
Entretien
Le ministre de l’Intérieur dénonce l’échec de « la diplomatie des bons sentiments » chère à Emmanuel Macron. Le président des Républicains prévient par ailleurs qu’il ne compte s’interdire aucun sujet jusqu’à la prochaine présidentielle.
Le Figaro - 19 juillet 2025 - Par Claire Conruyt
LE FIGARO - Pour redresser la trajectoire des comptes publics,François Bayrou a présenté mardi un plan qui prévoit un effort budgétaire de près de 44 milliards d’euros . Cela vous semble à la hauteur ?
Bruno RETAILLEAU - François Bayrou dit qu’il y a péril en la demeure et je le rejoins. Je le dis depuis des années. Avant moi, François Fillon lançait l’alerte en parlant d’un «État en faillite». Il y a quelques jours, le FMI a dégradé la France tandis que notre dette souveraine s’emballe. Si l’on regarde les taux d’emprunt de la dette française de la semaine passée, le taux auquel nous empruntions était plus élevé que celui de l’Espagne, de l’Italie et de la Grèce. C’est un signal d’alarme. Un scénario à la grecque ne peut pas être écarté. Je dénonce le syndicat des «y a qu’à faut qu’on», le cartel du déni qui va du Rassemblement national aux Insoumis qui ne propose aucune solution.
Les deux directions que le premier ministre a voulu prendre sont les bonnes : un frein sur les dépenses et un coup d’accélérateur sur la production. C’est nécessaire pour construire une nouvelle prospérité. C’est un plan avec de bonnes pistes, mais qui doit être pris pour ce qu’il est : un plan d’urgence d’un premier ministre qui dispose de marges de manœuvre politiquement, économiquement et financièrement très réduites. C’est un plan qui peut et qui doit être amélioré. Il faut donc l’améliorer.
Gel des dépenses de l’État et des retraites, des prestations sociales et du barème de l’impôt sur le revenu, suppression de deux jours fériés, «contribution de solidarité» pour «les plus fortunés», transformation de l’abattement fiscal de 10% des retraités en «forfait»... La charge vous paraît-elle suffisamment bien répartie ?
Ce plan ne peut être accepté par les Français que s’il y a un juste effort. Nous ne pouvons pas demander davantage à ceux qui cotisent sans rien demander à ceux qui ne cotisent pas. Le tabou du coût de l’immigration doit être enfin levé. J’ai proposé au premier ministre une augmentation de 160 millions d’euros de droit de timbre dans le domaine de l’asile et de l’immigration. À titre d’exemple, sur les naturalisations, le droit de timbre est de 55 euros alors que le coût d’un passeport pour un Français est de 86 euros. Sur les titres de séjour, nous pouvons également faire de même. Mais il faut aller plus loin et supprimer l’AME pour se concentrer sur les soins d’urgence : les frais de santé des clandestins sont totalement pris en charge, ce qui n’est pas le cas pour les Français. C’est une injustice ! L’allocation sociale unifiée est une bonne idée pour laquelle je milite depuis longtemps, mais elle doit être plafonnée par rapport au SMIC pour s’assurer que le revenu du travail est supérieur au revenu d’assistance. Là aussi, nous ferons des propositions.
S’agissant de la suppression de deux jours fériés, il faut s’y prendre autrement. Les débats passionnés autour de ce point ne mènent à rien. Je partage le constat du premier ministre : il faut construire une prospérité. Mais s’il faut travailler plus, c’est aussi pour être mieux payé. À la rentrée, nous mettrons nos idées sur la table afin d’augmenter le temps de travail mais aussi le pouvoir d’achat des Français. Sinon, c’est la France des honnêtes gens qui va trinquer, c’est encore Nicolas qui va payer.
Ce sont vos lignes rouges ?
Je ne raisonne pas ainsi car nous devons être force de propositions, avant tout. J’en fais d’autres. S’agissant de la suppression des principaux régimes spéciaux dès 2027, on peut aller plus loin. Sur le gel des retraites, c’est la double peine puisque les retraités concernés seront touchés par l’année blanche et la réforme des 10% d’abattement. Enfin, s’agissant des prélèvements obligatoires, dans un pays aussi taxé que la France, l’augmentation des impôts ne peut pas être la solution.
