
Politique
Après les ravages du cyclone Chido, le président (LR) des maires de France a sillonné l’île durant trois jours. Le Figaro s’est mis dans les pas du maire de Cannes et a recueilli ses confidences très politiques.
Le Figaro - 5 février 2025 - Par Emmanuel Galiero, envoyé spécial à Mayotte
David Lisnard veille toujours à ne pas confondre ses trois métiers. Il est maire LR de Cannes, président de l’Association des maires de France (AMF) et pilote de son mouvement Nouvelle Énergie. Quand il prend l’avion pour rejoindre Mayotte dimanche, le jour de sa 56e année, c’est dans le cadre de ses deux premières missions. Sur l’île dévastée par le cyclone Chido en décembre, il a pu évaluer les attentes des élus qu’il représente au niveau national. «Vos besoins seront les nôtres», promet l’invité de Madi Madi Souf, le président de l’association des maires mahorais, dans la salle du conseil municipal de Bandraboua, mardi.
Avant un dîner avec le préfet François-Xavier Bieuville, précédé d’une interview télévisée, l’élu a fait le tour de l’île au pas de charge. Papier et stylo en mains, l’ex-journaliste prend des notes, pose des questions et délivre parfois ses conseils sur la gestion des crises climatiques, du haut de sa propre expérience cannoise éprouvée par les alertes inondations.
Je m’entends bien avec tout le monde, François-Xavier Bellamy, Xavier Bertrand, Aurélien Pradié…
David Lisnard, maire LR de Cannes, président de l’Association des maires de France (AMF)
Et je n’ai aucun problème avec Laurent Wauquiez
Sécurité, approvisionnement en eau, fléchage des aides financières, démographie, écoles… chaque urgence renvoie au fléau de l’immigration illégale. Autant de sujets auxquels tente de répondre le président de Nouvelle Énergie, qui la semaine précédente a fait sa rentrée politique sur la piste du cirque Bormann-Moreno, à Paris. Presque deux heures de discours pour rappeler sa ferme intention d’aller le plus loin possible vers la présidentielle.
Mayotte oblige, David Lisnard n’a pas pu assister au bureau politique LR convoqué mercredi par Laurent Wauquiez mais entre la visite d’une école mahoraise menacée par la pression migratoire et celle d’un dispensaire de la Croix Rouge, il évoque ses relations avec Les Républicains. «Je m’entends bien avec tout le monde, François-Xavier Bellamy, Xavier Bertrand, Aurélien Pradié… Et je n’ai aucun problème avec Laurent Wauquiez. Nos relations sont bonnes. Si l’on pense à moi en parlant de lui, c’est plutôt flatteur. Cela veut dire que je suis dans le jeu ». Un jeu où la députée Michèle Tabarot lui a reproché publiquement de rouler pour sa pomme, ce que nie l’intéressé en renvoyant l’attaque à l’historique d’une rivalité locale ancienne.
«Discussions d’apothicaires»
Face à la question de la présidence LR, David Lisnard n’a pas l’intention de courir plusieurs lièvres en même temps. Les personnalités légitimes ne manquent pas, juge-t-il et à ses yeux, Laurent Wauquiez en fait partie, comme François-Xavier Bellamy, Bruno Retailleau ou Michel Barnier… Lui-même se voit en position d’assumer le poste mais il préfère ne pas prendre le risque « d’édulcorer » son projet en entrant dans des « discussions d’apothicaires ». Il pousse la critique un peu plus loin : « Je connais les élections internes au sein des vieux partis et n’étant pas sûr que la compétition libre et parfaite y soit garantie, j’alerte sur le risque potentiel de dérive clanique ».
David Lisnard veut croire au rebond des LR et considère que le parti enregistre des succès dans les scrutins partiels mais il relativise le poids politique du mouvement dans le paysage d’une droite éclatée où il perçoit Nouvelle Énergie en position de force « utile », apte à ramener des électeurs. « On rend service aux Républicains, à condition que l’on soit respecté au sein d’une compétition qui ne se transforme pas en traquenard », met-il en garde, en invitant LR à ne pas décourager les «plus loyaux» pour recycler «ceux qui sont allés à la soupe». « Il serait dommage que le président de l’AMF ne soit plus LR», prévient-il.
