Nicolas Sarkozy au Cap Nègre, le 29 août. Thibaut Daliphard/Eliotpress pour Le Figaro

Entretien

Pour sortir le pays de «l’impasse», l’ex-chef de l’État appelle les «forces politiques de gouvernement» «à se hisser au-dessus des intérêts partisans». Selon lui, Les Républicains doivent «œuvrer à faire nommer un premier ministre de droite».

Le Figaro - 30 août 2024 - Par Claire Conruyt et Jim Jarrassé

LE FIGARO.- Cela fait 45 jours que la France n'a plus de gouvernement de plein exercice. Emmanuel Macron tarde-t-il à nommer un premier ministre ?

Nicolas SARKOZY.- A-t-on vraiment pris conscience de la gravité de la situation de notre pays ? La France est face à trois crises simultanées qui peuvent exploser soit en même temps, soit successivement. La première, c'est le risque d'une crise financière. Compte tenu de la dette de la France, de ses déficits et de ses dépenses trop importantes, je ne pense pas qu'il soit prudent de rester sans gouvernement ni ministre des Finances avec le risque en prime de ne pas avoir de budget ! Il y a ensuite une possibilité de crise sociale, qui est une tradition française. Il y a beaucoup d'exemples dans notre histoire récente de conflits sociaux qui ont dégénéré. Enfin, une crise politique. Un mois et demi sans gouvernement, après une dissolution dont je persiste à dire qu'elle a été une erreur, et une désintégration de tous les partis démocratiques qui n'ont jamais été aussi divisés. La France est vraiment au bord d'un précipice. De surcroît, l'extrême-gauche dans notre pays ne veut pas gouverner. Il s'agit bien davantage d’une tentative de coup d'État de La France insoumise que d'une volonté d'alternance démocratique face à une situation parlementaire impossible à dénouer. C'est peu de dire que les motifs d'inquiétude sont nombreux.

Le président de la République a donc eu raison d'écarter la nomination d'une figure du Nouveau Front populaire à Matignon ?

Avant de répondre à cette question, il convient de prendre le temps du diagnostic. Analysons la situation politique à la lumière des deux derniers scrutins, les européennes et les législatives anticipées. La France est de droite, sans doute comme elle ne l'a jamais été. Une droite qui ne doit pas être conservatrice, une droite qui doit porter les valeurs du travail, du mérite, de l'ordre, de l'autorité, de la promotion sociale. Quand le président de la République dit qu'il ne souhaite pas nommer un représentant du Nouveau Front populaire parce qu'il serait immédiatement censuré par le Parlement, il a raison. Sa position est difficilement contestable. À cela, s'ajoutent les questions de fond. Il est étrange d'entendre ce que disent les responsables du NFP, en matière économique, politique, de relations internationales, d'antisémitisme. Les réalités économiques sont niées. Leur programme constitue une régression comme l'on en a rarement vu. Il n'y avait donc pas d'autre solution que d'écarter une figure du NFP pour Matignon. 

Maintenant, la grande question est d'éviter que la France ne sombre dans une situation où il y a tant de périls. Il faut préserver notre pays et le sortir de cette impasse. C'est pourquoi il n'y a pas d'autre choix que d'aider le président de la République. Cela évitera de nouvelles erreurs. C'est l'intérêt supérieur de la Nation qui le commande quoi que l'on pense de son bilan par ailleurs. Il convient pour la France d'essayer de trouver une solution viable et donc de faire des compromis. La solution idéale n'existe pas. Les forces politiques de gouvernement doivent le comprendre. Doit-on ajouter la crise à la crise ou doit-on essayer, au nom de l'intérêt du pays, de se hisser au-dessus des intérêts partisans ? Servir l'intérêt général et nos institutions, c'est permettre au pays de constituer un gouvernement composé de personnes honorables qui conduiront une politique raisonnable dans un climat difficile pour sortir le pays de l'ornière.

Est-ce là un message aux Républicains ?

Pas uniquement. C'est un message à tous les partis de gouvernement. Les Républicains, une formation politique que j'ai créée, au sein de laquelle j'ai tant d'amis, est un parti de gouvernement. Et la caractéristique d'un parti de gouvernement, c'est qu'il ne doit jamais faire la politique du pire. Nous ne sommes ni le Rassemblement national, ni LFI. C'est ce qui fait notre spécificité. La situation est grave et la seule façon d'en sortir, c'est que chacun mette de côté ses intérêts partisans immédiats. J'ai été chef de parti, je ne les moque ni ne les sous-estime. Mais il faut un sursaut et une certaine hauteur de vue. Je ne comprends pas la position qui consiste à proposer au président de la République un programme minimum tout en affirmant vouloir rester en dehors de l'équipe gouvernementale qui serait en charge de l'appliquer ! Si on se met d'accord sur un pacte législatif, ce n'est pas pour en discuter mais pour le mettre en œuvre. On ne change les choses que de l'intérieur. Vous voulez peser sur le gouvernement de la France ? Alors, il faut y participer. À ceux qui pensent qu'il y a là le risque de se dissoudre politiquement, j'oppose la conviction que ne se dissolvent que les faibles. Si vous êtes forts, vous ne vous dissolvez pas.

