Entretien
La situation de la France peut se dégrader et basculer très vite, alerte la présidente LR de la région Île-de-France, qui exhorte les futurs ministres à partir à la «chasse aux gaspillages» sans attendre les proochains textes budgétaires.
Le Figaro - 19 décembre 2024 - Par Claire Conruyt, Emmanuel Galiero et Marie-Cécile Renault
LE FIGARO .- Dans le contexte d’une France bloquée, François Bayrou est-il l’homme de la situation ?
VALERIE PÉCRESSE.- Je ne peux que le souhaiter pour la France, qui a besoin de stabilité. François Bayrou est un élu d’expérience, qui a eu le courage de poser dans le débat le sujet de la dette. Je le jugerai sur les actes. Pour sortir du marasme actuel, il faut une ligne politique de remise en ordre des comptes et de débureaucratisation. Il faut remettre l’ordre dans le pays, non seulement dans nos finances, mais aussi aux frontières, dans la rue et au sein des services publics. L’État doit être concentré sur ses trois missions essentielles : protéger, éduquer, soigner. Je ne réinvente rien, c’est ce que j’ai défendu dans ma campagne de 2022 !
Faut-il, pour garantir cette politique, que la droite obtienne des portefeuilles importants ?
Ce n’est pas le sujet. Il faut à la France des ministres « chasseurs de gaspillages », dont la réussite sera jugée à leur capacité à amincir leur département ministériel. C’est un changement radical de culture par rapport à ce qu’on connaît aujourd’hui où l’influence d’un ministre se mesure à sa capacité à augmenter son budget !
Notre croissance est minée, comme la confiance de tous les investisseurs dans notre pays.
Valerie Pécresse
Craignez-vous une crise financière ?
Oui, s’il n’y a pas de redressement. Notre croissance est minée, comme la confiance de tous les investisseurs dans notre pays. Je reviens des États-Unis, où j’ai rencontré les grands acteurs de la place financière que nous avions réussi à attirer après le Brexit… Ils s’inquiètent de la fragilité intrinsèque de la France et de sa bureaucratie. En revanche, ils ne s’interdisent pas de « piller » nos talents en IA, quantique, biotechs… C’est un terrible gâchis pour notre pays. Le premier ministre n’a pas d’autre choix que de s’attaquer à la discipline budgétaire et à la débureaucratisation. Sinon, nous risquons l’effacement.
Si vous étiez à la tête d’un grand Bercy, quelles mesures prendriez-vous en priorité ?
Sans attendre le vote du budget qui n’interviendra qu’en cours d’année au mieux, je donnerais un signal puissant en ordonnant aux ministres de baisser tout de suite de 4 % leurs dépenses. C’est ce que l’État a voulu imposer aux collectivités locales, à lui de donner l’exemple. Toute dépense doit être interrogée sur son utilité, c’est ce que j’ai fait à la région. Les ministres doivent réduire le nombre des agences de l’État qui se sont superposées à leurs ministères et les fermer. Ensuite, il faut enclencher la suspension des normes (délais, procédures, …) que l’État continue de créer sans mesurer leur impact sur la compétitivité. Nous avons réussi à organiser les JO parce qu’il y a eu « une trêve bureaucratique ». Cette trêve il faut l’élargir à toute la France et en permanence. Enfin, j’engagerais très vite une revue de tous les actifs de l’État qui pourraient être vendus pour réduire la dette.
Concrètement, où trouver des économies ?
Partout ! À commencer par l’immobilier de l’État. Il n’y a pas de petites économies. Quand nous avons déménagé la région de Paris à Saint-Ouen, nous avons fait 25 millions d’économies sur le loyer. La gauche m’a rétorqué que c’est « l’épaisseur du trait » quand on gère 5 milliards. Pourtant, c’est l’équivalent du coût de la formation de 2 500 infirmières ! Si on déménageait les administrations de l’État du centre de Paris à la Défense où le marché immobilier a perdu 30 %, et que l’État décidait de vendre un certain nombre de ses immeubles à Paris, on enclencherait le désendettement.
Avec le retour du budget à l’Assemblée, faudra-t-il accepter quelques hausses d’impôts pour ne pas être censuré ?