Au RN comme à gauche, il y a beaucoup de démagogie qui ne peut que nous mener à l’aggravation de la crise financière.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains.
Jean-François Copé, que LR présente comme son «M. Projet», considère que la démission d’Emmanuel Macron reste la «seule solution» aujourd’hui. Est ce la position officielle de votre parti ?
Il n’y pas de «M. Projet» aux Républicains. Plusieurs élus sont chargés de réfléchir et j’ai voulu que ce soit moi qui préside les travaux. Ensuite, sur le fond, nous sommes gaullistes et nous devons donc respecter les institutions. Si nous sommes au gouvernement, c’est parce qu’il y a eu une dissolution. Si la droite a accepté de faire sa part, c’était pour empêcher la gauche mélenchonisée d’arriver au pouvoir. L’objectif de LR n’est pas de se demander s’il y aura censure, si le président de la République doit démissionner, mais d’être utile au pays. De plus, je suis convaincu que la démission du chef de l’État fragiliserait considérablement pour l’avenir la fonction présidentielle.
Est-ce plutôt avec le PS ou avec le RN qu’il faut privilégier la discussion et la négociation pour échapper aux menaces de censure des oppositions ?
Au point où en est la France, il peut y avoir des ajustements bien sûr. Mais aujourd’hui, je constate qu’au RN comme à gauche, il y a beaucoup de démagogie. Cela ne peut que nous mener à l’aggravation de la crise financière qui, in fine, touchera d’abord les plus vulnérables. Alors, corriger, oui. Abdiquer, non.
Resterez-vous aux côtés du premier ministre jusqu’au bout ? S’il est renversé cet automne, et qu’une personnalité du bloc central lui succède, demanderez-vous à rester à Beauvau ?
Il m’est impossible de répondre à cette question, la situation est trop incertaine. Le seul engagement que j’ai, c’est vis-à-vis de mes convictions et des intérêts de la Nation.
Je me suis tu pour n’obérer aucune chance de libération de Boualem Sansal. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, il faut revenir à la fermeté.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains.
Cela fait huit mois jour pour jour que Boualem Sansal a été arrêté en Algérie, où il est détenu depuis plus de 240 jours. Pensiez-vous vraiment qu’il serait gracié par le président Tebboune début juillet ?
Huit longs mois... C’est une scandaleuse injustice et le pouvoir algérien aurait dû avoir un geste humanitaire vis-à-vis d’un grand écrivain, âgé et malade, arbitrairement emprisonné. Nous avons un autre compatriote, Christophe Gleizes, qui est dans ce cas. Il venait pour parler football et se retrouve condamné pour «apologie du terrorisme» ! Une fois de plus, l’Algérie prend un nouvel otage et essaie de faire pression sur la France, en incarcérant des innocents. La diplomatie des bons sentiments a échoué. Je le dirai au président de la République, que je dois voir la semaine prochaine. Il faut changer de ton, assumer un rapport de force que le pouvoir algérien a lui-même choisi. J’y suis prêt, depuis le début de cette crise.
Pourquoi être resté silencieux, ces dernières semaines ? Peut-on être l’homme du bras de fer et donner sa chance au dialogue ?
Depuis le premier jour, je suis le tenant d’une ligne de fermeté. Pendant de longues semaines, je me suis tu pour n’obérer aucune chance de libération de Boualem Sansal. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, il faut essayer autre chose, revenir à la fermeté, se recentrer sur la défense de nos intérêts. Le régime algérien ne souhaite pas une relation respectueuse mais cherche à nous humilier. Plus nous plierons, moins nous obtiendrons.
En privilégiant la stratégie diplomatique, chère à l’Élysée et au Quai d’Orsay,Emmanuel Macron a-t-il condamné la France à l’impuissance dans sa relation avec l’Algérie ?