Si Xavier Bertrand souhaite prendre sa part au redressement de la France et éviter la crise, c'est un bon choix.

Nicolas Sarkozy

Bernard Cazeneuve ferait-il un bon premier ministre ?

Bernard Cazeneuve est un homme de qualité, loin des caricatures que l'on trouve chez d'autres responsables de gauche, mais qui hélas porte, sans doute de façon un peu injuste, la tunique d’un hollandisme finissant. Néanmoins, ce n'est pas la solution qui m'apparaît la plus en adéquation avec le centre de gravité de la politique française, qui est à droite. Je souhaite donc que ma famille politique œuvre à faire nommer un premier ministre de droite plutôt que de céder à la facilité de laisser nommer une personnalité de gauche. J'espère que des personnalités sociales-démocrates prendront également leur part de responsabilité même si la quasi-totalité des députés socialistes sont prisonniers de cette alliance électorale avec LFI. 

Les noms de Xavier Bertrand ou encore de Valérie Pécresse circulent eux aussi...

Je ne porterai jamais de jugements négatifs sur les gens qui veulent s'engager. J'ai toujours préféré ceux qui s'engagent à ceux qui commentent. Si Xavier Bertrand souhaite prendre sa part au redressement de la France et éviter la crise, c'est un bon choix. Il y a ces noms-là, il y en a d'autres. De surcroît, le président ne sera pas candidat à sa réélection. Ainsi, tout devrait inciter à faire le choix de la France plutôt que celui des partis. Les Français n'aiment leurs responsables politiques que lorsqu'ils pensent qu'ils sont utiles. Il faut être dans l'action. C'est comme cela que l'on construit un destin politique. Les Républicains, coincés entre le populisme du NFP, et le populisme du RN, sont inaudibles. M. Mélenchon, qui a de l'habileté, et Mme Le Pen, qui a du coffre, parleront toujours plus haut et plus fort. La différence ne doit pas se faire par le volume de la protestation mais par la qualité et l'efficacité de la mise en œuvre d'une politique au service du pays.

Lors de sa rentrée politique, Laurent Wauquiez a promis de refonder la droite. Cela doit-il passer par une participation au gouvernement ?

Laurent Wauquiez a beaucoup de talents et j'ai de l'amitié pour lui mais j'ai une différence d'approche stratégique. Il a raison de vouloir refonder. Que pouvait-il dire d'autre à propos d'une famille qui a connu dernièrement tant de désillusions électorales ? Mais la gravité de la situation d'aujourd'hui impose de changer de stratégie et d'assumer la responsabilité de gouverner. Est-ce que cela m'a nui d'être pendant quatre ans le ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac, avec qui j'avais bien des désaccords ? Cela ne m'a en tout cas pas empêché de faire campagne sur la rupture ni d'être candidat à la présidentielle. Il faut démontrer sa volonté par les faits. Le sentiment le plus répandu chez nos compatriotes est l'inquiétude. Vous n'y répondez pas en augmentant l'angoisse, mais en apaisant et en prenant vos responsabilités.

Il est faux de dire que Marine Le Pen est plus dangereuse que Jean-Luc Mélenchon.

Nicolas Sarkozy

Comment jugez-vous l'alliance d'Éric Ciotti avec le RN ?

Je n'ai jamais voulu d'alliance avec le Front national ni le Rassemblement national. Mais à l'inverse, je n'ai jamais voulu tomber dans la diabolisation. La droite doit gagner par elle-même et regarder avec une grande franchise les problèmes du quotidien auxquels les Français sont confrontés. Ce qu'a fait Éric Ciotti, ce n'est pas le choix d'une alliance mais d'une absorption compte tenu de la force du Rassemblement national. Je ne vois pas l'intérêt de monter sur le porte-bagages d'une moto conduite par Mme Le Pen. Quand j'ai été candidat, jamais Mme Le Pen ni son père n'ont été au second tour, c'est d'ailleurs bien pourquoi elle avait appelé à me faire battre face à François Hollande. Ce que nous avons fait dans le passé, d'autres peuvent le faire maintenant.

Comment analysez-vous la puissance du front républicain ?

Elle m'a surpris. Mais ce que l'on peut dire, c'est que ce front républicain n'a pas amené de clarté. J'ai été étonné de voir certains responsables dits de droite appeler à voter pour le Parti communiste plutôt que le RN. Est-ce que je l'aurais fait ? Non. Je pense que la bonne solution était de ne choisir ni l'un, ni l'autre. Il est faux de dire que Marine Le Pen est plus dangereuse que Jean-Luc Mélenchon.

L’examen du budget doit débuter début octobre à l'Assemblée. Il faut trouver 25 milliards d'euros pour stabiliser le déficit. Craignez-vous que la crise politique ne plonge notre pays dans une crise budgétaire ?

