Entretien
Il promet aux élus locaux des « ajustements significatifs du projet de loi de finances » et rejette l’idée de tout nouvel impôt. Résigné à passer le budget par l’article 49-3, Michel Barnier précise sa position sur la suppression d’un jour férié, les difficultés dans l’industrie, l’agriculture, la sécurité, la santé… Alors que les colères se multiplient, celui qui ne s’est « pas roulé par terre pour être Premier ministre » détaille sa méthode : « Remettre du calme, du respect partout. »
Ouest France - 14 novembre 2024 - par Cyril PETIT, Yves-Marie ROBIN et Stéphane VERNAY.
Où en est Michel Barnier, soixante-dix jours après son entrée à Matignon ? Débats épiques au Parlement sur le budget, fronde des élus locaux, colère agricole, grèves, fermetures d’usines… Finances, industrie, agriculture, environnement, santé, sécurité, démocratie : le Premier ministre répond aux questions d’Ouest-France sur ses défis à court terme et les projets qu’il entend mettre en œuvre pour durer. Son objectif ? « Sans baguette magique ni esbroufe, améliorer le quotidien des Français. »
Il en profite pour résumer sa méthode : « Vous devez comprendre que je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier ministre. J’étais prêt, disponible, mais je n’étais pas demandeur. J’ai accepté en me disant que je pouvais être utile. Avec ma méthode. J’essaie de remettre du calme, du respect partout. Le respect n’est pas un gadget, c’est une condition pour réussir. »
Un 49-3 pour le budget ? « Probablement »
Le volet recettes du projet de loi de finances a été largement rejeté à l’Assemblée nationale mardi par les députés macronistes, la droite et l’extrême droite. Aurons-nous un budget avant la fin de l’année ?
Bien sûr que nous aurons un budget pour 2025, c’est l’objectif ! Mais un budget sérieux et responsable, pas déformé comme il l’a été à l’Assemblée, dans sa partie recettes par des votes improbables. Nous tiendrons compte d’idées de tous les groupes, en particulier des quatre du socle commun qui m’accompagnent : Ensemble pour la République, le MoDem, Horizons et la Droite républicaine. Sans oublier le Sénat évidemment, qui compte une majorité soutenant le gouvernement.
Pourriez-vous reprendre des amendements du Nouveau Front populaire, qui avait largement remanié le texte ?
Je ne l’exclus pour aucun groupe. Nous regarderons toutes les propositions aptes à créer du progrès, sans mettre en cause l’équilibre général du projet de loi de finances. Il est de l’intérêt du pays de réduire cette dette énorme pesant sur nos enfants et petits-enfants.
À la fin, vous serez obligé de déclencher le 49-3…
Probablement. Quand je vois ce qu’il s’est passé à l’Assemblée, il me semble difficile de faire autrement au bout de la discussion. Mais vous observerez que nous avons fait le choix de laisser le débat s’y dérouler.
Dans ce budget, vous demandez un effort important aux collectivités locales. Allez-vous le maintenir face à la colère des élus locaux, notamment des présidents de départements, que vous rencontrez à Angers ce vendredi ?
Ce budget a été construit en quinze jours avec l’impératif de réduire le déficit de 60 milliards. Jamais depuis soixante ans, un gouvernement n’a eu de telles contraintes. Ce projet de loi de finances est perfectible. Je n’ai pas de tabou. Ce qui m’importe, c’est l’équilibre général qui permettra de limiter cet endettement insupportable. Or, une partie de notre dette est constituée par les emprunts souscrits par les collectivités locales. Voilà pourquoi j’appelle tout le monde à participer à cet effort.
Les collectivités : « Ajustements significatifs du budget »
Quelles propositions allez-vous faire aux présidents de départements ?
Les départements n’ont plus de pouvoir fiscal, mais ont des dépenses contraintes, notamment sociales, qui augmentent.. Je veux leur dire que nous allons tenir compte de cette spécificité très forte, et cela se traduira par des ajustements significatifs du Projet de loi de finances sur le volet des collectivités locales. J’ajoute que le chantier que nous allons lancer autour d’une allocation sociale unique devrait permettre d’alléger le poids des dépenses sociales à la charge des départements.
