
Politique
L’ancien premier ministre évoque pour Le Figaro Magazine vingt-cinq ans de combats politiques avec Bruno Retailleau à ses côtés. Pour lui, le vainqueur de LR est l’homme qu’il faut pour 2027.
Le Figaro - 22 mai 2025 - Par Charles Jaigu, pour Le Figaro Magazine
LE FIGARO MAGAZINE. - On souligne souvent la filiation entre Philippe de Villiers et Bruno Retailleau. Mais il est aussi filloniste…
François FILLON. - Nous nous sommes connus lors des élections régionales de 1998, et depuis nous ne nous sommes plus quittés. J’avais passé un accord avec Philippe de Villiers, et Bruno Retailleau conduisait la liste du Mouvement pour la France. Après notre victoire, je lui ai confié les affaires culturelles de la région des Pays de la Loire. La gauche a crié au hold-up de « l’extrême droite ». Au bout de six mois, ils adoraient Bruno Retailleau. Ils avaient trouvé un interlocuteur solide, sérieux, et courtois.
Il était villiériste, vous étiez séguiniste : vous partagiez le vote contre le traité de Maastricht…
Nous étions sur cette ligne, et nous y sommes toujours. Nous ne voulons pas d’une marche forcée vers un ensemble européen intégré et technocratique. J’avais proposé en 2017 l’arrêt de l’élargissement et le recentrage de l’Europe sur les grands défis économiques et de sécurité. Ces propositions sont plus que jamais d’actualité.
Et puis il y a eu la rupture entre Retailleau et Villiers. À cause de vous ?
Mes relations étaient excellentes avec Philippe de Villiers, et puis Bruno s’est mis à voler de ses propres ailes. Cela a commencé à créer des tensions. Après 2007, j’ai voulu par deux fois le faire entrer au gouvernement quand j’étais premier ministre. Malheureusement, Villiers a mis son veto. Il a mis dans la balance son soutien à Nicolas Sarkozy pour 2012.
On dit de Bruno Retailleau qu’il est intraitable sur ses convictions, mais il était d’accord pour entrer dans votre gouvernement – qui était proeuropéen et même d’ouverture – et il est entré puis resté dans les gouvernements Barnier et Bayrou.
Bruno est constant dans ses convictions fondamentales, mais ce n’est pas un idéologue. Il est réaliste et il est pragmatique. C’est d’ailleurs cela qui explique selon moi une si large victoire. Les électeurs n’ont pas choisi une ligne. Ils ont choisi un homme authentique. Et qui est cet homme ? C’est l’anti-Macron. Il est ancré à droite, catholique affirmé, et allergique au « en même temps ». Je pense que personne ne peut prétendre avoir été trahi par Bruno Retailleau.
Même Philippe de Villiers ?
Non, c’est Philippe de Villiers qui a rompu avec lui, pas l’inverse. Mais je comprends qu’ils se sont réconciliés et je m’en réjouis.
Il était dans votre entourage proche pendant la campagne présidentielle de 2017. Quel souvenir en gardez-vous ?
Il a été d’une fidélité exemplaire quand tant d’autres s’éloignaient. La veille du rassemblement au Trocadéro (le 5 mars 2017, NDLR), j’avais décidé de tout arrêter. Bruno a été l’un des rares à tenter de m’en dissuader. Si je l’ai finalement écouté c’est parce que j’ai compris, après une conversation téléphonique avec Alain Juppé, qu’il n’irait pas, et parce que la force du rassemblement militant place du Trocadéro m’a profondément touché. Mais c’est une autre histoire…
Si victoire il y avait eu, quelle place aurait-il eue dans votre gouvernement ?
Il faisait partie des deux ou trois auxquels je pensais pour Matignon. Il avait la compétence, il connaissait par cœur mon projet, et il avait une bonne connaissance de la vie parlementaire. Si j’avais dû faire un autre choix pour Matignon, je souhaitais le nommer au ministère de l’Intérieur.
Après votre départ de la vie politique, vous lui avez laissé la présidence de votre mouvement Force républicaine. Qu’espériez-vous ?
J’ai toujours misé sur lui. Et notre petit mouvement lui donnait un camp de base. Mais il est vrai qu’il a mis longtemps à émerger dans l’opinion. Je commençais à me décourager, car les sondages étaient désespérants. J’ai craint qu’il ne puisse trouver l’occasion de prendre son essor. C’est une période au cours de laquelle j’ai échangé avec Laurent Wauquiez, qui avait lui aussi de grandes capacités.
Manque-t-il du charisme qu’on attend d’un présidentiable ?
