Le journaliste Jean-François Achilli. Le Figaro Magazine

Entretien

Licencié le 29 avril à la suite d'un article du Monde qui l'accusait d'avoir participé à un projet de livre de Jordan Bardella, l'animateur des Informés a quitté l'antenne de France Info après une saison estivale où son émission a réalisé une audience historique. Il a accepté de sortir de son silence.

 Le Figaro - 25 mai 2024 - Par Judith Weintraub

Avez-vous commis une faute professionnelle ou êtes-vous victime d'un licenciement politique ?

J'ai commis le crime à Radio France d'avoir été approché par le président du RN pour un projet de livre qui n'a jamais abouti. Imaginez la même histoire avec Raphaël Glucksmann ou Jean-Luc Mélenchon : les rédactions du groupe se seraient levées dès ma mise à pied pour voler à mon secours. Personne n'a bougé. Sur le fond, Jordan Bardella voulait un récit personnel, je lui proposais un livre d'entretiens. Pourquoi m'avoir approché, moi ? Il se trouve qu'il avait lu l'essai sur la vie de Charles Pasqua, Le Serment de Bastia (Fayard), que j'avais coécrit avec l'ancien ministre de l'Intérieur et qui mêlait les deux genres.

Mais au final, nous ne sommes pas parvenus, le président du RN et moi-même, à un accord, ce pourquoi il n'y a pas de livre, pas de contrat, pas d'argent. Je n'ai donc pas eu à annoncer un tel projet à la direction de France Info, comme l'exige le règlement sur les collaborations extérieures, selon lequel une telle demande doit être formulée « au plus tard un mois avant la collaboration envisagée ». J'avais passé mon chemin. Où est donc ce prétendu « conflit d'intérêts » ? Je n'ai pas commis de faute professionnelle et il y a une dimension éminemment politique dans mon licenciement.

Le directeur de France Info a justifié sa décision le jour même dans Le Parisien en affirmant que vous auriez « corrigé les épreuves » du livre de Jordan Bardella et qu'en période électorale, cela revenait à « collaborer » à une « stratégie de conquête ». Pourquoi ne pas avoir réagi à cette mise en cause publique ?

J'ai été surpris de le voir s'exprimer ainsi et en ces termes, après tant d'années de bons et loyaux services au sein de la chaîne. Si je me suis tu, c'est tout simplement parce qu'une procédure était en cours et que je me devais de la respecter. Je suis sidéré par tant d'inélégance et de violence. En quoi porter un regard sur des ébauches – et non pas des « épreuves » qu'au demeurant je n'ai jamais « corrigées » – et faire des retours constitue une collaboration ?

Surtout pour un essai qui avait vocation à être publié après les élections européennes ? Et qui n'a jamais existé ? Pour le reste, imaginez : vous êtes journaliste politique, le candidat du Rassemblement National, susceptible de réaliser un possible score conséquent aux élections européennes, vous envoie ses textes et vous ne les lisez pas ?

Même si un grand nombre de reportages très documentés sont régulièrement publiés, n'avez-vous pas envie d'aller un peu plus loin et de savoir ce qu'il y a sous le capot d'un Jordan Bardella ? De comprendre ce qui motive aujourd'hui le vote RN ? Le journalisme ne doit-il pas nous pousser à sortir de notre zone de confort et à aller au contact, tout en restant à distance ? À quel moment, durant toutes ces années d'éditos et d'interviews politiques réalisés sur France Inter et sur France Info, ai-je été pris en flagrant délit d'un quelconque prosélytisme en faveur de tel candidat ou de tel camp politique ?

Vous auriez également fait du média training sans en avertir votre direction…

La méthode est classique : quand on veut tuer son chien… N'est-il pas étrange d'avoir été écarté de l'antenne pour cette affaire de livre fantôme et d'avoir vu apparaître, au fil des semaines, par voie de presse, des accusations non documentées de prétendues prestations, venues se greffer comme pour brouiller mon image, ternir ma réputation et faire oublier l'essentiel : j'ai été licencié pour avoir échangé avec le président du RN et pour un projet de livre d'entretiens qui n'a pas vu le jour.

Où en êtes-vous sur le plan juridique ?

J'ai demandé à mon avocat de porter l'affaire devant le conseil des prud'hommes.