Il faut absolument éviter les hausses d’impôts. L’impôt juste, c’est l’impôt efficace. Or, les classes moyennes payent trop d’impôts, sans avoir l’efficacité des services publics qui va avec.
Faudra-t-il alors accepter des assouplissements sur la réforme des retraites ?
Il faut dire la vérité aux Français. Nous ne pourrons pas travailler moins longtemps si nous voulons garder la même protection sociale. C’est une question démographique, ce n’est pas une question idéologique.
"À un moment, l’Europe et les investisseurs ne vont plus supporter la France surendettée"
Valérie Pécresse
De son côté, l’extrême gauche affirme que la dette n’est pas si grave…
Qu’ils aillent voir l’Argentine, qu’ils aillent en Grèce, qu’ils aillent voir tous les pays qui se sont retrouvés surendettés. Ils ne savent pas ce qu’est une crise financière. J’ai été ministre du Budget en 2011, lors de la crise des dettes souveraines. Nous avons dû réduire les dépenses de l’État en quatrième vitesse alors que les taux d’intérêt commençaient à exploser. À un moment, l’Europe et les investisseurs ne vont plus supporter la France surendettée, sous morphine de dépenses publiques. Il n’y a pas de souveraineté nationale sans discipline financière.
Vous soutenez que notre pays n’a jamais mis suffisamment la question de la bonne gestion au centre de ses priorités. Pourquoi ?
La bonne gestion n’a jamais eu ses lettres de noblesse dans le débat public en France. Elle est pourtant un gage de prospérité et de préservation de notre modèle social. Nous avons une vision à la fois exaltée et naïve de la politique qui consiste à croire que l’on peut toujours faire plus avec de l’argent magique. Mais l’argent magique, ça n’existe pas ! Ce refus de réalisme affaiblit la France. Tous ceux qui réclament un État fort sans parler de bonne gestion sont des bonimenteurs.
Des commissions d’enquête cherchent les responsables de la dégradation des comptes. Qu’en attendez-vous ?
Dès 2022, j’avais prévenu qu’ils avaient « cramé la caisse ». Je regrette que le débat n’ait pas eu lieu à ce moment-là. La dette a augmenté de 1200 milliards depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Les responsables, ce sont le président, les gouvernements, le Parlement qui ont pris ensemble la décision politique de dépenser beaucoup plus d’argent qu’on en gagnait. Maintenant, le sujet n’est pas de regarder dans le rétroviseur, mais d’agir.
Certains, y compris à droite, appellent à la démission du président de la République. Quelle est votre position ?
C’est clairement l’objectif de Marine Le Pen avec la complicité de Jean-Luc Mélenchon. Moi, je ne joue pas la politique du pire car une élection anticipée ne ferait que rajouter des mois d’incertitude et d’inaction. Or, il est urgent d’agir sans attendre que les taux d’intérêt montent jusqu’au ciel, sans attendre que l’on soit en faillite, sans attendre que la croissance tombe à zéro, sans attendre que le chômage remonte à 9 %.
Chaque mois passé est un mois perdu. Les marchés restent encore stables parce que nos partenaires voient que la France est équipée de filets de sécurité institutionnels. Nous pouvons compter aussi sur la solidité de la Banque centrale européenne, qui nous soutient pour l’instant. Mais tout peut se dégrader et basculer très vite. En 2011, quand les spéculations ont commencé sur la dette française du jour au lendemain, tout s’est joué en trois semaines. Pour éviter la chute brutale, il faut anticiper. La pente est moins raide quand on l’aborde plus tôt.
Souhaitez-vous entrer au gouvernement ?
Non. Je veux donner l’exemple à la région. Je crois qu’il est très important de montrer aux Français que l’on peut faire de la bonne gestion tout en conduisant une politique sociale. À la région Île-de-France, nous avons les moyens de mener cette politique parce que notre collectivité est bien gérée. Nous nous engageons massivement dans les transports, l’éducation et la sécurité, ce que la gauche ne pouvait pas faire, à force de dépenser sans compter. En réalité, la gabegie, c’est le contraire du social et de l’investissement d’avenir.
Que se passera-t-il si le quatrième premier ministre nommé en un an devait chuter une fois encore ?
On irait tout droit vers la crise de régime.
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