
Politique
Le 15 juillet, le Premier ministre présentera le projet de budget 2026. Il devra choisir entre les réformes et l’immobilisme. Et réaliser au moins 40 milliards d’économies pour enrayer le déclin.
Le Point - 9 juillet 2025 - Par Nicolas Baverez
C'est l'heure de vérité pour François Bayrou : il se trouve au pied de ses « Himalaya » qu'il décrit d'autant mieux qu'il peine à les affronter. Le 15 juillet, il ne pourra plus se contenter de dire ce qu'il pense, ce qu'il souhaite ou ce qu'il imagine ; il devra définir un cap et s'engager dans l'action. Le bilan de ses six mois de gouvernement se limite en effet au vote du budget pour 2025, qui n'a apporté aucune solution à la crise des finances publiques mais a ruiné l'économie française avec un choc fiscal de 40 milliards concentré sur les entreprises. Pour l'heure, il n'a pas plus été un chef qu'il n'a de gouvernement ou de majorité, même relative, jusqu'à se trouver, comme Michel Barnier, réduit à la position d'otage du RN sur fond d'éclatement du pseudo-bloc central. Son talent de prestidigitateur fonctionne à vide, mis au service de sa seule survie à Matignon au prix d'un immobilisme destructeur pour le pays. Avec à la clé une impopularité record, seuls 14 % des Français le soutenant encore.
La stratégie consistant à ne rien faire et tout reporter pour mieux durer est parvenue à son terme. Depuis l'échec du conclave sur les retraites puis l'implosion de la programmation pluriannuelle de l'énergie, le compte à rebours de la censure est enclenché. Surtout, la crise de la France s'emballe au moment où l'Histoire bascule sous l'effet du retour de la guerre en Europe, des menaces des empires autoritaires et du djihad, du basculement protectionniste et illibéral des États-Unis, de l'accélération du réchauffement climatique, de l'emballement de la crise financière.

La France est devenue l'homme malade de l'Europe. Une Europe vulnérable, prise en étau entre les États-Unis, la Russie et la Chine. Mais une Europe qui tente de réagir, du réarmement massif du Royaume-Uni, de la Scandinavie et de la Pologne au redressement économique et financier de l'Europe du Suden passant par la relance de l'Allemagne de Friedrich Merz, qui prévoit d'investir 500 milliards d'euros dans les infrastructures et la défense. Notre pays, seul, fait exception.
Faillite financière. La France a perdu toute maîtrise de ses finances publiques. La dette a progressé de 40 milliards au premier trimestre 2025 pour atteindre 3 346 milliards d'euros, soit 114 % du PIB et 48 800 euros par Français. Elle est insoutenable, comme le souligne la Cour des comptes, avec un service qui dépassera 100 milliards d'euros dès 2029 et une croissance nominale qui plafonne à 2-2,2 % alors que les taux de l'OAT à dix ans fluctuent entre 3,2 et 3,5 %. Le risque de choc financier est majeur, alors que les dettes des États-Unis, du Japon et du Royaume-Uni sont sous tension et que le One Big Beautiful Act planifie 3 300 milliards de dollars de déficit supplémentaire qui porteront la dette américaine à plus de 40 000 milliards de dollars.
Stagnation économique. Tous les moteurs de la croissance sont désormais à l'arrêt, et la France n'échappera que de justesse à la récession en 2025 alors que les prévisions du gouvernement se fondent sur une progression de l'activité de 0,7 %. Les investissements et les embauches sont gelés ; les défaillances et les plans sociaux s'envolent ; le chômage remonte vers 8 % de la population active ; les entrepreneurs et les capitaux fuient ; la paupérisation s'emballe, touchant près de 10 millions de personnes. Et ce alors que les effets de la hausse des droits de douane américains et du déversement des exportations chinoises en Europe restent à venir.
Humiliation diplomatique. La politique extérieure de la France acquitte au prix fort l'effondrement de son économie et de ses moyens de puissance, y compris l'obsolescence de son armée de corps expéditionnaire. Notre pays est marginalisé en Ukraine, absent au Moyen-Orient, expulsé d'Afrique, humilié par l'Algérie et l'Iran avec la détention interminable d'otages, au premier rang desquels Boualem Sansal qui, comme il était prévisible, a été exclu des mesures de clémence du président Tebboune lors du 63e anniversaire de l'indépendance.
Blocage des institutions. François Bayrou n'est responsable ni de la dénaturation de la Ve République par l'hyperprésidentialisation, ni de sa paralysie par la dissolution de juin 2024. En revanche, son projet d'acheter un nouveau sursis en faisant miroiter l'instauration de la proportionnelle serait un contresens politique et historique majeur, institutionnalisant le chaos et pérennisant la dissolution du pouvoir d'agir de l'État dans une période critique de l'Histoire.
Comme en 1958, la France balance entre la modernisation et le déclin, l'espoir ou la capitulation. Comme en 1958, le choix se joue entre le miracle ou la faillite. Et François Bayrou va devoir trancher : soit le parti de la France et le côté du général de Gaulle ; soit le parti de la classe politique et le côté d'Édouard Daladier, qui, par faiblesse personnelle et défaut de volonté politique, signa les accords de Munich et précipita la chute de la IIIe République alors qu'il avait une claire conscience des périls qui pesaient sur la France de la fin des années 1930.Aujourd'hui, la France n'a plus de temps à perdre dans le grand écart entre la lucidité des constats et l'inanité de l'action. Les Français mesurent parfaitement l'ampleur de leur déclassement et de celui du pays. Ils sont en attente de solutions et d'un espoir. Et cela passe par l'énoncé clair d'une stratégie, d'un programme d'action et d'une méthode pour engager au plus vite le redressement d'une France effondrée.

