
Politique
Pour la première fois, Éric Zemmour et Sarah Knafo répondent ensemble dans un entretien croisé. Diagnostic d’une France en crise de régime, propositions de rupture et ambition intacte : le tandem de Reconquête se projette déjà vers 2027.
Le JDD - 30 août 2025 - Propos recueillis par Geoffroy Lejeune et Jules Torres
Le JDD. Depuis la dissolution, la France semble bloquée dans une crise de régime permanente. La Ve République est-elle à bout de souffle ?
Éric Zemmour. Les crises de régime surgissent quand la classe politique est en décalage trop grand avec la société. C’est ce que nous vivons. Les politiciens sont dépassés, déboussolés. Ils ne voient même pas qu’un nouveau clivage structure la société : celui de l’identité. Regardez les émeutes qui deviennent notre lot commun, l’explosion des actes antifrançais, l’ultraprésence de la cause palestinienne. Cela nous saute au visage, et pourtant, la classe politique ne prend pas la mesure de la situation. Il n’est pas étonnant qu’aucune majorité parlementaire claire ne se dessine, quand la ligne de fracture politique n’est pas clairement dessinée. Face aux dangers qui menacent, vous avez en réalité deux camps : celui qui veut les précipiter, LFI. Et celui qui veut les empêcher : le mien, celui de Reconquête. Nous sortirons de la crise quand les Français pourront enfin clairement choisir entre ces deux destins.
Sarah Knafo. J’ajouterais que deux gouvernements en moins d’un an seront tombés sur la même question : celle du budget. Sur ce point, comme sur tant d’autres, nous arrivons au bout d’un système qui consiste, depuis cinquante ans, à mettre la poussière sous le tapis, à repousser le problème à plus tard. Là encore, je crois que nous sommes les seuls à poser les choses clairement et à proposer les solutions qui s’imposent. Tous les partis s’écharpent sur des mesurettes qui déplaceront, très théoriquement, quelques millions d’euros, alors que les solutions à apporter se chiffrent en centaines de milliards d’économies à faire. Les Français exigent du courage politique pour régler un par un les problèmes, de façon ferme et rationnelle.
Le gouvernement Bayrou vacille et pourrait tomber. Emmanuel Macron n’est-il pas, au fond, le véritable problème ?
É. Z. Sa démission serait, en effet, la seule manière de sortir de cette crise, car elle permettrait une nouvelle élection présidentielle, seule élection qui permette de trancher les grandes questions. Mais Macron n’est ni Charles Quint, ni de Gaulle, ni Senghor : même s’il se sait rejeté, il n’a pas assez de panache pour renoncer au pouvoir.
La chute annoncée du gouvernement Bayrou entraînera celle de Bruno Retailleau. Regretterez-vous son départ, alors qu’il est sans doute le ministre de l’Intérieur le plus à droite depuis Charles Pasqua ?
S. K. Vous savez que j’aime les chiffres… Regardez les siens ! Ils sont dans la continuité de ses prédécesseurs. Je vais même vous dire pire : avec Bruno Retailleau, les entrées légales sont encore 37 % plus élevées que sous Castaner ! C’est ça, le ministère le plus à droite depuis Pasqua ? Je ne dis pas que sa politique est plus mauvaise. Je dis simplement que sa politique n’attaque même pas l’écume des choses…
É. Z. Alors que le temps qui passe, lui, fait son œuvre. Les fautes d’hier continuent inexorablement à produire leurs effets : droit du sol, regroupement familial, jurisprudence évoluant toujours en faveur des migrants… Les chiffres de l’immigration qui s’aggravent ne sont que le reflet de paramètres auxquels les politiciens refusent de toucher. Alors, quels que soient leurs discours, fermes ou laxistes, les chiffres empirent. Les tentatives d’homicide ont augmenté de 7 % en un an, sous Bruno Retailleau. Sur 130 000 OQTF prononcées, il n’en a exécuté que 11 % : cela signifie 89 % d’échec. Voilà la réalité crue. Il n’y a malheureusement pas eu d’effet Retailleau, donc son départ n’aura pas d’effet non plus.
Et Gérald Darmanin à la Justice ? Il dit qu’il pourrait travailler avec vous, Sarah Knafo. Pourriez-vous un jour travailler avec lui ?
S. K. Je serais curieuse de savoir sur quels thèmes il me rejoint !
Sa politique de fermeté va-t-elle dans le bon sens ?
É. Z. Ses discours de fermeté vont dans le bon sens. Sa politique de fermeté, quelle est-elle exactement ? Depuis 1996, le nombre de coups et blessures volontaires a augmenté de 392 %. Sur la même période, le nombre de détenus a augmenté d’à peine 31 %. Si vous voulez une photographie du laxisme à la française, prenez celle-ci : les coups et blessures volontaires ont augmenté treize fois plus vite que le nombre de détenus.