Le Monde prétend que vos relations avec la tête de liste RN aux européennes illustrent « la capacité de Jordan Bardella à séduire le milieu politico-médiatique français et à faire sauter les digues ». Avez-vous la sensation de participer à une entreprise de « normalisation » du Rassemblement National ?

Il s'agit d'un pur postulat : échanger avec une personnalité ne signifie en rien adhérer à ses idées, quel que soit son bord. Pourquoi avoir parlé de « séduction » voire de « porosité » ? Les 88 députés RN présents à l'Assemblée Nationale n'ont-ils pas été élus à la régulière ? N'est-il pas nécessaire de tenter de comprendre les ressorts profonds de la constante progression du vote RN ?

Non, je ne participe en aucune façon, comme je l'ai entendu dire, à une quelconque « dédiabolisation » ou « normalisation » d'un parti déjà invité en boucle dans tous les médias. Je le revendique haut et fort : je ne suis pas « poreux », je suis simplement curieux. La curiosité doit rester le moteur du journalisme.

La SDJ de Radio France ne vous a pas défendu. En revanche, elle soutient l'humoriste de France Inter Guillaume Meurice, récidiviste de sa blague « Netanyahou, un nazi sans prépuce » et l'ex-collaboratrice de la chaîne Nassira El Moaddem qui a qualifié la France de « pays de racistes dégénérés. » Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?

Cette mobilisation à sens unique ne m'a pas surpris. Elle signe le caractère partisan qui traverse désormais les couloirs de la maison ronde. Le seul nom de Jordan Bardella aura fonctionné comme un repoussoir dans tout Radio France, sans que personne ne cherche à comprendre ce qui s'était réellement produit. Quand l'on défend la liberté d'expression, il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. Je le rappelle, je n'ai jamais milité en rien pour aucune personnalité politique.

Certains ont été jusqu'à accuser votre compagne Chloé Morin d'être « proche du RN ». Son dernier livre, consacré au wokisme, a par ailleurs été étrillé par des médias de gauche. Y aurait-il une affaire Morin dans l'affaire Achilli ?

Les médias en question passent leur temps à nous associer. Quelle vision patriarcale de la société ! Nous sommes certes unis dans la vie privée mais chacun trace son propre sillon professionnel. Chloé Morin, une politologue reconnue, issue de ce qui reste d'une gauche républicaine et laïque, a signé un essai très documenté et surtout très équilibré sur le wokisme : ses détracteurs l'ont-ils réellement lu ? J'en doute.

Le fait d'y avoir donné la parole à Marine Le Pen ferait de Chloé Morin une « proche du RN » ? Mais alors, puisqu'elle donne à jeu égal la parole à Sandrine Rousseau, pourquoi ne serait-elle pas également proche d'EELV ? Au fond, nous sommes tous les deux victimes d'une même forme de sectarisme. Sera-t-elle d'ailleurs à l'avenir bannie des radios publiques à cause d'une histoire qui ne la concerne pas directement ? Toutes ces accusations sans fondement relèvent d'un mélange de paresse et de haine.

Vous avez travaillé plus de deux décennies pour le service public de l'audiovisuel. Vous n'aviez jamais remarqué les partis pris idéologiques à Radio France avant d'en être personnellement victime ?

J'ai connu jadis une maison ouverte, plurielle et libre. Vous y rencontrez toujours aujourd'hui un très grand nombre de professionnels de talent, animateurs, journalistes, techniciens et j'en oublie… Mais la sérénité qui prévalait dans les couloirs de la maison ronde a cédé la place à une société de la défiance et de la peur. Le 7 octobre aura notamment constitué, à mon sens, une gêne, voire une ligne de fracture.

Je pense au traitement souvent partial des terribles conséquences à Gaza de l'attaque terroriste massive du Hamas, sans laquelle il convient de rappeler qu'il n'y aurait pas eu le déclenchement de cette épouvantable guerre, au film de Tsahal sur les massacres abordé avec méfiance, sous l'angle de la propagande, ou encore à l'incapacité des néoféministes à condamner clairement les crimes commis contre les femmes en Israël. Mon ressenti n'a fait qu'accélérer ma prise de conscience.

Radio France est victime depuis des années d'une lente dérive au service d'une seule orientation idéologique et non plus au service de tous les Français, ceux-là mêmes qui financent la radio publique et à qui elle devrait s'adresser de manière universelle. Retrouver une forme d'équilibre et de neutralité sera sans aucun doute l'un des enjeux majeurs de la future réforme qui se profile.