Selon moi, Emmanuel Macron pensait véritablement remporter ces élections.

Aujourd’hui, la composition de l’Assemblée nationale met bien plus en danger Emmanuel Macron qu’il ne l’aurait été en cas de cohabitation. Il doit résoudre une crise qu’il a lui-même provoquée. Or, en tant que président d’un pays aussi complexe que la France, il ne doit pas créer de crises, mais les éviter.