La stratégie doit reposer sur quelques principes nets. Tout d'abord, accorder une priorité absolue à la remise en ordre de l'économie, qui conditionne la réponse à tous les défis, du vieillissement au réarmement au passant par la transition climatique. Ensuite, assumer une thérapie de choc qui est la seule qui puisse réussir, en s'inspirant de la ligne que Jacques Turgot avait proposé au roi Louis XVI le 24 août 1774 pour surmonter le surendettement du royaume : « Point de banqueroute ; point d'augmentation d'impôts ; point d'emprunts. » Enfin, lier le rétablissement des finances publiques au changement du modèle de décroissance à crédit qui doit être réorienté vers la production, le travail, l'investissement et l'innovation.
Les succès obtenus par l'Europe du Nord et du Sud comme les enseignements de notre histoire soulignent qu'il n'est pas de reprise de contrôle des finances publiques sans redéfinition de la politique économique : le plan Barre de 1976 est indissociable de la priorité donnée à la désinflation compétitive ; le tournant de la rigueur de 1983 fut dicté par la volonté d'échapper aux fourches Caudines du FMI mais servit aussi de prélude à la libéralisation des années 1984-1986 ; le choc fiscal d'Alain Juppé en 1995 fut guidé par la qualification pour l'euro. À l'inverse, le déluge de hausses d'impôt des années 2010 à 2013, imposé par les séquelles financières de la gestion du krach de 2008 à 2010, ne servit qu'à relancer la spirale infernale des dépenses et de la dette. Pour être crédible et avoir une chance de réussir, François Bayrou devra donc associer désendettement public, démantèlement de l'économie administrée et libération de la production et de l'initiative privées, grâce à la suppression du carcan réglementaire et fiscal qui étouffe l'économie et la société.
Pour convaincre, le plan d'action devra faire la vérité sur la situation des comptes et l'effort à accomplir. L'objectif ne peut pas être de ramener le déficit à 3 % du PIB, purement formel ; il faut le réduire au niveau qui assure la soutenabilité de la dette en dégageant un excédent primaire, soit 1,5 % du PIB. L'ajustement, qui a vocation à être poursuivi durant une décennie, doit porter intégralement sur les dépenses (57,1 % du PIB), dont la course folle est à l'origine de la crise, et exclure toute hausse d'impôt alors que les recettes culminent au niveau record de 51,3 % du PIB. L'expérience de l'Europe du Nord et du Sud souligne en effet que la diminution des dépenses, contrairement aux mesures fiscales, génère rapidement des effets positifs pour la croissance. De même, les coups de rabot sont à exclure, qui ne font que différer l'augmentation des dépenses. Il faut leur préférer la réorganisation des grandes fonctions de l'État et des politiques publiques. La diminution des dépenses a enfin vocation à être couplée à leur réorientation de l'État providence (34 % du PIB) vers l'État régalien (3,1 % du PIB), des charges de fonctionnement vers l'investissement. Il convient en particulier d'intégrer au plan l'impératif du réarmement – qui passe par l'augmentation du budget de la défense de 10 milliards d'euros par an pour moderniser et relever le seuil de suffisance de la dissuasion nucléaire, adapter l'armée conventionnelle au combat de haute intensité en Europe et combler les lacunes accumulées dans les domaines clés des drones, de la défense antiaérienne, des frappes en profondeur, de l'espace et de l'IA.
À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Il faut également changer radicalement de méthode en cessant de s'en remettre à l'État obèse et impuissant, qui est aujourd'hui le cœur du problème, pour mobiliser les Français qui constituent la solution. La France est naufragée par les politiques clientélistes et par la disparition de toute idée de bien commun et de projet collectif. L'heure est au rassemblement pour refaire nation face à la crise financière et aux menaces qui pèsent sur notre liberté et notre souveraineté. Les Français, dans leur immense majorité, ne se résignent ni à leur paupérisation, ni à la perte de la maîtrise de leur destin, ni à l'effacement de la France et à son humiliation par les tyrans de tout poil. Ils l'ont montré en résistant jusqu'à présent à la tentation populiste et en assurant la réussite des Jeux olympiques. Ils aspirent à un nouveau pacte qui réaligne l'État, les entreprises et les citoyens. Et la France dispose encore de nombreux atouts pour se réinventer. Seul manque l'essentiel, à savoir la volonté et l'état d'esprit.
Notre histoire est riche de retournements spectaculaires. À François Bayrou d'apporter la preuve qu'il en est capable en choisissant, dans la lignée de Pierre Mendès France, la vérité contre le mensonge, la clarté contre le flou, la décision contre l'atermoiement, l'appel à la raison contre la tyrannie des émotions.
Les 1 000 milliards de Macron
Le cap fatidique des 1 000 milliards de dette a été dépassé en septembre 2024. Un résultat qui s'explique par sept années d'errements sur le plan des finances publiques. Gilets jaunes, Covid, paquet pouvoir d'achat, hausse des dépenses courantes… Le président Macron a sans cesse sorti le carnet de chèques. La remontée des taux pourrait produire un effet boule de neige, comme l'a souligné la Cour des comptes début juillet.

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