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Entretien
En retraçant sa vie professionnelle, l’ancien chef d’entreprise révèle les recettes stratégiques qui lui ont permis de transformer des PME en leaders mondiaux. Face à la crise politique, il jette un regard acéré sur la situation française.
Le Figaro - 17 février 2025 - Par Marie-Cécile Renault
Après le BCG, les Chantiers Beneteau et le spécialiste de la restauration collective Eurest, Xavier Fontanet a dirigé durant dix-neuf ans le groupe Essilor. Alors que la crise politique en France provoque l’attentisme des dirigeants économiques et que les défaillances d’entreprises explosent, l’ancien patron revient sur son parcours. Dans De la stratégie en entreprise (Éditions Manitoba), le fils de Joseph Fontanet, ministre de Pompidou, et frère de l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, livre les clés d’une stratégie d’entreprise réussie pour s’imposer dans un monde ultra-concurrentiel.
LE FIGARO. - Pourquoi un livre sur la stratégie d’entreprise ?
XAVIER FONTANET. - Je suis retraité depuis onze ans, mais avec la hausse de la fiscalité sous Hollande, je me retrouvais avec un ISF qui était plusieurs fois mes revenus, donc j’ai créé des fondations financées par abandon d’usufruit. Ainsi, j’ai animé une fondation dans les quartiers, Les Jeudis de la stratégie, qui a formé 1100 entrepreneurs de banlieue. J’ai aussi créé une fondation abritée par HEC, où j’ai commencé à donner un cours fondé sur les idées du BCG, qui ont une avance énorme sur tout ce que l’on enseigne aux jeunes. Ce cours a eu un énorme succès.
Le hasard fait que j’ai eu comme élèves des neveux d’Alain Weil, fondateur de BFM, qui m’a demandé de faire mes cours à la télé. J’ai réalisé quelque 300 émissions sur BFM Business ! Ce livre, à la fois théorique et pratique, reprend ces principes. À la fin de l’ouvrage, un QR Code permet d’accéder au jeu de stratégie Strathena, que j’ai conçu et développé avec la société Interactive 4D. Le joueur, placé en position de PDG, doit prendre toutes les décisions d’investissement, de dividende, etc. Au début, c’est gratuit, puis, si vous voulez rentrer davantage dans le système, il y a un abonnement de 10 euros par mois. C’est un jeu de stratégie sous forme de série Netflix !
Alors que l’incertitude politique pèse sur les entreprises, quels conseils donnez-vous aux patrons de PME et aux entrepreneurs ?
Quand je suis rentré chez Essilor, le groupe capitalisait 200 millions de chiffre d’affaires, il pèse aujourd’hui 100 milliards. J’ai connu Beneteau à 5 millions d’euros, aujourd’hui le groupe a un chiffre d’affaires de 1,5 milliard. Chez Eurest, ils étaient 20.000, ils sont aujourd’hui plus de 1 million. Je suis de la catégorie des gens qui ont vu des suiveurs devenir des leaders mondiaux. Ce livre, c’est une sorte d’évangile visant à montrer que la création de valeur est le fruit du travail, d’un esprit de conquête, de la capacité à créer un climat de confiance durable avec les collaborateurs et les clients de l’entreprise. C’est un élan à l’heure où les politiques ne parlent que d’augmenter l’impôt des riches, ce qui est à pleurer…
Y a-t-il un manque de culture économique chez les responsables politiques ?
Oui, mais pas tous. Valérie Pécresse est l’une des rares à avoir compris : elle avait organisé des sessions de stratégie aux députés. Je leur faisais cours avec un plateau-repas, en sortie de séance à 12 h 30, et je les lâchais à 14 h 30. J’ai eu ainsi une centaine de députés, ils découvraient tout. Laurent Wauquiez, lui aussi, avait organisé une journée à HEC pour des députés, maires, conseillers généraux de son entourage. Mais sinon, c’est assez rare. Quand on voit les élus du NFP… ils se disent proches des gens, mais ils vivent dans une bulle, ils n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise ; si on les leur confiait, ils les casseraient tout de suite.
Votre père, Joseph Fontanet, fut ministre de Georges Pompidou. Vous-même, proche d’Alain Juppé, avez-vous été tenté par la politique ?
Si Alain Juppé avait été élu, j’aurais pu avoir des responsabilités. Je le voyais toutes les semaines lors de la campagne de 2017. Nous avions beaucoup parlé de l’actionnariat salarié, des retraites par capitalisation, des expériences de réformes étrangères… Depuis Giscard et Mitterrand, l’État comble le trou des caisses sociales (retraite, santé et travail), ce qui contribue à politiser les syndicats et plombe complètement les comptes publics. Alors qu’il s’est passé exactement l’inverse en Allemagne : en 2005, Peter Hartz, l’inspirateur de Schröder, a fait le diagnostic que le paritarisme allemand de l’époque emmenait le pays dans le décor.
