
Finances publiques
L’ex-président du Medef tire la sonnette d’alarme : dette explosive, dépenses publiques hors de contrôle, menace du FMI… Dans un livre, Pierre Gattaz propose 30 réformes « gagnant-gagnant » pour relancer l’économie, du recul de l’âge de la retraite à la réduction du nombre de fonctionnaires.
Le JDD - 31 août 2025 - par Armelle Favre et Antonin André
Le JDD. L’économie de la France décline. Dans votre livre, vous proposez 30 idées pour notamment « augmenter le pouvoir d’achat des Français de 30 % en dix ans ». Quelle est votre recette miracle ?
Pierre Gattaz. J’ai écrit ce livre avec trois patrons de terrain aguerris, Michel de Rosen, Xavier Fontanet et Maxime Aiach, en définissant tout d’abord une ambition pour notre pays. Une ambition qui intègre tous les Français et réponde au problème qui touche tout le monde : « Comment vivre décemment avec son salaire ? » Mais augmenter le pouvoir d’achat ne se fait pas sans efforts ni réformes, et il faut donc faire un lien entre des réformes structurelles, très souvent incomprises ou considérées comme impopulaires mais qui sont nécessaires, et le pouvoir d’achat. Les opposer revient à faire un contresens. Les mesures que nous proposons sont « gagnant-gagnant » et classées en quatre blocs.
Le premier : « Gagner plus en travaillant plus. » C’est la raison pour laquelle, lorsque le Premier ministre demande aux Français de travailler deux jours fériés supplémentaires, nous estimons qu’ils devraient être rémunérés. Au-delà, nous militons pour aller à la semaine de 40 heures, là encore rémunérée en conséquence, même si nous avons conscience que cette mesure est impopulaire. Le calcul est simple, trois heures de travail supplémentaire par semaine génèrent 160 milliards d’euros : la moitié pour l’État, en cotisations sociales, salariales, patronales. L’autre moitié équivaut à une hausse de 8 % de revenu net pour les salariés. Autre mesure nécessaire au « travailler plus » : l’âge du départ à la retraite devrait être reculé à 67 ans. Les salariés souhaitant partir avant, à 63 ans, le pourraient, avec un malus à déterminer. Là encore, le bénéfice pour l’économie est conséquent : 20 milliards d’euros par an et par année de recul, soit 60 milliards d’économies pour 67 ans.
Le deuxième bloc de propositions vise à optimiser le modèle social, dont l’une, par exemple, en baissant les charges patronales de 30 % pour augmenter principalement le salaire net. Troisième train de mesures : instaurer durablement la confiance et la croissance, par exemple en réindustrialisant le pays et en relançant l’apprentissage. Enfin, quatrième bloc : nous proposons de recentrer l’État sur ses missions régaliennes et de réaliser des économies dans une sphère publique devenue trop lourde, en travaillant mieux, plus efficacement. Tout le monde y gagnera : les fonctionnaires et les bénéficiaires.
« Éliminons la moitié des agences de l’État »
Où trouvez-vous les économies ?
Optimisons, innovons, changeons, regardons ce qui se passe à l’étranger, réorganisons, ouvrons les silos, et fixons-nous une règle qui va guider ces réformes. Par exemple, sur les 160 000 départs à la retraite de fonctionnaires, nous faisons le choix de n’en remplacer qu’un sur deux. Sur dix ans, cette gestion de la masse salariale de l’État, quasi indolore, génère une économie totale de presque 50 milliards – 4,9 milliards par an ! Les collectivités territoriales emploient 1,2 million de fonctionnaires, c’est beaucoup trop ! Fusionnons les régions et les départements. Éliminons la moitié des agences de l’État. Donnons-nous l’ambition collective de remonter le PIB de l’industrie de 10 % du PIB à 15 % en dix ans… L’ensemble de ces mesures permettrait, d’après nos études théoriques, de hisser la croissance à 2 % de PIB annuel, et en rêvant un peu de viser les 3 % par an si l’ambition et le courage sont là.
Avez-vous soumis ces mesures au ministre de l’Économie et des Finances ? Au Premier ministre ?
J’ai prévu de leur envoyer mon livre.
Quel regard portez-vous sur les programmes des différents partis politiques ?
Je ne comprends pas la vision de La France insoumise, qui multiplie les déclarations de guerre, sur le modèle vénézuélien. Néanmoins, s’ils me sollicitent, je suis disposé à leur exposer notre vision. Je constate également que le PS a basculé dans la radicalité, loin du parti un peu plus réformateur, social-démocrate avec lequel je travaillais lorsque je dirigeais le Medef, sous François Hollande et Manuel Valls, et qui m’avait redonné un peu d’espoir. J’observe que depuis la dissolution, les socialistes ont régressé. De façon générale j’éprouve à l’endroit des partis d’opposition beaucoup de colère et d’incompréhension. Et j’attends toujours un programme économique clair et cohérent de la part du Rassemblement national et une position responsable sur les retraites.
Emmanuel Macron, depuis dix ans, revendique une politique de l’offre, mais elle n’a pas totalement fonctionné. En quoi le président a-t-il en partie échoué ?
