Gabriel Attal reçoit le JDD dans son bureau à l'Assemblée, vendredi. © Anthony Quittot

Entretien

Le patron de Renaissance étrille un budget « noyé sous les taxes » par le RN et la gauche. Et, au passage, marque nettement ses distances avec Édouard Philippe, Bruno Retailleau… et même Emmanuel Macron.

Le JDD - 22 novembre 2025 - Propos recueillis par Jules Torres et Victor-Isaac Anne

 

Le JDD. Le groupe Renaissance que vous présidez peut-il, oui ou non, voter un budget qui, dans sa version actuelle, transpire le socialisme ?

Gabriel Attal. Le pays doit avoir un budget avant la fin de l’année pour garantir stabilité et visibilité à nos entreprises. Mais la stabilité ne peut pas se faire au prix de l’instabilité économique et du chômage de masse. Or, c’est bien ce que cette première partie coécrite par le RN et la gauche risque de créer, avec un déluge de taxes et d’impôts venu de LFI et du RN et qui toucherait tout le monde, de nos fleurons industriels tricolores aux épargnants en passant par les petites et moyennes entreprises.

Le Premier ministre a choisi de « rendre le pouvoir au Parlement », de renoncer au 49.3. Cette méthode était-elle une erreur ?

Dans un contexte difficile, Sébastien Lecornu fait tout pour assurer la stabilité du pays, et nous le soutenons. Il a estimé que c’était la seule manière d’ouvrir un débat budgétaire, le Parti socialiste en faisant une condition. Le 49.3, utilisé à répétition, a fini par créer plus de défiance que de stabilité. Ces dernières années, il a été perçu comme une forme d’arrogance, et c’est sans doute cela que nous ont fait payer les Français : le mépris des opinions différentes. J’en ai conscience. Le mérite que je vois à l’abandon du 49.3, c’est que ce budget est un détecteur de mensonges pour la classe politique. Et les oppositions l’ont fait exploser. Jordan Bardella explique sur les plateaux qu’il est l’ami des entreprises, mais le RN vote 35 milliards d’euros de taxes et d’impôts supplémentaires sur les entreprises. Il dit défendre ceux qui travaillent, mais ses députés leur plantent des couteaux dans le dos en refusant toutes les réformes de l’assurance chômage, le RSA sous conditions, et a même voté contre les pénalités contre les plateformes chinoises comme Shein.

Le RN et Jordan Bardella ont un programme économique encore plus étatiste que la gauche. Et vous avez La France insoumise qui explique être contre le RN, mais qui vote avec lui 35 milliards d’euros d’impôts. Nous, nous nous sommes battus, pour sauver le crédit d’impôt recherche pour nos entreprises qui innovent, le pacte Dutreil qui permet la transmission des entreprises familiales entre les générations, contre la taxe Zucman qui était passée grâce au RN l’an dernier, pour baisser les impôts sur ceux qui travaillent.

La France est déjà championne du monde des prélèvements obligatoires. Avez-vous des lignes rouges fiscales ?

Je ne peux pas dire d’un côté que je souhaite un compromis et, de l’autre, fixer des lignes rouges qui le rendraient impossible. La question à laquelle le Parlement doit répondre, c’est : où se situe l’intérêt supérieur de la France ? Il réside dans deux objectifs : donner un budget au pays, et ne pas renouer avec le chômage de masse et l’explosion fiscale. Ce sont nos deux boussoles. Et donc il y aura, forcément, dans le budget, des mesures que nous n’approuvons pas, mais qui pourront exister tant qu’elles ne nuisent pas aux intérêts fondamentaux de la nation que je viens de décrire. La France ne doit pas sombrer dans le fatalisme. Je dis aux épargnants, aux entrepreneurs, à ceux qui travaillent et aux Français en général : il y aura une lumière au bout du tunnel. Ce sera l’élection présidentielle de 2027. Elle permettra de revenir sereinement sur toutes les mauvaises décisions prises depuis la dissolution et de redonner un cap au pays. Un cap pro-entreprises, pro-croissance, qui allège la pression fiscale sur tous, et qui simplifie et modernise la vie économique de notre pays. C’est le cap que nous proposerons avec Renaissance.

« Le déficit des retraites est bien plus béant qu’on ne le dit »

Si le budget est rejeté, le gouvernement s’orientera vers une loi spéciale. Est-ce un moindre mal ?

La meilleure solution reste un budget voté qui soit le moins mauvais possible. Depuis un an, nous en sommes là : limiter les dégâts. Pendant que les États-Unis, la Chine ou l’Allemagne adoptent des budgets protecteurs et offensifs pour leurs industries, nous passons des semaines à ergoter sur des hausses d’impôts absurdes et à subir la majorité que forment la gauche et le RN lorsqu’ils votent ensemble pour asphyxier tout un pays d’impôts. Ce n’est pas à la hauteur de la bataille technologique et industrielle qui se joue dans le monde, et ce n’est pas à la hauteur de la place de la France dans le monde. Mais c’est la conséquence directe de l’incapacité de la classe politique à changer de méthode pour préserver les intérêts fondamentaux de la nation, en matière économique et fiscale, comme sur les autres sujets.

Venons-en aux retraites. La classe politique ment-elle aux Français sur ce sujet ?