Il fallait rechercher par tous les moyens possibles, y compris ceux du dialogue, la libération de Boualem Sansal et désormais, celle de Christophe Gleizes. Comme ministre de l’Intérieur, je constate que 42% de la population d’étrangers en situation irrégulière dans les centres de rétention administrative sont Algériens. C’est la première nationalité. Depuis le début de l’année, nous avons essuyé 120 refus d’admissions d’Algériens munis de leurs papiers, en violation de l’accord franco-algérien de 1994. De facto, l’Algérie refuse de reconnaître ses ressortissants et s’agissant d’individus souvent dangereux, c’est une menace pour nos concitoyens. Je ne peux pas rester muet parce que c’est d’abord une question de sécurité des Français et que je suis ministre de l’Intérieur.
Dans la question algérienne, il y a la question de la fierté française dont je me sens comptable.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains.
Appelez-vous le chef de l’État à dénoncer l’accord de 1968 ?
La relation entre deux pays souverains doit être basée sur la réciprocité. Aujourd’hui, c’est l’Algérie qui refuse cette réciprocité en ne respectant pas l’accord de 1994. Je n’ai pas toutes les cartes en mains, mais certaines sont de ma compétence. Le consulat algérien de Toulouse a délivré des centaines de passeports à des clandestins. Je donnerai instruction aux préfets de ne pas reconnaître ces documents distribués dans ces conditions-là, pour la délivrance de ces titres de séjour. Je vais aussi demander à mes services de préparer plusieurs mesures pour empêcher la venue, l’établissement ou la circulation en France, des membres de la nomenclatura impliqués dans le dénigrement de la France.
Bien évidemment je suis très favorable à la sortie des accords de 1968 car ils procurent aux immigrés algériens un statut dérogatoire au droit commun qui n’a plus lieu d’être, et ils ont transformé l’immigration algérienne dans un sens qui ne va pas dans notre intérêt, celui d’une immigration de peuplement et familiale. Je note qu’il existe d’ailleurs un très large consensus parmi les Français, mais aussi dans le socle commun, pour dénoncer ces accords. S’ils ne sont pas dénoncés avant la fin de ce quinquennat, il faudra le faire après la prochaine présidentielle. Mais il y a une mesure urgente : bloquer au niveau européen la négociation en cours sur l’accord d’association. L’Algérie y gagne beaucoup plus que l’Europe, avec des tarifs douaniers préférentiels.
Vous aviez évoqué l’hypothèse d’une démission si un point de non-retour était atteint sur l’Algérie. Vous considérez que ce n’est pas encore le cas ?
Ma démission, c’est ce que cherche à obtenir le pouvoir algérien. Ça serait pour eux une victoire. Dans la question algérienne, il y a l’avenir de nos deux compatriotes. Il y a par ailleurs les intérêts nationaux que je dois défendre devant un pays qui piétine nos accords bilatéraux en refusant de réadmettre sur son sol ses propres nationaux. Il y a aussi la question de la fierté française dont je me sens comptable, comme ministre de l’Intérieur. On peut encore faire changer les choses, c’est une question de volonté pour établir enfin une relation respectueuse et dépassionnée entre nos deux pays. Comme le dit le Président de la République : «Pour être libre; il faut être craint». Cela doit être le cas dans notre relation avec l’Algérie qui multiplie les provocations.
La «polyphonie» gouvernementale a viré à la cacophonie sur de nombreux sujets. Comment être audible dans une telle situation ?
Ce gouvernement est un gouvernement d’utilité nationale. Il réunit des hommes et des femmes de bonne volonté qui ont voulu éviter le pire. Nous avons des sensibilités différentes. C’est ainsi et il faut faire avec.
Vous avez ouvert un débat avec votre tribune au Figaro sur la fin des subventions publiques pour l’éolien et le photovoltaïque . Y a-t-il d’autres sujets qui dépassent votre périmètre ministériel sur lesquels vous comptez vous exprimer ?