La politique de l’offre a créé deux fois un million d’emplois entre 2014 et 2023, a aidé nos concitoyens à trouver un emploi et un métier, a permis d’atteindre presque un million d’apprentis, freiné le déclin de l’industrie, etc. Ce n’est pas rien ! Elle a montré qu’elle fonctionne. Mais elle ne fait pas tout. Le président de la République a malheureusement omis une pratique inhérente à la vie en entreprise : gérer les dépenses. C’est le préalable à toute organisation économique : celle d’un ménage, d’un artisan, d’un patron… ou de l’État ! Emmanuel Macron président, lors de la crise des Gilets jaunes ou de celle du Covid, a ouvert largement les vannes, sans se préoccuper du nécessaire retour à l’équilibre et à la restriction des dépenses. Le « quoi qu’il en coûte » nous aura coûté très cher et aura eu, in fine, des répercussions dramatiques.
On constate une difficulté à réformer le pays. Les actifs qui paient pour les retraités et le modèle social ne veulent pas payer davantage. Une partie de la gauche exhorte à taxer les hauts patrimoines et les entreprises… Comment résoudre cette équation ?
Il faut donner une raison d’être aux réformes, leur donner du sens. C’est ce que nous proposons dans cet ouvrage, avec 30 réformes en faveur d’une croissance équitablement répartie : un tiers pour le pouvoir d’achat des Français, un tiers pour la réduction des déficits, un tiers pour investir dans les défis d’avenir, notamment le militaire, face aux dangers internationaux qui nous guettent, la transition énergétique, la data, l’IA… Je le répète : notre pays manque cruellement d’une vision claire et d’une compréhension de la manière dont on crée de la richesse. Lorsqu’on entend qu’il faut taxer les riches, taper sur les patrimoines, on verse dans l’incohérence. La France est une baignoire percée : si vous ouvrez le robinet à taxes sans régler vos problèmes de fuite, cela ne fonctionnera pas, vous arroserez les voisins ! Nous avons 40 milliards d’économies à accomplir. La solution n’est pas de décourager les forces productives mais de les encourager et en même temps de résorber les fuites. Taxer simplement les riches les incitera à quitter le pays, et la production de richesses se tarira mécaniquement. Enfin, n’oublions pas qu’aucune augmentation d’impôts n’a jamais provoqué l’augmentation du salaire net des travailleurs français…
« Le spectre d’un rappel à l’ordre du FMI nous menace »
Est-ce déjà le cas, lorsqu’on évoque le déclassement français vis-à-vis de ses voisins ?
Il y a aujourd’hui deux fois moins d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) patrimoniales en France qu’en Italie, et presque trois fois moins qu’en Allemagne. Ces ETI sont souvent territoriales et industrielles. Par ailleurs, pour répondre à ceux qui estiment que les riches sont trop riches en France, l’écart entre les foyers les plus aisés et les plus pauvres se situe dans la moyenne basse de l’OCDE et de l’Union européenne. La France est le pays le plus redistributif du monde. Ayez en tête que 10 % des patrimoines les plus élevés payent la moitié de l’impôt sur les revenus. C’est considérable. Chacun doit faire des efforts, j’en conviens, mais avec une ambition collective qui s’appuie sur nos entrepreneurs.
Pour certains partis politiques, la taxation vire à l’obsession. Je maintiens qu’il est absurde de taxer sans faire aucune économie – c’est ce que l’on fait depuis trente ans. Ajoutez-y un côté primitif, voire haineux, accolé à ces demandes incessantes de taxation, et l’on bascule dans une forme de violence irrationnelle malsaine pour la cohésion nationale. Je crains, dans les mois à venir, qu’une lame de fond de départs de hauts patrimoines soit la conséquence de ce déchaînement irrationnel. J’ai déjà connu cela par le passé, en 2013, avec la taxation à 75 % des plus riches opérée par François Hollande. Pour moi, vouloir taxer tout ce qui bouge, pour le dire crûment, relève de la folie furieuse.
Les difficultés budgétaires de la France font courir le risque d’une hausse des taux d’intérêt et, à terme, d’une mise sous tutelle du FMI. Est-ce un risque imminent ?
Ce risque est bien réel. Les entrepreneurs que je vois sont tous extrêmement inquiets de la situation politique française. Depuis la dissolution, j’entends chez les dirigeants d’entreprise des propos dramatiques, décourageants, inquiétants. Je n’ai pas connu une telle situation depuis 2013. Les départs d’entreprises peuvent avoir lieu – c’est un appauvrissement à bas bruit mais qui est dramatique pour notre pays. Or aujourd’hui, on en revient à la situation politique instable qui n’incite pas à l’optimisme. Dans ce contexte, le rendez-vous du 8 septembre n’est pas de nature à rassurer les acteurs économiques. Que va-t-il se passer ? Nous aurons sans doute un nouveau Premier ministre. Aura-t-il une solution à notre situation urgente et complexe ?
L’incertitude est très mauvaise pour les affaires et je constate qu’actuellement, les entreprises gèlent leurs investissements, n’embauchent plus. Nos entrepreneurs sont pris en étau entre des décisions politiques floues et parfois incohérentes, et des acteurs qui soufflent sur les braises d’une colère sociale réelle. Essayons de tenir, les mois à venir, dans un cadre sécurisant, jusqu’à la présidentielle de 2027. À ce moment-là, je l’espère, les propositions que nous déclinons dans ce livre seront reprises par certains partis politiques, et les Français feront leur choix. La France a besoin, à sa tête, de quelqu’un de lucide, doué de bon sens et courageux. En attendant, je vous le confirme, le spectre d’un rappel à l’ordre du FMI nous menace de plus en plus fortement. Le scénario catastrophe d’une date hors de contrôle se précise. Si ce jour-là arrive, cela ne sera pas drôle. Nous nous retrouverons dans la situation de la Grèce, soumis à des coupes sombres, dont nous ne piloterons ni l’ampleur ni la répartition.
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