Les Centres de rétention administrative, lieu de grande promiscuité, sont dans une situation critique. Ici le CRA de Saint-Exupéry, près de Lyon. Photo : N.Barriquand/Mediacités.

Justice

Paris se heurte au refus des autorités algériennes de délivrer des laissez-passer consulaires pour reprendre leurs ressortissants en situation illégale en France.

Le Figaro - 8 septembre 2024 - Par Jean-Marc Leclerc

« Les Centres de rétention administrative sont toujours encombrés d’Algériens qui ne partent pas… les CRA de France sont saturés. » Cette réponse spontanée d’un préfet en poste dans un département français particulièrement concerné en dit long sur les difficultés rencontrées par l’administration pour expulser les Algériens indésirables, notamment ceux qui ont commis des crimes et des délits.

Un autre préfet déclare : « Avec les Algériens, c’est toujours compliqué. On délivre toujours des OQTF, on les met en rétention et, faute de laissez-passer, on les remet en liberté ». Tout est dit, même si officiellement, au ministère de l’Intérieur, on ne commente pas cette actualité jugée « sensible ». Gérald Darmanin, il est vrai, a beaucoup œuvré en coulisses pour huiler les rouages des expulsions. Surtout celles des Algériens sortant des prisons françaises. Et la crise diplomatique avec Alger constitue pour lui une bien mauvaise nouvelle à l’heure du bilan.

Le vivier des seuls délinquants algériens est considérable. Ils sont la première nationalité étrangère représentée : environ 4 000 personnes sur les 18 000 de nationalité étrangère détenues dans les prisons françaises. C’est deux fois plus que les Marocains, quatre fois plus que les Tunisiens. Le nombre des Algériens dans les prisons du pays était de 2 750 en 2021. Il a donc sérieusement progressé.

Combien d’Algériens sont éloignés actuellement ? « Personne ou presque », assure un haut fonctionnaire très au fait des questions d’immigration. En période « calme », ils sont environ 200 par mois à partir : 2 562 éloignements (+36 %) en 2023, sur un total de 17 048 personnes éloignées de France, toutes nationalités confondues (dont 11 722 éloignements forcés).

L’an dernier, les Algériens sont ainsi arrivés en tête du palmarès des nationalités les plus éloignées, même si les chiffres restent modestes. Devant les Géorgiens (1 642 éloignements en un an), les Albanais (1 439), les Marocains (1 104), les Roumains (1 026) et les Tunisiens (887).

La Place Beauvau a opté pour une stratégie simple : accorder la priorité à l’expulsion des étrangers les plus dangereux, puisque le taux d’exécution des mesures d’éloignement est notoirement faible. Les seules obligations de quitter le territoire français, les fameuses OQTF, sont mises en œuvre seulement une à deux fois sur dix.

Aujourd’hui, les autorités algériennes ont décidé de faire payer au président de la République français son soutien au Maroc dans le dossier du Sahara occidental. Cette ancienne colonie espagnole, contrôlée en majeure partie par les Marocains, est en effet revendiquée tant par Rabat que par Alger. Et la lettre d’Emmanuel Macron au roi Mohammed VI, à l’occasion de l’anniversaire de son intronisation était sans équivoque : « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », écrivait le président français dans sa missive rendue publique le 30 juillet dernier.

La plaie algérienne est rouverte 

Depuis, la plaie algérienne est rouverte et Alger a rappelé son ambassadeur en poste à Paris. Le gouvernement français « bafoue la légitimité internationale sans en mesurer lucidement toutes les retombées potentielles », a déclaré le ministre des Affaires étrangères algérien par voie de communiqué. Le refus de délivrer les laissez-passer consulaires qui permettent le retour des illégaux en Algérie est « la seule arme, le seul levier dont dispose le gouvernement algérien » pour tenter d’intimider Paris, estime, de son côté, l’ancien ambassadeur français à Alger, Xavier Driancourt.

Pour cet ancien diplomate, « la situation n’a rien d’étonnant ». Il rappelle que « les Algériens avaient déjà procédé de la sorte au moment de l’affaire Amira Bouraoui ». En février 2023, cette journaliste et militante franco-algérienne avait échappé à une extradition vers Alger depuis la Tunisie après l’intervention de la France qui lui avait offert refuge. Humilié, le pouvoir algérien avait fermé, durant de longs mois, le compte-gouttes des laissez-passer consulaires.

Xavier Driancourt rappelle que le gouvernement français avait, l’an dernier, « autorisé l’ouverture de deux consulats algériens supplémentaires en France » pour faciliter la vie de la communauté algérienne dans l’Hexagone, portant le total des consulats algériens à vingt. Ce sont tous ces consulats qui doivent délivrer, en principe, les laissez-passer réclamés par Paris pour renvoyer les Algériens sans papiers dans leur pays d’origine.

Mais « l’activité consulaire est gelée de ce point de vue », constate un haut fonctionnaire à Beauvau. Il redoute que la justice n’accélère désormais les remises en liberté des illégaux algériens retenus dans les centres de rétention administrative français. D’ordinaire, la justice française fait échec à un tiers des OQTF.

L’argument des avocats, souvent retenu par les magistrats, est le manque de perspectives d’éloignement pour les personnes retenues. Alger joue la montre, n’ignorant rien de ces subtilités. Et le gouvernement Barnier devra inscrire dans son agenda le règlement rapide de cette question épineuse.