Entretien
Alors que dix-huit députés du groupe Droite républicaine, présidé par Laurent Wauquiez, ont voté le budget de la Sécu, le président LR estime que ce texte « ne peut pas être le deuxième tour de l’élection au parti ».
Le Figaro - 11 décembre 2025 - Par Claire Conruyt
LE FIGARO. - Le budget de la Sécu est passé à 13 voix près à l’Assemblée. Il a donc été adopté grâce aux 18 députés LR qui ont décidé de voter « pour » malgré votre consigne…
BRUNO RETAILLEAU. - Le vote de ce budget est un triomphe pour Olivier Faure et une défaite pour la France. Si Michel Barnier et François Bayrou avaient autant lâché à la gauche, ils n’auraient pas été censurés ! Je signe et je persiste : ce budget n’était pas votable. Il sacrifie l’avenir au présent : c’est l’abandon de la réforme des retraites, et c’est plus d’impôts et d’endettement. Nous serons à 24 milliards de déficit, soit quasiment le double du déficit de la Sécurité sociale en 2023 ! C’est l’une des pires lois de financement de la Sécurité sociale que j’ai vues depuis des années.
Que dites-vous à ces députés ?
Que je regrette leur vote. Que certes il n’y a pas de mandat impératif et que les députés sont libres. Et que j’ai conscience que la situation est extraordinairement complexe pour tout le monde. Mais je suis convaincu que si tant d’électeurs ont quitté la droite, c’est parce que la droite a trop souvent manqué de cohérence. Comment reconnaître un parlementaire de droite quand il accepte la suspension d’une réforme des retraites que nous portons parce qu’elle est cruciale pour l’avenir du pays ? J’entends souvent parler de députés autoentrepreneurs : pour moi, c’est la négation de la politique. La politique, ce n’est pas une aventure individuelle, c’est au contraire le service du bien commun. On ne fait pas de la politique pour soi seul mais pour le bien du pays.
Faut-il une sanction, comme vous l’avez fait en suspendant les six ministres LR qui sont entrés au gouvernement contre l’avis du parti ?
Non, encore une fois la liberté de vote d’un député est un droit constitutionnel. Mais j’ai été élu président du parti sur une ligne : celle de la clarté et de la fidélité à nos convictions. Incarner cette ligne, c’est mon devoir, c’est ma charge. Et je compte bien m’y tenir, que cela plaise ou non. La voix de nos adhérents ne sera pas étouffée, elle ne sera pas trahie.
Le budget de la France ne peut pas être le deuxième tour de l’élection au parti
Bruno Retailleau
Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’au « chaos » d’un pays sans budget, il vaut mieux le « moindre mal » ?
Le chantage au chaos et à l’instabilité, ça suffit. Le chaos, c’est ce budget socialiste qui précipite la France dans le mur. Comment se fait-il que dans ce budget, le gouvernement n’ait rien proposé sur l’aide médicale d’État ? Les Français qui cotisent sont en réalité moins remboursés que les clandestins. C’est un sentiment d’injustice qui les révolte, et à juste titre.
Pourquoi Laurent Wauquiez et vous n’avez-vous pas accordé vos violons budgétaires entre le groupe et le parti ?
Nous l’avons fait. Mais je constate qu’il y a eu des négociations de couloir avec le gouvernement pour faire passer un budget nuisible aux intérêts supérieurs du pays. Le budget de la France ne peut pas être le deuxième tour de l’élection au parti. Le ressentiment ne peut pas tenir lieu de ligne politique, ce serait consternant.
Allez-vous vous revoir ?
Bien sûr, mais les choses sont claires : dans un parti politique, aucune aventure individuelle ne peut prospérer sur un affaiblissement collectif.
Au Figaro , Éric Ciotti a eu cette explication : Laurent Wauquiez serait animé par l’envie de vous « détruire » . Faites-vous le même constat ?
« Mon Dieu, préservez-moi de mes amis ; mes ennemis, je m’en charge. »
Tout au long des discussions budgétaires, Sébastien Lecornu a choisi son interlocuteur : Laurent Wauquiez. Je comprends maintenant pourquoi…
Bruno Retailleau
En 2027, la droite plaidera-t-elle pour le retour aux réformes Borne et Touraine, ou la « suspension » exige-t-elle d’aller encore plus loin sur l’âge de départ ?