S. K. Conclusion ? La seule politique de fermeté qui vaille, c’est de construire dès maintenant 100 000 places de prison et d’y mettre les délinquants hors d’état de nuire. Écoutez les policiers, ils disent presque tous la même chose : la justice française est un panier percé. Les forces de l’ordre attrapent les bandits… et la justice les remet en liberté presque instantanément ! Pourquoi ? Parce que nous manquons de places de prison et que, par conséquent, nous avons donné instruction aux magistrats de privilégier n’importe quelle peine aux peines de prison ferme. Résultat ? Nous avons des prisons pleines et des individus dangereux plein nos rues.
É. Z. Voilà ! Les deux solutions : 100 000 places de prison et la remigration, et les Français seront protégés. Les délinquants et criminels étrangers et binationaux ont vocation à quitter immédiatement notre pays, puisqu’ils sont dangereux pour nos compatriotes. C’est du bon sens !
La France est devenue une sorte de théocratie juridique, où les membres du Conseil constitutionnel se prennent pour les grands prêtres
Beaucoup dénoncent l’impossibilité de voter des lois fermes à cause du Conseil constitutionnel. Est-ce, selon vous, l’obstacle majeur à une vraie politique de rupture ?
S. K. Ils auraient dû lire Le Coup d’État des juges. Éric l’a écrit en 1997 ! Ils auraient gagné du temps sur ce constat. Mais mieux vaut tard que jamais.
É. Z. La France est devenue une sorte de théocratie juridique, où les membres du Conseil constitutionnel se prennent pour les grands prêtres, qui s’appuient sur des grands principes à qui ils font dire ce qu’ils veulent. Le Conseil constitutionnel autorise ce qui lui plaît et interdit ce qui lui déplaît. C’est lui qui, par exemple, dans une décision de 1991, interdit de réserver les allocations aux nationaux et oblige le gouvernement à ouvrir le RMI aux étrangers. Les juges enserrent le pouvoir et la volonté du peuple et le rendent impuissant. C’est un immense déni de démocratie. Il faudra redonner la parole aux Français par le référendum et réviser la Constitution pour contraindre le Conseil constitutionnel à laisser le dernier mot au Parlement et au peuple.
La montée de l’antisémitisme est une autre réalité inquiétante. Comment l’expliquez-vous et comment y répondre ?
S. K. Après avoir fui les banlieues, les juifs quittent maintenant carrément la France. Quelle tristesse de voir tant de Français qui aiment notre pays et se sentent obligés de le quitter, quand tant de gens qui le détestent y entrent chaque année.
É. Z. On ne peut pas importer des antisémites et s’étonner de la montée de l’antisémitisme. L’antisémitisme est systémique dans les sociétés musulmanes, et la lutte contre les juifs est inscrite dans le Coran depuis plus de mille ans. À quoi fallait-il s’attendre après avoir fait venir des millions de personnes en provenance de ces pays ? J’ajoute que le sort des chrétiens n’est guère plus enviable dans les pays musulmans. Ils ont été chassés du Moyen-Orient, « grand remplacés » au Liban et dans une partie des Balkans. L’Afrique subsaharienne prend le même chemin. Regardez le nombre d’églises, de calvaires, de statues vandalisés en France. Souvenez-vous du père Hamel, égorgé dans son église, et des fidèles de la basilique de Nice. Quand on importe l’islam en masse, on importe aussi sa volonté d’hégémonie. C’est pour cela que je pense que l’immigration porte la guerre de civilisation comme la nuée porte l’orage. On connaît d’avance la fin du film, on l’a déjà vu ailleurs dans le monde. Je me bats pour empêcher que cela n’arrive à la France.
Sarah Knafo, vous vous exprimez régulièrement sur la question des dépenses publiques. Quelles sont, selon vous, les priorités à mettre en avant ?
S. K. Cela fait des mois que François Bayrou a publié une petite annonce dans tous les médias de France et de Navarre : « Cherche 40 milliards d’euros désespérément pour équilibrer mon budget. » Quelques heures plus tard, je lui ai trouvé 63 milliards d’euros à économiser tout de suite : 15 milliards d’euros en supprimant l’aide publique au développement, 20 milliards en réservant les aides sociales non contributives aux citoyens français, 8 milliards en coupant les subventions aux éoliennes et énergies intermittentes, 4 milliards en privatisant l’audiovisuel public, etc. En tout, huit mesures d’urgence qui ne dégradent aucun service public, ne taxent ni les Français ni les entreprises et ne demandent d’efforts qu’au système qui les ruine.