Ceux qui affirment que le système peut rester tel quel mentent. Si nous ne le changeons pas, cela se fera au prix des investissements essentiels pour notre avenir : l’école, l’innovation, notre souveraineté productive. Et cela conduira à sacrifier les actifs et la France qui travaille. Avec presque 1,5 actif pour 1 retraité, la répartition seule ne tient plus. J’ajoute que le déficit des retraites est bien plus béant qu’on ne le dit. Car l’État paye chaque année plus de 40 milliards pour équilibrer notre système, déjà déficitaire. Il ne faut pas simplement ajuster notre système, il faut en changer. Et il faudra briser le tabou de la capitalisation. Nous avons fait des propositions très fortes sur ce sujet.

« Il faut interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans »

Vous faites du retour de l’autorité un pilier de votre projet. Comment cela se traduit-il concrètement ?

On assiste à un délitement du respect, du civisme, de la notion même de règle. La délinquance des mineurs est ma plus grande inquiétude. J’ai fait adopter une loi, en partie censurée par le Conseil constitutionnel. Ce sera un débat central en 2027 : les mineurs de 2025 ne sont plus les mineurs de 1945. Le cadre juridique de 1945 ne fonctionne plus : il faudra donc changer la Constitution. Dans ce combat, l’école et les familles sont en première ligne. Quand l’école laisse s’installer l’impunité, elle prépare une société où la règle ne vaut plus rien. C’est pourquoi, lorsque j’étais ministre de l’Éducation nationale, j’ai fait de l’autorité un mantra fort : j’ai interdit l’abaya et le qamis, rétabli le redoublement, agi pour l’autorité des savoirs avec le « choc des savoirs ». Il faut aller plus loin : une échelle nationale des sanctions, un conseil de discipline dès le primaire, la mention des manquements à la règle dans Parcoursup. C’est dissuasif, et nécessaire.

Une enquête de l’Ifop montre une progression du rigorisme religieux chez une partie des jeunes musulmans. Comment l’expliquez-vous ? Quelle réponse politique y apportez-vous ?

Ce n’est pas une surprise pour ceux qui sont sur le terrain. J’ai proposé, seul contre tous, d’interdire le voile aux fillettes. Un épisode récent à l’Assemblée nationale vient pourtant de choquer tout le monde. C’est un échec de la République, et il faut le reconnaître. Nous devons resserrer les boulons : lutter plus fermement contre les réseaux fréristes et salafistes, protéger les enfants des influenceurs rigoristes sur les réseaux sociaux en interdisant l’accès aux moins de 15 ans, comme je le propose avec mon groupe à l’Assemblée nationale, ou créer un délit de communautarisme. Et là aussi, il ne faut pas seulement régler des paramètres : il faut réinterroger notre arsenal et sa capacité à protéger notre pays de l’intégrisme. La loi de 1905 est-elle suffisamment protectrice pour la République ? C’est un débat. L’ambiguïté n’est pas une option.

Y a-t-il trop d’immigration aujourd’hui en France ?

Je ne suis pas pour l’immigration zéro. Il faut accueillir moins pour accueillir mieux grâce à la « préférence travail » : si vous avez un emploi et respectez nos lois, vous avez vocation à rester en France. Sinon, non. Nous proposons aussi un système d’immigration à points, à l’image de ce qui existe au Canada. L’idée est de valoriser l’immigration de travail pour diminuer les autres motifs, par exemple le regroupement familial.

L’idée d’une primaire fait son chemin dans le bloc central. Faute de candidat naturel, faudra-t-il en passer par là ?

Nous sommes à dix-huit mois de la présidentielle. Mais il faudra tout faire pour desserrer la mâchoire LFI-RN et éviter qu’ils ne soient au second tour. Pour cela, il ne suffit pas d’être contre les extrêmes, il faut un projet clair, de rupture et d’espoir. C’est ce à quoi je travaille.

Si ce n’est pas vous, pourriez-vous soutenir Édouard Philippe ou Bruno Retailleau ? Qu’est-ce qui vous distingue d’eux ?

J’ai des divergences avec eux. Avec Bruno Retailleau, elles sont profondes : je suis pro-européen, alors que son parti ne l’est plus vraiment. Sur le plan économique, je suis plus libéral que LR qui reste dans un modèle daté. Et je crois qu’il faut vivre avec son temps pour pouvoir rassembler une majorité de Français. Avec Édouard Philippe, nous avons gouverné ensemble, mais il y a des différences : je plaide par exemple pour une rupture franche avec le système tel qu’il existe.

Gabriel Attal avec son groupe à l'Assemblée. © Olivier Juszczak / SIPA

Vous refusez de parler de 2027, mais tout vous y ramène. Prendrez-vous vos responsabilités ?

Quand je dis que 2027 est loin, je parle de la question des candidats, pas de celle des projets qui doivent être travaillés dès maintenant. À Renaissance, nous travaillons : retraites, sécurité, justice, immigration, écologie… nos propositions sont sur la table. Cette présidentielle sera décisive. Voulons-nous devenir le Club Med ou l’Ehpad du monde, et pour le reste une colonie américaine ou chinoise ? Ou voulons-nous rester un pays pionnier, industriel et technologique ?

Pourquoi les Français éliraient-ils le « petit frère » d’Emmanuel Macron ? 

Je récuse ce terme, mais je ne renie rien de ce que j’ai fait avec le président. Je suis moi-même. Je suis profondément libre. Je ne me définis que par rapport à ce que je pense nécessaire pour le pays. Le monde a tellement changé depuis cinq ou dix ans qu’il faudra une vraie rupture de modèle. Pas contre quelqu’un, mais une rupture pour relever les défis qui arrivent. Tout a changé. Alors tout devra changer.