Faut-il conserver les départements ?
J’ai été conseiller départemental et j’ai présidé un département, celui de la Savoie, pendant 17 ans et je sais le rôle essentiel, de proximité et d’identité qu’il joue pour les Français. Les collectivités doivent être mieux associées à la conception des politiques publiques. C’est une question de cohérence et d’efficacité. En outre, les capacités d’expérimentation, par les exécutifs départementaux mais aussi par les préfets, doivent être encouragées. La proximité des niveaux de décision avec les citoyens a été altérée au cours des différentes réformes territoriales, nous devons être très attentifs à ce que les missions de chaque collectivité soient bien identifiées.
Certains maires demandent le retour de la taxe d’habitation. Qu’en pensez-vous ?
Nous n’allons pas la recréer.
Votre ministre Catherine Vautrin a évoqué l’idée d’une autre forme de contribution à la fiscalité locale…
Nous n’allons pas créer de nouveaux impôts. Il faut aussi que chacun assume ses responsabilités. Un exemple : les collectivités qui décident de la gratuité de certains services publics, notamment de transport, doivent assumer leur choix.
Un jour férié en moins ? « Très réservé sur l’idée »
Faut-il supprimer un jour férié ou augmenter la durée de travail annuelle de sept heures pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de la Sécurité sociale ?
Je respecte le débat parlementaire et reste ouvert aux propositions, mais je suis très réservé sur cette idée, complexe à mettre en œuvre et dont je ne suis pas sûr qu’elle rapporte ce que certains prétendent. Ce qui est en jeu, c’est qu’il y ait d’avantage de Français qui travaillent. C’est en outre par le dialogue social, auquel j’attache beaucoup d’importance, que ces problématiques doivent être abordées.
Il y a quelques jours, Nicolas Sarkozy a estimé que les enseignants du premier degré ne travaillent pas suffisamment. Partagez-vous ce constat ?
Je ne partage pas cette appréciation. Les professeurs des écoles, qui s’occupent seuls de toute une classe du matin au soir, font un travail à la fois difficile et essentiel. Le 11 novembre, à Meaux, j’ai d’ailleurs remercié les enseignants et leur ai dit ma confiance.
Votre ministre de la Fonction publique veut mener un plan contre l’absentéisme des fonctionnaires. Que voulez-vous faire ?
Nous allons travailler sur les jours de carence, y compris dans une logique d’équité avec le secteur privé. Mais je suis également convaincu que, dès lors que les fonctionnaires sont motivés et que le sens de leur mission de service public est reconnu, nous pouvons faire reculer l’absentéisme. Partout, il faut se rapprocher des Français là ou ils sont. De ce point de vue, les 3 000 maisons France services sont une réussite à consolider.
Proximité : « Des réunions décentralisées du gouvernement »
Et pourtant, beaucoup de Français dans les territoires continuent à se sentir oubliés…
La composition du gouvernement elle-même traduit notre souci d’être plus représentatif de la diversité du pays, avec notamment de nombreux ministres qui ont des expériences solides d’élus locaux. De plus, la méthode est celle du respect et du dialogue avec tous les partenaires et forces vives de nos territoires. L’objectif est, sans baguette magique ni esbroufe, d’améliorer le quotidien des Français.
À votre arrivée à Matignon, vous avez dit vouloir écouter les Français. Avez-vous déjà collecté quelques idées sur le terrain ? Comment comptez-vous rapprocher les Français de la prise de décision ?
Mon rôle n’est, en effet, pas seulement de gérer un budget en défensive. Le gouvernement est à l’écoute des Français et de leurs idées dans un objectif d’efficacité, avec pragmatisme. J’ai, par exemple, indiqué qu’une journée nationale de consultation citoyenne pourrait être instaurée. Un dimanche, tous les ans ou tous les deux ans, les mairies seront ouvertes pour que les citoyens répondent à des questions posées par la municipalité, le département, la région, l’État. Cela permettra de consulter les citoyens et de les informer. Je n’exclus pas, non plus, de tenir des réunions décentralisées du gouvernement.
C’est dans cette même démarche que vous avez décidé de vous plonger dans les cahiers de doléances 2018-2019 ?