Le vote d’hier illustre le mal français. Nous sommes le seul pays en Europe à revenir sur une réforme des retraites alors que nous avons l’âge de départ le plus précoce et le niveau de pensions le plus élevé. Je ne veux pas mentir aux Français : cette situation est intenable et un simple ajustement ne pourra pas changer la donne. Il faut assumer de travailler plus, mais il faut aussi ajouter un troisième étage par capitalisation. En une dizaine d’années, nous pouvons être en mesure de créer une réserve d’épargne d’à peu près 1 000 milliards d’euros : c’est ce qui permettra aux futures générations de bénéficier d’une bonne retraite, et aux entreprises de disposer de capitaux souverains. Malheureusement, ce que l’on a fait aujourd’hui, c’est reporter le fardeau des déficits et de la dette sur les jeunes générations. Balzac dit qu’aucune génération n’a le droit d’en amoindrir une autre…
Depuis que vous avez fait exploser son premier gouvernement, avez-vous échangé avec Sébastien Lecornu ?
Non, et pour cause. Tout au long des discussions budgétaires, il a choisi son interlocuteur : Laurent Wauquiez. Je comprends maintenant pourquoi… Je me souviens de mes rencontres avec Sébastien Lecornu, en compagnie des autres présidents de parti de ce qu’on appelait le « socle commun ». Immuablement, le premier ministre commençait en disant : « Évidemment, on ne remet pas en cause la réforme des retraites ». CQFD.
Les présidentiables de chaque camp sont de plus en plus identifiés, sauf chez LR, où aucun « candidat naturel » ne s’impose. Ce vote n’est-il pas le reflet d’une absence d’autorité ?
Non, ne mélangeons pas tous les sujets. Mais il est certain qu’en choisissant notre candidat à la présidentielle, nos adhérents choisiront aussi une ligne. Pour ma part, la mienne sera toujours la plus claire et la plus cohérente possible.
Si nous disons la vérité et si nous avons la volonté de renverser la table, nous créerons une dynamique qui l’emportera
Bruno Retailleau
Si le « socle commun » et le bloc central n’existent plus, que doit faire LR en 2027 : porter une candidature de la droite et du centre ou une candidature de l’union des droites ?
Je suis le président du premier parti politique de France en termes d’adhérents, d’élus locaux et de parlementaires. Nous devons devenir le premier parti politique en termes d’électeurs et mon rôle est de garantir notre présence à l’élection présidentielle car nous avons une vision singulière. Face à l’effondrement profond que nous vivons, face à une France qui est de moins en moins entendue dans le monde et qui vit douloureusement son déclassement, il nous faut réagir. Je proposerai trois priorités pour reconstruire notre pays. D’abord, la prospérité par le travail plutôt que l’assistanat. J’assumerai de privilégier la France des honnêtes gens, ceux qui méritent plutôt que ceux qui profitent du système. Ensuite le retour de l’autorité de l’État, c’est-à-dire redonner le pouvoir au pouvoir pour réduire l’immigration, refaire une vraie politique pénale et protéger les Français. Enfin, la fierté française, parce que c’est en étant fiers de leurs pays que les Français retrouveront le goût de se dépasser. Aujourd’hui, nos concitoyens ont honte d’un pays qui est sur la pente du déclin. Et nous avons passé des décennies à déconstruire les repères qui nous constituent. Les États-Unis parient sur le fait que l’Europe est menacée d’un effacement civilisationnel. Je fais moi, au contraire, le pari que la France des honnêtes gens n’attend qu’un geste pour renouer avec la fierté de ce que nous sommes. Mais pour cela il faut une école qui transmet, une culture qui nous réunit et une République qui soit respectée.
Mais LR seul, à ce stade, n’est pas assez puissant pour accéder au second tour…
C’est vrai, pour l’instant. Mais il y a du temps. Je l’ai démontré au ministère de l’Intérieur : si nous disons la vérité et si nous avons la volonté de renverser la table, nous créerons une dynamique qui l’emportera, qui séduira aussi bien les électeurs du Rassemblement national, de Reconquête, les macronistes déçus et les abstentionnistes. Bref, tous les patriotes qui aiment la France et qui veulent la reconstruire.
Le budget de l’État va arriver. Que répondez-vous à ceux qui considèrent que la droite va être la béquille d’une alliance entre la gauche et le centre ?
On ne doit jamais s’opposer par principe. Mais on doit toujours voter en fonction de ses principes. C’est ce que le Sénat a fait en supprimant par exemple la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés, en réduisant de façon drastique la taxe sur les holdings familiaux aux seuls biens somptuaires, en supprimant les taxes comportementales, etc. Par ailleurs, le Sénat a proposé des économies : par exemple le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux (Emmanuel Macron avait promis 120 000 fonctionnaires de moins en 2017. Ce sera 200 000 de plus), l’alignement sur les trois jours de carence du privé… Voilà ce que le Sénat est en train de voter. Ensuite, il y aura une commission mixte paritaire, mais il ne pourra pas y avoir d’accord sur un budget qui augmenterait considérablement les impôts et ne réduirait pas significativement la dette.
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