Politique
L’ancienne ministre du Travail, aujourd’hui députée Renaissance, fustige une gauche « obsédée par la réduction du temps de travail » et dénonce un débat fiscal « lunaire ». Astrid Panosyan-Bouvet plaide pour la rigueur budgétaire, la réforme des retraites et la valorisation du travail.
Le JDD - 2 novembre 2025 - Propos recueillis par Lara Tchekov et Victor-Isaac Anne
Le JDD. Cette semaine, l’Assemblée a adopté deux mesures, l’une taxant les bénéfices des grandes entreprises étrangères, l’autre taxant l’activité des géants du numérique, à hauteur de 20 milliards d’euros. Approuvez-vous ces mesures ?
Astrid Panosyan-Bouvet. Le débat sur la justice fiscale en France est lunaire. Il faut rappeler qu’avant redistribution, l’écart entre les plus riches et les plus pauvres est de 17, et qu’après redistribution fiscale et financement des services publics, il se réduit de 1 à 3. Continuer à ne parler que de « justice fiscale » alors que nous avons l’un des systèmes les plus redistributifs des pays industrialisés me semble donc incompréhensible. Je comprends qu’il faille chercher un compromis au nom de la stabilité politique, mais elle ne doit pas se faire à n’importe quel prix. Nous sommes déjà le pays où la taxation est la plus élevée. La question du redressement des finances publiques ne doit pas faire oublier celle des dépenses publiques, que nous devons faire fléchir avant tout.
La « flat tax » aussi devrait augmenter, de même que le prélèvement exceptionnel sur les grands groupes. Est-ce la fin de la politique de l’offre mise en œuvre depuis dix ans par Emmanuel Macron ?
Une vraie politique de l’offre ne peut être dissociée d’une maîtrise rigoureuse de la dépense publique. On ne peut pas baisser les impôts, notamment sur la production et tout ce qui favorise l’activité, sans contenir les dépenses d’un État devenu guichet. J’ai donc de fortes réserves sur la suspension de la réforme des retraites : au-delà des déficits, elle contredit l’objectif de travailler plus et plus longtemps. Cette suspension coûte cher : moins de recettes, plus de dépenses, donc plus de déficit. Nous restons enfermés dans un système malthusien qui décourage la production et le travail.
En quoi cette suspension de la réforme des retraites pose-t-elle problème, dans la mesure où la question sera tranchée lors de la campagne présidentielle ?
J’en veux beaucoup aux socialistes qui continuent à faire de la réduction du temps de travail un combat matriciel, quand les sociaux-démocrates scandinaves ou portugais ont déjà indexé l’âge de départ à la retraite sur l’évolution de l’espérance de vie. Bien sûr qu’il faut travailler plus longtemps, mais cette exigence ne peut s’imposer de la même manière à tous. D’où l’importance du débat sur la pénibilité et la qualité du travail. La suspension de la réforme des retraites voulue par le PS crée deux précédents graves : d’abord, elle introduit l’idée dans un pays où tout changement est déjà difficile qu’une réforme mise en œuvre peut être réversible ; ensuite, elle élude le vrai sujet, celui du travail tout au long de la vie qui, en France, fait des retraites un « bonheur différé », alors que c’est la reconnaissance, les conditions de travail, la capacité à se projeter par son travail et d’en vivre dignement dont il est question. À l’heure de l’intelligence artificielle et des incertitudes géopolitiques, je redoute que le débat présidentiel de 2027 ne soit escamoté par la question des 64 ans.
Le nouveau ministre du Travail, Jean-Pierre Farandou, propose de compenser le report de la réforme par une sous-indexation des pensions dès 2027. Est-ce acceptable ?