Les Français sont vaccinés contre les hommes et les femmes politiques soi-disant charismatiques qui sont bien souvent plus préoccupés de leur image que de l’intérêt général. J’ai d’ailleurs fait l’objet des mêmes critiques jusqu’à ma victoire à la primaire.
Après avoir longtemps refusé toute participation à un gouvernement avec des macronistes, il change d’avis après la dissolution. En avez-vous parlé avec lui ?
Dans les jours qui ont suivi cette invraisemblable dissolution, nous avons beaucoup échangé par téléphone. Tout comme avec Éric Ciotti, qui voulait créer l’union des droites. Je n’y étais pas favorable car sa démarche ne pouvait qu’affaiblir les Républicains et renforcer l’hyper centre voulu par Emmanuel Macron qui est à l’origine de la crise de régime que nous affrontons. Bruno Retailleau, en revanche, n’a pas eu d’hésitation. S’il respecte le RN, il sait que ce parti n’est pas porteur d’un véritable projet de redressement national.
Pensiez-vous qu’il devait entrer dans un gouvernement de coalition ?
J’étais très sceptique. Mais il fallait à tout prix éviter un gouvernement de gauche. Je pense aussi qu’il a compris que c’était l’occasion qui lui permettrait de montrer qu’il était différent. Il a fait ce choix en accord avec Laurent Wauquiez qui souhaitait lui-même un grand ministère de l’Économie ou bien l’Intérieur. La suite montre qu’il a eu raison.
Le score de 75 % veut-il dire que les adhérents de LR ont plébiscité sa présence au gouvernement ?
Ils ont estimé que, dans les conditions actuelles, sa participation au gouvernement était utile. Mais ils n’ont pas applaudi à l’idée d’une alliance électorale durable. Et ils savent que Bruno Retailleau n’est pas macroniste et qu’il est désormais bien placé pour incarner une rupture profonde avec cette expérience malheureuse.
Rouvrir LR vers le centre droit grâce à cette participation lui a réussi, plutôt que de camper sur le ni-ni…
C’est un des aspects de la reconquête. Il ne suffit pas. La moitié des électeurs qui ont voté pour moi en 2017 votent désormais RN. Il faudra répondre à leurs préoccupations.
Il paraît qu’il est trop tôt pour parler de la présidentielle…
C’est pourtant la seule élection qui peut nous permettre de sortir de la spirale de l’échec qui nous entraîne vers un affrontement civil dangereux pour la cohésion de notre nation.
Édouard Philippe jouit d’excellents sondages. La voie centrale ouverte par Emmanuel Macron est-elle vraiment si impopulaire ?
Les Français aspirent à une alternance radicale. Ils l’expriment pour le moment en votant massivement pour l’extrême gauche et pour le Rassemblement national. Comment croire que la solution à la crise profonde que traverse la France pourrait venir de ceux qui la dirigent depuis près de dix ans ?
Bruno Retailleau a dit qu’il ne quitterait pas le gouvernement pour le moment. Comment voyez-vous la suite ?
Il est difficile d’imaginer que ce gouvernement puisse durer jusqu’en 2027. Sauf à faire des compromis avec la gauche qui justifierait le départ immédiat de Bruno Retailleau et le soutien des Républicains.
Quelles seraient ces raisons ?
La loi sur la fin de vie, le débat sur le budget, l’augmentation des impôts, la réforme électorale, les retraites, et le débat sur l’irréaliste et dangereux partage de la dissuasion, sont autant de motifs de départ.
Ce plébiscite à la tête de LR peut-il sonner le glas du macronisme et la recomposition d’une force de droite centrale semblable à l’UMP que vous avez connue ?
On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Le débat démocratique est très abîmé, et la qualité des hommes qui y prennent part s’est détériorée. Mais je suis convaincu que l’on va revenir d’une manière ou d’une autre à un débat droite-gauche, même si j’ignore quelle forme exacte il prendra. Emmanuel Macron en voulant effacer le clivage entre la droite et la gauche a rendu l’alternance sereine impossible. Or l’alternance c’est la première des différences entre les régimes démocratiques et les autres.
Bruno Retailleau dit qu’il veut défendre la France des « honnêtes gens ». Est-ce un bon slogan ?
Ce n’est pas un slogan, c’est une conviction qui s’appuie sur un parcours politique de plus de vingt ans et qui s’exprime à travers une attitude personnelle constante. Bruno Retailleau veut en finir avec une forme de dictature des minorités qui est la cause de la colère sourde des Français à l’égard des responsables politiques. Il veut rétablir l’autorité de l’État sans laquelle il est impossible de rassembler la nation et de permettre aux Français de se projeter dans l’avenir avec confiance. Il parle au nom de la majorité silencieuse qui a le sentiment d’être dépossédée de ses droits.
- 34 Lectures