Après la crise des Gilets jaunes, révélatrice d’un profond malaise, les Français ont été consultés. Ces cahiers dorment dans les archives départementales. Il n’est certainement pas inutile de s’y replonger…
Environnement : « Défendre l’Accord de Paris »
Vous voulez réduire la dette écologique. Vous donnez-vous vraiment les moyens d’accompagner les entreprises et les Français vers la transition ?
Nous avons deux impératifs : d’abord défendre l’industrie, ses filières, ses entreprises et ses emplois. Par exemple, nous avons maintenu le soutien à l’acquisition de véhicules électriques, tout en évitant de défavoriser les constructeurs européens en 2025. Autre impératif, réduire la dette écologique et permettre aux entreprises de produire de manière durable. Cette année, nous réduisons nos émissions de CO2 de 5 %, et nous allons continuer à décarboner notre industrie en y consacrant 1,6 milliard d’euros, dans un contexte budgétaire très contraint.
La France s’engage à réduire sa consommation d’énergies fossiles d’ici 2030, avec une diminution de 50 % de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Est-ce réaliste et suffisant ?
C’est un objectif ambitieux, conforme à l’Accord de Paris sur le climat. Le but final est de limiter le réchauffement climatique d’ici 2050, et c’est très important quand on constate les dégâts qu’amène le réchauffement : inondations, sécheresse, recul du littoral… En 2024, nous sommes sur la bonne trajectoire de baisse de nos émissions. Nous devons également défendre l’Accord de Paris afin qu’il soit mis en œuvre par les autres régions économiques du monde, sinon les efforts de l’Europe ne seront évidemment pas suffisants. D’autre part, pour réussir cette décarbonation, l’économie doit rester compétitive. C’est pourquoi, plutôt que trop de normes qui étouffent les entrepreneurs ou les agriculteurs, il faut surtout continuer d’innover dans les technologies vertes et de produire une électricité décarbonée, c’est-à-dire, pour nous, principalement grâce à l’énergie nucléaire.
Le ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian a félicité ce mercredi le milliardaire Elon Musk, chargé par Donald Trump de la future « efficacité gouvernementale » des États-Unis. Ce dernier sera notamment chargé de « démanteler la bureaucratie gouvernementale » ou de « couper dans les dépenses inutiles ». Il dit avoir « hâte » de travailler avec lui. Il a eu raison ?
J’ai dit et je redis ma confiance dans les agents du service public. Dans le contexte contraint qui est le nôtre, chacun, du ministre au fonctionnaire sur le terrain en passant par les directions centrales ou déconcentrées, doit faire un effort afin d’être encore plus efficace au service de nos concitoyens..
Socle commun : « Des progrès à faire »
Laurent Wauquiez n’est pas membre du gouvernement. Pourquoi a-t-il fait les annonces concernant les retraites, lundi soir ?
J’ai engagé une discussion sur le budget avec chacun des quatre groupes du socle commun, et leurs présidents à l’Assemblée, Gabriel Attal, Marc Fesneau, Laurent Marcangeli et Laurent Wauquiez. Avec lui, nous avons discuté du sujet des petites retraites. Il était entendu entre nous que chacun pourrait annoncer et valoriser les résultats de son dialogue avec le gouvernement. C’est ce qu’il a fait.
Mais cela donne l’impression d’un manque de coordination, d’une grande fragilité du « socle commun »…
Il y a certainement des progrès à faire dans cette configuration qui est totalement inédite et qui oblige donc toutes les forces politiques à dialoguer. Nous savons que la durée de vie du gouvernement dépend d’une conjonction entre l’extrême gauche et le Rassemblement national. Je le sais depuis le début.. Mais vous devez aussi comprendre que je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier ministre. J’étais prêt, disponible, mais je n’étais pas demandeur. J’ai accepté en me disant que je pouvais être utile. Avec ma méthode. J’essaie de remettre du calme, du respect partout. Le respect n’est pas un gadget, c’est une condition pour réussir.
Motion de censure ? « Ce que j’entends : Courage tenez bon ! »
Le gouvernement peut-il tomber, juste après le 49.3 sur le budget, par l’adoption d’une motion de censure ?