Cette semaine, la ministre de la Ville, Juliette Méadel, a critiqué votre proposition de réduire de 8 milliards les crédits de la politique de la ville, qu’elle présente comme essentiels pour lutter contre l’insécurité, la déscolarisation ou encore le trafic de drogue. Maintenez-vous votre proposition ?
S. K. Et comment ! La politique de la ville est un gouffre financier inefficace dans lequel nous avons dilapidé plus de 117 milliards depuis 2010. Qui a l’impression que cette politique a lutté contre l’insécurité, la chute du niveau scolaire ou le trafic de drogue ? Ces fléaux ont explosé à mesure que les budgets ont explosé. C’est sans doute difficile à comprendre pour une socialiste, mais les problèmes ne se règlent pas davantage en dépensant davantage. Or, ces quartiers sont choyés et nullement « abandonnés » : aides fiscales, logements sociaux, subventions, contrats aidés, rénovations urbaines massives, meilleur accès à l’école et à la santé que les départements ruraux. Je ne propose d’ailleurs pas de les abandonner : je viens moi-même de Seine-Saint-Denis, je propose simplement de les traiter comme le reste de la France. Nous avons déjà une politique scolaire nationale, une politique de santé nationale. Pas d’exception, pas de privilèges. Il faut replacer la banlieue dans le droit commun républicain.
É. Z. La politique de la ville n’a pas empêché que des millions de Français quittent les banlieues pour se réfugier dans la « France périphérique », avec l’espoir de retrouver un peu de sécurité. La politique de la ville fait sortir de terre à grands frais des stades, des écoles, des médiathèques qui sont brûlés chaque soir d’émeute. La politique de la ville ne protège pas les policiers, les pompiers, les infirmières, les facteurs qui sont régulièrement agressés. La politique de la ville n’a pas empêché que le pouvoir dans ces quartiers soit pris par les trafiquants de drogue et les imams. La politique de la ville a été inutile et ruineuse. Elle doit être supprimée.
Vous organisez ce dimanche vos universités d’été à Orange. Après la débâcle des européennes et le départ de Marion Maréchal, certains observateurs prédisaient de grandes difficultés à Reconquête. Comment avez-vous traversé cette période ?
S. K. Je ne parlerais pas de débâcle, mais de gâchis : de nombreux Français étaient heureux de voir des patriotes ainsi réunis. Nos militants ont tout donné pour obtenir les premiers élus de Reconquête, et ils y sont parvenus ! Les électeurs nous ont fait confiance, comme nous avons fait confiance, et nous avons été trahis. C’est comme ça ! On grandit et on apprend. Comment s’en est-on remis ? En travaillant, en tâchant d’être utile au débat, en cherchant des solutions pour la France, et en étant particulièrement bien entourés !
É. Z. Et puis, il faut dire que l’arrivée de Sarah dans les médias et au Parlement européen a balayé ces mauvais souvenirs ! À chaque fois, elle a marqué les esprits, elle a été d’une efficacité redoutable. Même moi qui la connais bien, elle m’a impressionné.
Certains disent qu’elle est le véritable chef de Reconquête. Est-ce vrai ?
S. K. Vous croyez qu’Éric Zemmour peut avoir un chef ? Vous le connaissez mal ! (Rires.)
On a beaucoup vu Sarah Knafo cette année, mais vous, Éric Zemmour, avez également été actif. Vous travaillez actuellement avec Canal+ sur une série qui serait une adaptation de votre livre, Le Suicide français. Pouvez-vous nous en dire plus ?
É. Z. Oui, ce fut un passionnant et exaltant travail. Ce sera une série documentaire de quatre épisodes qui permettront de comprendre comment nous en sommes arrivés là, des années 1970 à aujourd’hui. C’est la question que se posent beaucoup de nos concitoyens, et je crois modestement que la série y répond. Je pourrai bientôt en dire plus sur sa date de sortie ! D’ailleurs, dans quelques mois, le même Suicide français va être publié aux États-Unis pour la première fois.
Nous croyons savoir qu’un projet littéraire est également en cours ici…
É. Z. On ne peut rien vous cacher ! Je publierai en octobre prochain mon nouveau livre dans la nouvelle collection de Fayard, « Libres pensées », dirigée par Sonia Mabrouk. Ce sera un manifeste pour un sursaut judéo-chrétien. Je crois que l’Europe chrétienne peut s’en sortir, et je dirai comment.
Reconquête est-il encore un parti politique ou seulement une plateforme d’idées ?