Aujourd’hui, il peut compter sur ses proches et sur certaines figures politiques qui ont déjà rejoint la liste des 11.000 adhérents de son parti. La porte-parole du gouvernement Sophie Primas, le président des Centristes Hervé Morin, les sénateurs Muriel Jourda et Étienne Blanc, comme le maire parisien Geoffroy Boulard (17e arrondissement), font partie des soutiens.
L’offre d’Emmanuel Macron
Quid de Bruno Retailleau ? « Il pense à sa démarche et il a raison parce qu’aujourd’hui, c’est lui qui monte. Son succès est donc tout à fait justifié mais il sera confronté à la nécessité d’être beaucoup plus radical sur l’organisation des pouvoirs publics », juge Lisnard, qui avait plaidé en ce sens, fin août, quand il avait conseillé Emmanuel Macron d’agir par référendums.
À ce moment-là, c’est le président de la République qui l’avait approché pour sonder sa perception de la dissolution. Une «erreur magistrale» selon David Lisnard même si le maire de Cannes avait répondu au chef de l’État en quête de premier ministre, que le blocage parlementaire pouvait être une occasion de moins légiférer. « Il m’a demandé si je me sentais capable de mener l’aventure. Je lui ai répondu oui, en précisant que cela nécessitait un engagement de sa part, notamment sur la liberté de constituer les équipes, les cabinets et les référendums sauf pour le Quai d’Orsay et la Défense. Il m’a dit je te tiens au courant et Michel Barnier a été nommé », raconte le président de Nouvelle Énergie. Depuis l’été, il n’a plus échangé avec le chef de l’État.
Tout l’enjeu est de ne pas se dissoudre dans le en même temps macronien. C’est bien pour cela qu’une radicalité d’action s’impose
David Lisnard, maire LR de Cannes, président de l’Association des maires de France (AMF)
La discussion s’est poursuivie ensuite avec Michel Barnier et son collaborateur Arnaud Danjean. Les trois hommes ont travaillé sur les périmètres de l’action gouvernementale. Puis au terme d’une discussion «remarquable», malgré des propositions de portefeuilles, David Lisnard a considéré que sa volonté de liberté d’action n’était pas compatible avec la recherche d’équilibre privilégiée par le premier ministre.
Aujourd’hui, le chef de file de Nouvelle Énergie veut participer au redressement de son pays. S’il applaudit le sursaut LR, il invite ses amis à la prudence. « Tout l’enjeu est de ne pas se dissoudre dans le en même temps macronien. C’est bien pour cela qu’une radicalité d’action s’impose ». Il imagine qu’une fois passé le vote du budget, ce risque d’effacement sera plus grand.
Monter en puissance en 2025
De son côté, David Lisnard s’entoure de personnalités pour bâtir un programme exécutif et législatif. Il pousse la droite à anticiper toutes les éventualités, dès 2025, et croit, comme beaucoup, qu’une multiplication de candidatures présidentielles à droite en 2027 serait fatale. C’est pour cela qu’il défend l’idée d’une primaire largement ouverte, d’Éric Zemmour à Gabriel Attal, tout en annonçant que si cette option n’était pas retenue, cela ne changerait rien à sa décision d’aller au bout. « Je ne suis pas un fanatique de la primaire mais quand il est impossible de départager des projets, la compétition reste le meilleur système ». Le silence relatif provoqué chez LR par sa proposition serait une façon de la juger «anecdotique». «Mais elle ne le sera pas», promet Lisnard. « Si je vois que personne ne propose un projet libéral, quelles que soient les circonstances, j’irai. Mais ce qui m’intéresse, c’est que nous soyons à l’Élysée avec une majorité à l’Assemblée pour agir tout de suite».
Observateur du président argentin Javier Milei, il retient des résultats «spectaculaires», applaudis aussi par l’ex-LR Éric Ciotti, fan du slogan de la tronçonneuse. Dans l’entourage du président de l’UDR, on ironise sur la «nouvelle inertie» de Lisnard mais le rival répond avec une phrase de Coco Chanel : « Tant qu’on est copié, c’est qu’on est devant». Puis d’ajouter une petite pique: « Éric Ciotti me retrouvera quand il se heurtera à son problème “d’en même temps” que lui le pose un RN étatiste et socialiste».
Nous sommes allés trop loin dans le keynésianisme, dans cette économie de l’intervention publique axée sur la consommation. Un retour de balancier s’impose vers la liberté et la prise de risque !