Je pense que les Français ne souhaitent pas cela. J’en rencontre beaucoup chaque jour, vous savez. Ce que j’entends le plus, c’est « Courage, tenez bon ! » Croyez-moi, je n’en manque pas !
En quoi l’annonce de lundi sur les retraites est-elle une avancée ? Tous les retraités qui touchent plus de 1 427 € de pension par mois y perdront au final…
Laurent Wauquiez a souhaité que les petites retraites soient effectivement protégées de l’inflation et nous avons trouvé un compromis en ce sens. Cela concernera plus de 44 % des retraités. Et tous bénéficieront d’une revalorisation certes plus faible que l’inflation mais dès le 1er janvier.
Industrie : « Demander ce qui a été fait de l’argent public »
Michelin a annoncé la fermeture de deux usines, à Cholet et Vannes. Est-ce le début de grosses difficultés dans l’industrie ?
Je sais, pour avoir été longtemps élu local, combien chaque restructuration, chaque défaillance d’entreprise est un drame pour tant de familles, pour toute une région. Mon gouvernement est particulièrement mobilisé sur cette priorité. Nous mettons en place une « task force » entre tous les ministres concernés (travail, industrie, finances, budget…) pour apporter des réponses rapides à chaque situation particulière. Accompagner, dialoguer avec les entreprises, s’assurer qu’elles trouvent des solutions de reconversion pour leurs salariés - je pense que ce sera le cas ici - et chercher des repreneurs pour les sites, à chaque fois que c’est possible. Et à côté de cela, nous devons continuer à nous battre pour donner des perspectives économiques et industrielles au pays. Le fonds France 2030, doté de plusieurs dizaines de milliards d’euros, peut être utilisé pour soutenir des entreprises dans leurs projets innovants. Il y a chaque jour, aussi, de bonnes nouvelles : création de PME, implantations de grandes entreprises étrangères, génératrices d’emplois locaux. La France est attractive et doit le rester.
Vous avez demandé un audit sur les aides perçues par Michelin. Le groupe devra rembourser l’argent s’il a été mal employé ?
Un audit, ce n’est pas une condamnation. Commençons par regarder si l’objectif contractualisé au moment de l’attribution de l’argent a été atteint ou pas. Et le groupe Michelin n’est pas le seul concerné. Nous sommes en train de demander à toutes les entreprises qui ont reçu de l’argent public ces dernières années, notamment pour surmonter les crises du Covid et de l’énergie chère, de nous dire ce qu’elles en ont fait. Je pense qu’elles l’ont globalement bien utilisé, montrons-le, en toute transparence, pour qu’il n’y ait pas de soupçon à ce sujet.
Agriculture : « Aucun des engagements pris ne tombe aux oubliettes »
De nouvelles manifestations agricoles sont annoncées. Comprenez-vous le retour de ce mouvement de colère ?
J’ai été ministre de l’agriculture et de la pêche : j’ai un grand respect pour ces hommes et ces femmes qui font un travail vital, au sens propre du terme, et qui sont très mal payés - quand ils sont payés, d’ailleurs… Donc oui, bien sûr, je les comprends. Le budget de l’agriculture a été préservé pour 2025, j’ai veillé, avec Annie Genevard, à ce qu’aucun des engagements pris par le gouvernement précédent à l’issue de la crise du début d’année ne tombe aux oubliettes. Nous avons également pris des mesures d’urgence dès les premiers jours de mon gouvernement, comme le report de la date limite d’épandage, une enveloppe exceptionnelle pour indemniser les pertes liées à la fièvre catarrhale, ou encore l’instruction donnée aux préfets pour coordonner les contrôles réalisés dans les exploitations agricoles. La loi d’orientation agricole, votée par l’Assemblée nationale en mai dernier, est inscrite à l’agenda du Sénat début 2025. Et nous allons nous battre pour défendre leurs intérêts dans le cadre des négociations sur le budget agricole de l’Union européenne pour les années à venir. Nous avons besoin de redonner confiance au monde agricole, qui doit susciter des vocations et attirer des jeunes. Agriculteur, c’est un métier d’avenir, c’est un métier de production, c’est un métier au cœur de la souveraineté alimentaire. À nous de libérer ce très beau métier de la surcharge administrative qui l’étouffe trop aujourd’hui.
