Entretien
A la tête du réseau français d’entrepreneurs CroissancePlus, Audrey Louail* corrige les préjugés sur les créateurs d’entreprise et livre ses attentes pour la rentrée
L'Opinion - 19 août 2024 - Par Sarah Spitz
Dans votre livre, Idées reçues sur les entrepreneurs, vous démontez un à un les clichés les concernant. A qui adressez-vous ce message ?
Au grand public, aux jeunes pour leur donner l’envie d’entreprendre. On manque encore aujourd’hui de personnes qui veulent et osent se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Le livre s’adresse aussi aux pouvoirs publics.
Ces dernières années, l’image de l’entrepreneur s’est beaucoup améliorée…
C’est vrai. Dans les années 1990, on ne parlait pas du tout des entrepreneurs ! C’est Nicolas Sarkozy qui a été le premier à utiliser ce mot dans un discours. A l’époque, si vous sortiez d’une bonne école, vous alliez naturellement travailler dans des grands groupes : créer sa boîte était mal vu. C’est surtout à partir de 2014 que l’on a commencé à en parler. Ensuite, la French Tech a contribué à améliorer l’image de l’entrepreneuriat.
Malgré tout, des clichés ont encore la peau dure. Lesquels font le plus de mal aux entrepreneurs ?
On entend souvent que l’entrepreneur est riche. On l’imagine avec le beau costume, la voiture et le cigare. En réalité nous n’avons pas de revenus fixes, l’entrepreneur ne se paye pas tant que l’entreprise n’est pas rentable et il y met souvent toutes ses économies personnelles… Les médias font parfois leur une sur les entrepreneurs les plus riches dans le monde, mais il ne faut pas confondre les dividendes perçus par le patron et la valeur de sa société. Les entrepreneurs en détiennent une large part, mais elle peut fluctuer en fonction des performances de l’entreprise et elle n’est pas monnayable. Un autre préjugé est que les entrepreneurs sont de droite. Lorsqu’on regarde dans les sondages comment ils votent, un tiers ne déclare aucune intention de vote, le reste est ensuite réparti très équitablement entre la gauche et droite. Il n’y a pas de politique entrepreneuriale de gauche ou de droite non plus. On considère souvent que la droite est le parti de la dérégulation et la gauche celui des taxes. Mais le gouvernement qui a mis en place le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) en 2013 est celui de François Hollande. Donc tout cela ne veut pas dire grand-chose. Enfin, une autre idée reçue est que l’entrepreneur prend ses décisions seul. Certes, sa motivation est la liberté, mais il doit rendre des comptes à tout le monde : actionnaires, salariés, CSE, clients, fournisseurs, Etat, banque, compagnie d’assurances, et même sa famille.
Il faut décorréler le chef d’entreprise du chef dans l’entreprise. Souvent, les grands groupes sont dirigés par des directeurs généraux qui n’ont pas d’actions. Ce sont simplement les managers d’une entreprise. Alors que pour un entrepreneur, sa boîte est presque le dernier enfant de la famille, il y met ses tripes !
Selon vous, on aurait tendance à confondre l’entrepreneur et le grand patron…
Il faut décorréler le chef d’entreprise, qu’est l’entrepreneur, du chef dans l’entreprise. Souvent, les grands groupes sont dirigés par des directeurs généraux qui n’ont pas d’actions mais des salaires extrêmement importants. Ce sont simplement les managers d’une entreprise et les grands groupes sont dirigés par eux. Alors que pour un entrepreneur, sa boîte est presque le dernier enfant de la famille, il y met ses tripes !
La start-up nation, elle, semble incarner plusieurs clichés associés aux entrepreneurs : des hommes, diplômés des grandes écoles, qui vont à 200 à l’heure et peuvent devenir riches… Ils représentent un certain sérail. Cela n’écorne-t-il pas l’image de l’entrepreneuriat ?
Je n’irais pas jusque-là, ils participent au rayonnement de la France. En revanche, là où je ne me reconnais pas, c’est dans cette financiarisation de l’économie. Pour qu’une entreprise puisse se développer, elle a besoin de temps pour se transformer en PME, en ETI. Dans la start-up nation, peu de temps après sa création, l’entreprise est bien valorisée, puis très vite revendue. Nous, on est sur le temps long, eux sur le temps cour
Quel est le plus gros frein aujourd’hui à la création d’entreprise et à sa réussite ?
Ce sont les normes et les taxes. En France, c’est un parcours du combattant, on est bien derrière les Etats-Unis et l’Allemagne. On a 180 impôts et taxes, 400 000 normes françaises et européennes. Il faut choisir un statut juridique, une forme d’imposition, il faut un K-bis, déclarer des bénéficiaires effectifs, choisir un régime de mutuelle… On attendait la loi Pacte 2, mais l’Assemblée nationale a été dissoute, or nous avons vraiment besoin de simplification.
L’entrepreneuriat est-il encore un monde masculin ?
La France ne s’en sort pas mal au niveau européen. Mais ce qui pose problème, c’est que plus l’entreprise grandit, moins il y a de femmes : seules 12 % des PME et ETI sont dirigées par des femmes. Beaucoup ont le syndrome de l’imposteur et la peur de ne pas être à leur place, et la sphère privée reste encore majoritairement à la charge des femmes.
L’enjeu de la rentrée sera donc de rassurer les patrons. Nos collaborateurs ont besoin de vision sur le long terme et aujourd’hui, nous, entrepreneurs, n’avons pas cette vision de la part du gouvernement. On navigue à vue
La rentrée de septembre sera unique en son genre. A quoi vous attendez-vous ?
La situation actuelle est extrêmement dégradée. Nous avons mené un sondage juste avant les vacances en juillet auprès de nos 450 entreprises adhérentes : 50 % déclaraient une stagnation ou une baisse de chiffre d’affaires et annonçaient des emplois gelés ou des baisses d’effectifs. On est convaincus que les entreprises sont le poumon de l’économie et pour que le pays reparte, on a besoin d’elles pour créer de l’emploi et des recettes fiscales. L’enjeu de la rentrée sera donc de rassurer les patrons. Nos collaborateurs ont besoin de vision sur le long terme et aujourd’hui, nous, entrepreneurs, n’avons pas cette vision de la part du gouvernement. On navigue à vue.
Faut-il avoir peur de la gauche ?
Les mesures que porte l’extrême gauche sont dangereuses : le smic à 1 600 euros ou encore limiter la transmission à 12 millions d’euros. On arrive assez vite à une telle valorisation, comment va-t-on transmettre les entreprises dans ce cas ? Je ne vois pas pourquoi l’Etat récupérerait la société à ses héritiers ou à ses collaborateurs. C’est de la spoliation ! Avec de telles mesures, les entrepreneurs voudront partir à l’étranger. Ce programme révèle une méconnaissance de la vie économique, avec quasi aucune mesure en faveur des entreprises.
*Audrey Louail est présidente de CroissancePlus, réseau associatif de 450 entrepreneurs de croissance. Elle dirige également Ecritel, société d’hébergement informatique depuis 2007 qui revendique 12 datacenters, 250 collaborateurs et une croissance annuelle de 15 %.
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