Les théories des keynésiens, prônées depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981, sont complètement dépassées.
En économie fermée, ça va ; mais en économie ouverte, cela conduit à augmenter les importations
Schröder a dit « l’État est en faillite, je ne comble plus le trou des caisses » ; à partir de ce moment, patronat et syndicats ont mis la retraite à 65 ans, un ticket modérateur pour la santé à 25 euros… Résultat, l’Allemagne est sortie du paritarisme et, dans la foulée, les syndicats allemands ont eu la fameuse réunion de Bad Godesberg dans laquelle ils sont sortis de la politique. En France, avec le paritarisme, on politise les syndicats ; ils font grève dans le métro quand le Parlement discute, c’est le mélange complet des genres. Dès que l’État comble les trous, entre patronat et syndicats, ça casse tout ; le ménage à trois, ça ne marche pas.
Plaidez-vous pour sortir du paritarisme et revenir sur le dialogue social ?
Le dialogue social est capital mais il est l’affaire du patronat et des syndicats. L’État, le gouvernement doivent se focaliser sur le domaine régalien où il y a tant à faire, notamment en défense avec le contexte géopolitique qui se tend.
Comment, selon vous, redresser les comptes publics ?
Il faut chercher des économies. On a déjà les impôts les plus élevés du monde. Si on les augmente sur les entreprises, on va à nouveau encourager les délocalisations. Quant aux ménages aisés, beaucoup veulent déjà partir vers l’Italie car Meloni a fait des packages très attractifs où vous êtes taxés sur les dépenses et non sur les revenus : c’est la taille de l’appartement qui décide du montant d’impôts ; quelqu’un qui épargne ne paiera pas.
Où, selon vous, trouver des économies ?
Mettons fin, par exemple, au Conseil économique social et environnemental (Cese), qui publie des rapports, ce que font déjà le haut-commissariat au Plan et France Stratégie. Cela économisera 50 millions, sans créer de problème d’emploi puisque ces gens sont payés en plus pour le temps qu’ils donnent et ont tous un autre boulot. Vendons le bâtiment du Cese, cela rapportera quelque 300 millions supplémentaires. Les ronds-points, ça coûte 5 milliards par an, on en a fait 25.000, arrêtons ! Ministère par ministère, prenons ligne à ligne les dépenses et voyons si elles sont justifiées. Dans la fonction publique, le rapport Pébereau proposait déjà de ne plus embaucher de nouveaux agents mais de déplacer les gens d’un poste à l’autre, selon les besoins. Quant à l’âge de la retraite, toute l’Europe travaille jusqu’à 67 ans, personne n’en fait un drame !
Quel bilan faites-vous du macronisme, de sa politique de l’offre, de son ADN pro business ?
Au départ, Macron a compris qu’il y avait un exil fiscal important et qu’il fallait abroger l’ISF, abaisser les impôts sur le bénéfice des entreprises pour revenir au niveau européen. C’était du bon boulot, dont on a vu les effets bénéfiques, mais tout cela est en train d’être remis en cause. Macron a aussi été plus exigeant sur les allocations chômage, l’assistanat avec le RSA contre activité, etc. Ce n’est pas parfait mais cela allait dans le bon sens. En revanche, sur la justice, la sécurité, l’immigration, les comptes publics, sa main n’a pas été ferme et il y a là une responsabilité énorme.
Le résultat, c’est la montée de la dépense publique dans le PIB et une surcharge des coûts des entreprises privées, d’où la faible croissance du pays. Regardons simplement le PIB par habitant : en 1973, la France et la Suisse sont au septième rang dans le classement mondial avec 5500 dollars par habitant. En 2021, la Suisse garde son rang avec un PIB par tête de 87 000 dollars, mais la France est au 38e rang avec 39.000 dollars, l’une des plus jolies dégringolades du classement. Le smic à Genève est à 5000 euros, et la Suisse est en chômage négatif grâce aux frontaliers.
Où avons-nous commis une erreur, cause de ce décrochage ?
Ce qui ne va pas, c’est de vouloir stimuler la consommation par la dépense publique, par l’intervention de l’État. Les théories des keynésiens, prônées depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981, sont complètement dépassées. En économie fermée, ça va ; mais en économie ouverte, cela conduit à augmenter les importations. Concrètement, en augmentant les impôts de production, cela augmente les prix de revient des entreprises françaises et freine leur compétitivité par rapport à leurs concurrents. Et en alourdissant les impôts sur les bénéfices, on limite la part réinvestie et on empêche l’entreprise de croître. Sur cinquante ans, cela aboutit à la désindustrialisation que nous connaissons aujourd’hui.
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