La France peut-elle empêcher la ratification de l’accord avec le Mercosur, le traité de libre-échange dont ne veulent pas les agriculteurs ?
J’étais mercredi à Bruxelles, où j’ai dit sans la moindre ambiguïté à Madame von der Leyen que la France le refusait en l’état. Je n’exclus pas que d’autres pays expriment, eux aussi, leurs réserves sur le volet agricole de cet accord. On ne peut pas accepter d’importer chez nous des produits agroalimentaires qui ne respectent pas les règles que nous imposons à nos propres agriculteurs. L’Union européenne ne peut pas détruire, par naïveté, des pans entiers de sa propre économie. Nous menons, avec le Président de la République, un vaste travail de conviction auprès de tous nos partenaires.
Certaines filières seraient pourtant bénéficiaires, alors que les marchés chinois et américains vont se fermer à nos produits ?
Il ne s’agit pas de fermer notre marché aux importations et encore moins de pénaliser le dynamisme de certains secteurs à l’exportation mais bien de créer des échanges justes et sûrs, notamment pour l’environnement et la santé des consommateurs. C’est cela qui est en cause. Cet accord, même s’il est en discussion depuis très longtemps, ne doit pas être conclu dans la précipitation. Et pas sur la base du texte actuel.
Préavis de grève : « Pas acceptable que les Français soient privés de leurs vacances »
Il y a des préavis de grève à la SNCF, notamment, pour les fêtes de fin d’année. Que pouvez-vous faire ?
Je ne trouverais pas acceptable que les Français soient privés de leurs vacances au moment des Fêtes. Nous faisons confiance à la SNCF pour prévenir cette grève et éviter qu’elle dure pour ne pas pénaliser les Français. On va utiliser tous les outils du dialogue social.
La colère gronde toujours dans les Outre-mer… Quelles réponses allez-vous apporter ?
Je suis personnellement très attaché à l’Outre-mer, que je connais bien et pour lequel j’ai beaucoup œuvré, notamment comme Commissaire européen à la politique régionale et comme ministre de l’Agriculture. Le gouvernement est totalement mobilisé pour trouver des réponses, forcément interministérielles, à la crise de la vie chère. Nous travaillons notamment à des solutions pour baisser le coût du fret et dynamiser les ressources et les filières propres à chaque territoire ultramarin, je pense à l’agriculture et au tourisme notamment.
Antisémitisme : « Des Assises pour lutter »
La montée de l’antisémitisme vous inquiète-t-elle et comment agir ?
L’antisémitisme et le racisme font partie de mes lignes rouges. C’est l’honneur de notre pays qui est en jeu. Le gouvernement sera intransigeant. Le secrétaire d’État à la Citoyenneté Othman Nasrou relancera prochainement les Assises de lutte contre l’antisémitisme pour faire émerger des réponses partout, à l’école, dans les transports, dans la rue, contre ce fléau indigne.
Vous serez jeudi au Stade de France pour le match France-Israël. Craignez-vous des débordements ?
Le ministre de l’Intérieur a préparé un important dispositif de sécurité. Au-delà de ce match, il est très important que ce conflit entre Israël et le Hamas n’ait pas de répercussions en France. Je pense notamment à la décision critiquable de l’IEP à Strasbourg d’arrêter un partenariat avec une université israélienne. La société civile est très importante, y compris dans les universités israéliennes qui comportent de grands militants de la paix et de la solution à deux États.
Votre ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, est sous le feu des projecteurs mais aussi des critiques à gauche. Comment sont vos relations ?
Je souhaite que les ministres soient forts, solidaires et soutenus. Je fais confiance au ministre de l’Intérieur comme au ministre de la Justice, qui travaillent ensemble notamment sur le plan de lutte contre la grande criminalité et le narcotrafic, avec le projet d’un parquet national spécifique, comme nous l’avons fait, avec des résultats, pour lutter contre le terrorisme ou la criminalité financière. Les trafics de drogue gangrènent tout le pays, les villes comme les villages. On va agir partout pour apporter une réponse de fond et pas seulement conjoncturelle. Nous allons remonter d’un cran extrêmement fort la lutte contre la criminalité organisée, parce que ces réseaux sont très puissants. Il y aura une mobilisation générale, de tous les ministères, sur le sujet.