Je suis ministre de l’Intérieur et président d’un grand parti. Je dois pouvoir m’exprimer sur d’autres sujets que les miens et je continuerai de le faire. Il est hors de question de me laisser lier les mains. S’agissant du sujet des énergies renouvelables, j’ai repris ce que j’ai écrit dans un livre il y a 4 ans : la nécessité d’une approche non plus dogmatique mais rationnelle, c’est-à-dire économique afin de faire en sorte qu’on ait une énergie abondante, pilotable, décarbonée et bon marché. C’est une condition de notre réindustrialisation, pour le pouvoir d’achat des Français et pour participer à l’effort budgétaire.
La participation au gouvernement a sauvé la droite de l’effacement.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains.
Votre participation au gouvernement, largement approuvée par les militants LR au Congrès, a redonné des couleurs à la droite. Mais ne craignez-vous pas que cela devienne un piège, en faisant de vous les alliés et les cautions du macronisme ?
Cela fait dix mois que j’entends parler de ce «piège». Pour l’instant, il ne s’est pas réalisé et la participation au gouvernement a sauvé la droite de l’effacement. Je ne changerai pas. J’ai une parole libre et sincère. L’élection à la présidence de LR a montré que nos adhérents ont largement ratifié cette participation. La droite est désormais audible et le restera. Les Français savent parfaitement que notre marge de manœuvre est limitée mais ils souhaitent qu’on soit utiles. Tant que je suis utile, je continuerai à faire mon devoir.
Vous appelez le socle commun à un cordon sanitaire pour faire barrage à LFI . Est-ce la version LR du «front républicain» ?
Si l’on veut, en quelque sorte. LFI est la première et la pire menace politique aujourd’hui. Jour après jour, les Insoumis franchissent toutes les limites de ce qui est acceptable, comme lorsqu’ils se réjouissent de la libération du terroriste Georges Ibrahim Abdallah en le désignant comme un prisonnier politique.
Pourra-t-on parler de «vague bleue» aux municipales si la droite échoue à remporter Paris ?
Paris n’est pas la France. Lorsqu’il y a eu une vague bleue en 2014, la droite n’avait pas gagné Paris. Mais c’est jouable pour plusieurs raisons : la droite s’est renforcée en France, on l’a vu dans les élections partielles et dans l’opinion. Ensuite, nous arrivons à une période de transition tandis qu’Anne Hidalgo va achever son mandat sur fond d’incertitude autour de l’union de la gauche. La droite a ses chances.
En la personne de Rachida Dati ?
La loi PLM a été votée. Les discussions vont pouvoir commencer. Ce n’est plus seulement une question de personnalité mais d’équilibre.
La fin de la primaire est un sujet mais je ne veux pas me précipiter.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains.
Vous soutenez la candidature de Michel Barnier dans la 2e circonscription de Paris. Rachida Dati songe elle aussi se lancer. LR doit-il se préparer à une nouvelle guerre des droites ?
Nous n’avons pas de député LR à Paris et ce n’est pas normal, surtout dans une circonscription qui fut longtemps détenue par des députés LR. Michel Barnier serait une chance pour l’Assemblée nationale et plus largement, pour la France. C’est son unique ambition. Elle n’est pas tournée vers l’Hôtel de ville, comme l’imaginent certains. La CNI tranchera et, in fine, les électeurs.
Allez-vous modifier les statuts des Républicains pour mettre fin à toute forme de primaire avant la présidentielle ?
C’est un sujet mais je ne veux pas me précipiter. Il y aura un congrès à la rentrée pour décider de cette question. Le temps de la présidentielle viendra. La priorité est de reconstruire un parti laissé en jachère depuis le départ d’Éric Ciotti.
Il y a deux ans, vous étiez cantonné à l’anonymat du Sénat, et personne n’imaginait que vous deviendriez le numéro cinq du gouvernement. Alors, où serez-vous dans deux ans ?
Je serai là où je pourrai servir le mieux mon pays. En 2027, je ferai tout pour faire gagner la droite. La question de mon avenir personnel ne m’obsède pas et je ne conçois la politique que comme une aventure collective. Le mieux placé d’entre nous pour l’emporter devra être notre candidat. C’est possible, parce que nos convictions sont majoritaires dans le pays, et c’est même nécessaire : la France a besoin de solutions de droite.
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