David Lisnard, maire LR de Cannes, président de l’Association des maires de France (AMF)
Pour sa part, David Lisnard a compris qu’il ne suffisait pas d’être un praticien de terrain, d’écrire des tribunes dans les journaux ou de faire des meetings pour exister politiquement. «Dans le système de la Ve République centralisée et de l’exigence médiatique nationale, la seule manière de faire entendre ses idées est de se mettre dans la course présidentielle ». Lucide sur sa notoriété, il reconnaît ne pas être «encore mainstream» mais cela ne l’empêche pas de vouloir monter en puissance en 2025 pour séduire des donateurs. Le projet qu’il est en train de bâtir avec Nouvelle Énergie lui semble être le «meilleur» à droite. «Je n’ai aucune inquiétude sur notre capacité à trouver des ressources. C’est la force qui fait l’union », assure-t-il.
Le maire de Cannes croit aussi que sa pratique du mandat local, conjuguée à sa réflexion sur les évolutions de la société, est en adéquation avec l’évolution du monde. «Quand on libère la capacité d’action et que l’on fait confiance, on prend des risques mais à la fin, cela coûte beaucoup moins cher que vouloir tout encadrer de façon descendante et inadaptée». L’apôtre de l’esprit d’entreprise précise sa doctrine: « Nous sommes allés trop loin dans le keynésianisme, dans cette économie de l’intervention publique axée sur la consommation. Un retour de balancier s’impose vers la liberté et la prise de risque ! ».
Idées «régaliennes et libérales»
Avec le sentiment d’assister à la fin d’un cycle, il se targue d’avoir réussi à imposer certains thèmes dans le débat, comme celui de la débureaucratisation. «Quand je parlais de ça il y a sept ans, on m’accusait d’être populiste mais tout praticien sait que cette bureaucratie inutile, avec laquelle les modalités deviennent une finalité, est une réalité bloquante absurde ». Il a bien vu que Gabriel Attal, chez Renaissance, en avait fait un point central dans son discours, il y a un an. « Sauf qu’ils ne vont pas au bout parce qu’ils n’osent pas la radicalité au sens des racines, qui permettrait de revoir totalement l’organisation de l’État et la vision de la décentralisation». David Lisnard reconnaît l’ampleur colossale de l’entreprise mais il ne voit pas comment la France pourra l’éviter. « Ce chantier est absolument incontournable et si on ne le réalise pas par la voie démocratique, il faudra s’attendre à une phase de violence. Parce que ça pétera », prévient-il.
La publication d’un nouveau livre aux éditions de l’Observatoire le 12 mars permettra peut-être de mieux comprendre ses motivations. «Ainsi va la France» pourra se lire comme un manifeste libéral en huit parties, destiné à partager une vision du pays et à défendre la constance d’une approche.
Je souhaite que le parti LR soit fort car si je dois aller au bout de ma démarche, comme je le souhaite, je préfère être soutenu par un parti fort
David Lisnard, maire LR de Cannes, président de l’Association des maires de France (AMF)
Quand les entrepreneurs français se plaignent de ne pas avoir suffisamment de relais politiques, David Lisnard les comprend mais lui voudrait surtout apparaître comme un «relais de l’ouvrier pauvre en attente de salaire plus élevé» ou du jeune qui veut « s’en sortir par son boulot ». Le déclassement de la France est son obsession. « Nous souffrons du plus gros déficit extérieur au sein de la zone euro », s’enflamme-t-il, en renvoyant la faute à « tous ces gouvernements dépensiers qui ont laissé le pouvoir aux technocrates. C’est la facilité sociale conjuguée à la faiblesse régalienne », accuse-t-il, hérissé par la «caste» de Bercy.
S’il avait pu participer au bureau politique des LR mercredi, il aurait plaidé pour la remise en route du mouvement sans éluder la question du leader. Le moment venu, il soutiendra probablement un nom pour la présidence du parti après avoir identifié le projet le plus compatible avec ses idées «régaliennes et libérales ». Les cruelles vérités mahoraises, tel un concentré de tous les renoncements français révélés brutalement par le cyclone Chido, auront sans doute consolidé ses convictions sur la nécessité d’agir sans attendre. Quant à l’élection reine de la présidentielle, l’élu du sud maintient le cap de ses ambitions nationales. «Pour l’instant, sourit-il, les choses avancent comme je l’avais prévu. Et je souhaite que le parti LR soit fort car si je dois aller au bout de ma démarche, comme je le souhaite, je préfère être soutenu par un parti fort ».
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