Mexicanisation ? « Ce qui m’importe, ce n’est pas le nom »
Soutenez-vous le mot de « mexicanisation » employé par votre ministre de l’Intérieur ?
Ce qui m’importe, ce n’est pas le nom qu’on donne au phénomène, ce sont les moyens qu’on déploie pour y répondre.
Mais donc, ce mot-là est trop fort, selon vous ?
Je vous le redis, ce qui m’importe, c’est qu’il y ait une réponse précise, durable, solide, et que les criminels et les trafiquants n’aient plus de sentiment d’impunité.
La bataille contre le narcotrafic peut-elle être gagnée ?
Les batailles que l’on perd sont celles que l’on n’a pas menées. Ce combat sera long et difficile mais ce gouvernement le mènera, y compris au plan international, parce qu’on a affaire à des réseaux qui ont des ramifications en Europe et au-delà.
Sentez-vous un soutien de la représentation nationale ?
Oui, la preuve : pour gagner du temps et éviter d’inventer encore un projet de loi, nous allons partir de la proposition faite par deux sénateurs, l’un socialiste, Jérôme Durain, et l’autre LR, Étienne Blanc. Je sens un soutien quasi-unanime sur cette question. En matière de lutte contre la délinquance, je crois d’ailleurs nécessaire que toutes les forces vives du pays se mobilisent. Dès ma déclaration de politique générale, j’ai érigé la sécurité au quotidien parmi les cinq chantiers prioritaires pour le gouvernement. Les préfets et les procureurs sont en train d’élaborer des plans départementaux de restauration de la sécurité du quotidien, qui feront l’objet d’un suivi très resserré, en lien avec les maires. Je crois nécessaire de faire confiance aux acteurs locaux pour lutter plus efficacement contre la délinquance qui empoisonne la vie de nos concitoyens au quotidien. C’est pour cela qu’un ministre délégué, Nicolas Daragon, est dédié à ce travail de coordination, au plus près des réalités locales. Là encore, c’est une question de méthode, qui consiste, sans a priori, à recourir aux dispositifs les plus adaptés en fonction de nos objectifs, au service des Françaises et des Français.
La loi immigration est annoncée pour le premier semestre 2025. Est-elle vraiment nécessaire ?
Oui. Nous allons appliquer et utiliser tous les ressorts de la loi actuelle. Mais nous devons aller au-delà. Pas par idéologie mais pour apporter des solutions concrètes et lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière, par exemple, en allongeant la durée de rétention d’un étranger qui a commis un délit. La loi nous permettra aussi de transposer le pacte asile immigration européen.
Immigration : « Il ne s’agit pas de supprimer l’AME »
Et l’Aide médicale d’État (AME) qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins ?
Il ne s’agit pas de supprimer l’AME, qui a fait ses preuves en termes de santé publique, mais de mieux l’encadrer. Il faut éviter les abus, la fraude fiscale et sociale. C’est dans ce champ-là qu’il y a de bonnes économies à faire, et pas seulement sur l’AME.
Il est question de reprendre le débat sur la fin de vie en 2025. À partir de quel texte ?
D’abord, je prends le temps de consulter, de consolider ou de me forger une opinion personnelle sur ces questions extrêmement graves et qui ont fait l’objet d’un travail très sérieux dans tous les groupes politiques. Je suis plutôt dans l’idée d’utiliser le travail qui a été fait, même si certains amendements me paraissent contestables.
Lesquels ?
Dans la recherche d’équilibre à laquelle nous devons aboutir, je souhaite que le point de vue des soignants soit particulièrement pris en compte. Je le dis clairement, nous ne ferons pas une loi sur la fin de vie contre nos médecins et nos soignants mais avec eux. À cet égard, je ne suis pas en accord avec la définition et les conditions d’accès à l’aide à mourir retenues lors des précédents débats parlementaires car elles s’éloignent trop de l’équilibre qui avait été trouvé par le précédent gouvernement. En particulier, la condition médicale ouvrant l’aide à mourir a beaucoup trop évolué selon moi et nous devons revenir à des notions plus précises qui ne permettent aucune confusion, sur les maladies chroniques notamment.