Il a raison et je salue le courage des partenaires sociaux qui ont admis que les retraités doivent participer au rééquilibrage, puisqu’ils en sont les premiers bénéficiaires et que leurs enfants, qui financent le système, vivent souvent mal de leur travail. Les retraites représentent déjà un euro sur quatre de la dépense publique. Aujourd’hui, 28 % du salaire de chaque salarié finance non pas sa future retraite, mais celles des retraités actuels, ce qui ampute son pouvoir d’achat.Le système doit rester soutenable pour que les jeunes générations puissent en bénéficier. Or plus d’un jeune sur deux ne croit déjà plus qu’il touchera sa retraite, persuadé que le système aura disjoncté d’ici là. Donc oui, certains retraités doivent contribuer davantage : on ne peut pas tout faire peser sur les actifs.
Doit-on ouvrir la porte à d’autres régimes de retraite ?
Évidemment, mais la capitalisation doit rester un complément au régime par répartition, pas un substitut. Quinze millions de salariés en bénéficient déjà. Le problème, c’est qu’elle concerne surtout les salariés des grandes entreprises et les fonctionnaires. On pourrait imaginer un dispositif plus universel, impliquant pleinement les partenaires sociaux.
Estimez-vous que le ratio entre taxes et réductions de dépenses est déséquilibré ?
Avant même le vote du budget, notre pays est en grande difficulté, et certains partis veulent encore aggraver la situation. Tous surestiment les recettes fiscales de mesures surtout symboliques. La taxe Zucman, par exemple, ne rapporterait pas 20 milliards mais à peine 5, comme le rappelle Philippe Aghion. Quant au RN, il avance 20 milliards de lutte contre la fraude, quand le Conseil d’analyse économique estime le gain réel à 4. Il existe un double consensus implicite : d’abord, ne pas toucher aux retraités, premier bloc électoral ; ensuite, éviter les réformes structurelles capables de libérer la croissance et d’apporter des recettes nouvelles. Ce double déni empêche tout redressement durable. On est aussi en train d’abîmer notre contrat social, auquel la jeune génération croit de moins en moins car elle y contribue beaucoup et n’a pas le sentiment d’en bénéficier.
« La question démocratique sera aussi importante que la question économique »
Quarante et un milliards d’euros, c’est ce que l’État doit ajouter chaque année pour financer les retraites des fonctionnaires, faute de cotisations suffisantes. Est-il normal que cet effort repose sur tous les Français ?
Il est normal que la retraite des fonctionnaires fasse partie du contrat qui lie ceux qui s’engagent pour l’intérêt général de la nation entière. La vraie question, ce n’est pas le principe de l’abondement de l’État. C’est que, dans ce cas comme dans celui du privé, faute de courage et de lucidité face au mur démographique depuis quarante ans, nous payons aujourd’hui le prix fort.
Dans le débat budgétaire, le parti Renaissance est divisé, comme si le droit d’inventaire du macronisme était entamé.
Le temps n’est pas à l’inventaire mais à l’action : il faut redresser nos comptes publics, sans quoi rien n’est possible, et préparer 2027 pour que cette échéance soit un vrai rendez-vous démocratique, comme 2007, 2012 ou 2017. La question démocratique sera aussi importante que la question économique. Il faudra des propositions fortes pour rénover nos institutions et redonner aux citoyens un vrai pouvoir d’agir : décentralisation, référendums d’initiative populaire, conventions citoyennes, démocratie sociale… Il faut réoxygéner notre démocratie.
Partagez-vous les critiques à l’endroit du chef de l’État, à l’image d’Édouard Philippe ou de Gabriel Attal ?
Ces prises de parole ne font qu’ajouter du désordre au désordre. Rien ne serait pire aujourd’hui qu’une élection présidentielle anticipée car, loin de clarifier le débat, elle détériorerait la fonction présidentielle, clef de voûte de nos institutions. Il faut au contraire faire les choses dans l’ordre : poursuivre le redressement des comptes publics, qui demandera du temps, et préparer les conditions d’un vrai rendez-vous présidentiel en 2027, à la hauteur de ce que notre pays mérite.
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