É. Z. Être un pourvoyeur d’idées, je l’ai été pendant plus de vingt ans, j’espère avoir été utile, mais j’en ai aussi mesuré les limites. Les politiciens se sont beaucoup intéressés à mes idées, mais ils ne les ont utilisées que pour draguer l’électorat. Ils n’ont pas eu le courage de les appliquer. J’ai compris depuis qu’ils ne l’auront jamais. C’est pourquoi je me suis résolu à y aller moi-même !
S. K. Si nous avions voulu créer un think tank, nous aurions créé un think tank. Reconquête a été créé en vue de la présidentielle, pour gagner et pour gouverner. Nous lançons aujourd’hui la campagne des municipales, nos Parents vigilants s’investissent partout dans les écoles et publient aujourd’hui un guide de lutte contre l’endoctrinement à l’école. Mais un parti politique, c’est aussi une plateforme d’idées. Ce n’est pas parce que les autres ont abandonné le travail intellectuel que nous devons suivre leur exemple.
Une alliance sera nécessaire pour remporter les législatives
Sans élus à l’Assemblée nationale, comment exister politiquement ?
S. K. Comme vous voyez ! (Rires.)
É. Z. En réalité, il n’y a aucun lien entre le nombre d’élus à l’Assemblée et l’existence politique. Le Front national n’a pas eu un seul député à l’Assemblée entre 1988 et 2012, et ils ont été deux fois au second tour de l’élection présidentielle. Inversement, le Parti communiste est passé en quarante ans de 15 à 2 % à l’élection présidentielle, mais il a toujours réussi à former un groupe à l’Assemblée.
Le Rassemblement national est aujourd’hui le premier parti d’opposition. Comment analysez-vous son positionnement ?
É. Z. Je pense que le positionnement du RN, ni droite ni gauche, l’empêchera de résoudre les problèmes auxquels la France fait face. Sur l’économie, ce n’est pas Sarah qui me contredira, je pense qu’ils sont à contre-courant de ce que la situation exige. Sur l’immigration et l’islamisation, je pense que leurs reculades en annoncent d’autres et que ce manque de détermination est rédhibitoire sur un tel sujet. Les temps de tempête requièrent des solutions radicales, pas des demi-mesures ; des caractères bien trempés, pas des timorés.
S. K. Quant au fait qu’ils soient le premier parti d’opposition, c’est une réalité issue de la dernière présidentielle, mais elle ne préfigure rien de l’avenir. L’UMP était le premier parti d’opposition, jusqu’à ce qu’il échoue à se qualifier au second tour en 2017. Regardez les victoires de Trump, Meloni et Milei : ils n’étaient pas le « premier parti d’opposition » mais ils ont gagné, et ce sont eux qui changent aujourd’hui le destin de leurs pays.
Reconquête et le RN se disputent le même électorat. Comment éviter d’être absorbés ?
É. Z. Je ne vois pas les choses ainsi. À droite, il y a une concurrence qui est saine : elle pousse chacun à s’améliorer. Et il y a beaucoup de porosité entre les différentes formations. On l’a vu en 2022 : au fur et à mesure de la campagne, les mêmes électeurs ont pu avoir successivement l’intention de voter pour LR, pour Reconquête ou pour le RN. Les scores ont beaucoup bougé, en quelques mois. Finalement, c’est le RN qui a tiré son épingle du jeu. En 2027, nous remettrons les compteurs à zéro. Chacun proposera sa ligne, ses solutions, et les Français choisiront.
Une alliance avec le RN ou LR est-elle inévitable pour l’emporter ?
É. Z. Je le crois. Bien sûr, cela ne signifie pas que quiconque doive s’effacer : il faut que chacun puisse défendre ses idées. Mais au second tour de l’élection présidentielle, il faudra soutenir le candidat de droite qualifié. C’est ce que j’ai fait en 2022 en appelant à voter pour Marine Le Pen, sans rien négocier. C’est ce que n’ont jamais fait LR ni le RN : Marine Le Pen a refusé de choisir entre François Hollande et Nicolas Sarkozy en 2012, laissant gagner François Hollande. Et en 2017 comme en 2022, les candidats LR ont appelé à voter Macron contre Marine Le Pen.
S. K. Après la présidentielle, il y a les législatives. Et là, déjà que la majorité absolue est difficile à obtenir pour une coalition, pour un parti seul c’est quasiment impossible. Une alliance sera donc nécessaire pour l’emporter. Tous les électeurs le savent : il serait grand temps que les politiciens le comprennent ! Si c’est LR ou le RN qui arrivent en tête à droite, je crains que l’histoire ne se répète. Mais si nous sommes la force principale, nous leur proposerons cette union, nous ne chercherons pas le monopole : c’est ce que les Français attendent et c’est ce dont la France a besoin.
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