Santé : « S’appuyer sur des médecins retraités »
Sur la santé, et pour lutter contre les déserts médicaux, vous avez parlé d’un « plan Hippocrate ». Avez-vous des précisions ?
L’idée, c’est que les internes français et étrangers puissent s’engager volontairement pour une période donnée et avec l’accompagnement de l’État, y compris financier, et des collectivités, pour exercer dans les territoires où il n’y a pas assez de médecins. Mais aussi qu’on facilite l’accès aux études de médecine pour les jeunes issus de la ruralité ou des Outre-mer par des antennes des facultés de médecine. Et on va travailler pour diversifier les terrains de stages en ville comme à l’hôpital, dans les territoires ruraux. On peut aussi s’appuyer sur des médecins retraités qui vont avoir des conditions incitatives pour cumuler leur retraite avec une rémunération. C’est un des sujets sur lesquels j’aimerais qu’on dise, dans deux ans et demi, qu’il y a eu des progrès.
Et la proposition de créer une présence obligatoire en fin d’études des étudiants dans certains territoires ?
Plutôt qu’obliger, on peut provoquer un mouvement de volontariat pour commencer à encourager et donner l’exemple. Le contrat plutôt que la contrainte !
Avec Macron : « Ce n’est pas une cohabitation »
Vous êtes à Matignon depuis 70 jours. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
Je n’ai pas eu de vraie surprise parce que j’ai eu l’honneur à quatre reprises de faire partie d’un gouvernement. Mais, quand vous êtes ici, au poste de pilotage du gouvernement, vous avez toutes les dix minutes à gérer une crise, une difficulté, une secousse, un problème, un arbitrage. Ce à quoi je fais attention, à la place que j’occupe aujourd’hui, c’est d’avoir des gens qui me parlent sans filtre, qui remontent les infos du terrain, pour éviter l’isolement.
Comment sont vos relations avec le président de la République ?
Elles sont assez simples et fluides.
Après 50 jours de gouvernement, vous confirmez que ce n’est pas une cohabitation ?
Non, ce n’est pas une cohabitation puisque l’essentiel du socle dont je parlais est constitué d’hommes et de femmes proches du Président (Ensemble pour la République, Modem et Horizons), auxquels sont venus s’ajouter Les Républicains, qui est la famille politique dont je suis issu. Et je continuerai à essayer de tendre la main à d’autres.
Méthode : « Remettre du respect et du dialogue partout »
Dans le baromètre Politique et Territoires Ifop Ouest-France de novembre, 40 % des Français approuvent votre action et 51 % reconnaissent que vous êtes ouvert au dialogue…
Ce n’est pas assez ! Mais c’est à nous de faire la preuve que la méthode est utile pour consolider et apaiser le pays. Je vais utiliser tout ce que j’ai appris dans mon expérience de vie publique aux côtés des Français. Dont une chose : ce n’est pas toujours en haut que se trouvent les bonnes idées. Elles viennent souvent des gens sur le terrain. Nous voulons remettre du respect et du dialogue partout.
Comment réagissez-vous aux réquisitions prononcées contre Marine Le Pen dans le cadre du procès des assistants parlementaires ?
Il ne m’appartient pas de commenter une procédure en cours.
Vous avez plaidé mercredi lors d’une réunion avec des députés à la désignation d’« un seul candidat » de la droite et du centre pour la présidentielle de 2027. Pourquoi et quel mode de désignation prônez-vous ? Une primaire ?
Ce n’est pas exactement le sens de mon propos. J’ai simplement rappelé une évidence : toutes les personnalités appartenant au socle commun et tentées par une candidature en 2027 ont intérêt à la réussite du gouvernement.
Quelle question auriez-vous aimé qu’on vous pose ?
Qu’est-ce que c’est que la politique ? La politique, c’est créer du progrès collectif, parfois de petits progrès. Nous allons sortir de cette phase d’urgence budgétaire. On va ouvrir une nouvelle phase, où nous allons remonter la ligne d’horizon pour les Français en leur proposant des projets concrets.
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