Il n'y a malheureusement pas besoin d'une crise politique pour avoir une crise budgétaire. Le seul moment depuis 1958 où l'on a réduit le nombre de fonctionnaires, c'était durant mon quinquennat. On m'a suffisamment reproché les 155.000 fonctionnaires en moins. Et pourtant nous n'avions pas le choix. Nous avons une fonction publique trop lourde et la France ne travaille pas assez. J'ai été de ceux qui ont soutenu le «quoi qu'il en coûte» du président Macron, mais je ne suis pas d'accord avec la création de 30.000 fonctionnaires en plus décidée l'année dernière. Je crains que des attaques sur la dette de la France puissent se produire. Cette réalité doit conduire à un changement des comportements politiques et à du courage dans les réformes.

Les JO ont été une grande démonstration de l'utilité de la verticalité et du dépassement de soi, de la valorisation de la performance.

Nicolas Sarkozy

Autre urgence pour les Français : la sécurité. À Mougins, un gendarme a été tué lors d'un refus d'obtempérer par un homme déjà condamné dix fois par la justice. Sa veuve accuse la France d'avoir «tué son mari». Que vous inspire sa réaction ?

La prise de parole de cette femme était bouleversante d'émotions et de vérité. Dans ma longue carrière, les quatre années où j'étais le plus heureux furent celles au ministère de l'Intérieur. Mon lien avec les policiers et les gendarmes a toujours été très profond : je les aime et je les admire. Je n'accepte pas les attaques honteuses qu'ils subissent au quotidien. Mais, disons la vérité : lorsque j'ai imposé les peines planchers, on m'a qualifié de fasciste, de dictateur. C'était pourtant la réponse aux multirécidivistes : quand un délinquant arrivait devant le tribunal, il n'était plus jugé pour sa dernière infraction mais pour «l'ensemble de son œuvre». Quelle a été la première décision de M. Hollande ? Supprimer les peines planchers. Quand la gauche a été au pouvoir, elle a démantelé l'arsenal sécuritaire que nous avions mis en place. Avec les peines planchers, le meurtrier de Mougins n'aurait vraisemblablement pas été en liberté. Donc quand on dit que rien n'a été fait depuis 50 ans, c'est un mensonge. Car la droite et la gauche, en matière de sécurité, ce n'est pas la même chose.

Les actes d'antisémitisme ont augmenté de 200% depuis le début de la guerre Israël-Gaza. Et la violence monte d'un cran, comme l'illustre l'attentat contre la synagogue de la Grande Motte. L'importation du conflit dans notre pays est-elle une fatalité ?

Il y a toujours eu de l'antisémitisme en France et il a toujours été malheureusement sous-estimé. C'est une réalité extrêmement douloureuse, car la France sans la communauté juive ne serait pas la France. L'antisémitisme ne s'explique pas, il se combat, il se condamne et il doit être sanctionné sans la moindre faiblesse. Il y a encore trop de complaisance, voire de complicité lorsque l'on entend certains responsables d'extrême-gauche.

Comment sortir du conflit ? Les tentatives de cessez-le-feu n'aboutissent pas…

Il faut commencer par reconstruire le système multilatéral international qui ne fonctionne plus. L'ONU est aux abonnés absents, il faut réformer son fonctionnement en augmentant le nombre de membres permanents au conseil de sécurité. Il faut un pays africain, l'Inde, le Japon, un pays arabe... Le jour où ces pays se sentiront respectés, associés au fonctionnement multilatéral, la notion de gouvernance mondiale reprendra tout son sens et on pourra à nouveau trouver des solutions aux grandes crises du monde. En ce qui concerne le Proche-Orient, la solution à deux États est la seule viable. Il faut qu'un leader ait le courage de la porter vraiment. Ce devrait être le rôle de la France.

Les Jeux Olympiques ont-ils été une «parenthèse enchantée» qui va se refermer ou peut-on tirer des leçons collectivement de cette réussite ?

Il y a des Français qui se sont révélés dans leur capacité d'organisation. Je veux rendre un hommage appuyé à Tony Estanguet qui a fait un travail absolument remarquable et à tous les organisateurs, d'Emmanuel Macron et Amélie Oudéa-Castéra à Anne Hidalgo et Valérie Pécresse. Quelles sont les leçons de ces JO ? On a vu des Français qui avaient faim. Faim de drapeaux tricolores, de Marseillaise, d'excellence, de compétition, de mérite, de travail, de moments d'exaltation partagés. On a vu des gens qui étaient fiers d'être Français et qui soutenaient leurs compatriotes, sans jamais détester les autres. Les Français aiment la compétition, la récompense, la diversité des talents. On est bien loin du nivellement, de l'égalitarisme de la société horizontale. Les JO ont été une grande démonstration de l'utilité de la verticalité et du dépassement de soi, de la valorisation de la performance. On était aux antipodes de la pensée woke. Quelle bonne nouvelle !