Guillaume Kasbarian. Shutterstock/SIPA / © Tom Nicholson

Politique

Proche de Gabriel Attal, libéral décomplexé, l’ancien ministre Guillaume Kasbarian regarde avec admiration le président argentin Javier Milei. Un positionnement qui déroute jusque dans son propre camp.

Le JDD - 2 novembre 2025 - Par Victor-Isaac Anne

« ¡La libertad avanza! Felicidades, presidente Javier Milei. » Guillaume Kasbarian fanfaronne ce lundi, alors que l’Assemblée nationale reprend l’examen du budget. Le député EPR adresse sur X ses félicitations au président argentin pour sa large victoire aux législatives de mi-mandat. La gauche, Olivier Faure en tête, s’étrangle aussitôt, dénonçant une dérive libertarienne. 

L’intéressé, lui, se frise les moustaches. S’il n’en tenait qu’à lui, l’ancien ministre de la Fonction publique, à l’image de son modèle argentin, assènerait des coupes claires dans les dépenses de l’État. Libéral assumé, le député de 39 ans, élu en 2017, s’enorgueillit de n’avoir jamais voté une dépense ni une taxe supplémentaire dans aucun budget. Et ce n’est pas aujourd’hui que cela va changer. 

Biberonné à l’école d’économie autrichienne

Depuis le début de l’examen du projet de loi de finances, il repousse un à un les assauts fiscaux venus de la gauche, du RN et parfois même, hélas, de son propre camp. Comme cet amendement, déposé par le ministre de l’Économie Roland Lescure, visant à alourdir la surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises. « On voudrait plomber notre économie, on ne s’y prendrait pas autrement », déplore-t-il dans son bureau de l’Assemblée, devant sa bibliothèque garnie des essais de l’intelligentsia libérale : Nicolas Bouzou, Olivier Babeau, Nicolas Dufourcq… 

Une conviction nourrie par son histoire familiale

Biberonné à l’école d’économie autrichienne, Guillaume Kasbarian ne jure que par la responsabilité individuelle. Un credo d’une redoutable cohérence, mais qui s’accommode mal des nuances. Pour le dire vite, l’élu d’Eure-et-Loir estime que « quand on veut, on peut ». Une conviction nourrie par son histoire familiale : ses parents, Arméniens du Liban, ont fui la guerre pour s’installer à Marseille et faire carrière dans l’enseignement, « sans jamais bénéficier de la moindre aide sociale », précise-t-il, réclamant que soit supprimé jusqu’au moindre centime d’euro, l’argent public « gratuit » versé aux nouveaux arrivants. 

Nommé pour la première fois ministre en 2024, d’abord au Logement sous Gabriel Attal, puis à la Fonction publique sous Michel Barnier, Guillaume Kasbarian tente chaque fois d’imprimer sa marque libérale, quitte à aller au clash avec ses écosystèmes. Au Logement, sa loi anti-squat lui vaut un bras de fer homérique avec les bailleurs sociaux. Mais c’est à la Fonction publique qu’il se heurte aux résistances les plus farouches, en proposant d’allonger le délai de carence et de fusionner les trois catégories de fonctionnaires. Des projets abandonnés avec les chutes successives des deux gouvernements. Lors de cette dernière expérience, il mesure le degré de dépendance à l’État : des présidents de région, excédés par les abus de télétravail, se pressent dans son bureau pour lui demander de légiférer. « Les mêmes qui pleurnichent sur les plateaux télé pour réclamer davantage de décentralisation », ironise-t-il. 

L’aventure ministérielle s’achève en décembre 2024. Le nouveau Premier ministre, François Bayrou, ne veut pas travailler avec ce personnage « trop libéral, trop abrasif », comme il le dit alors en petit comité. Qu’à cela ne tienne, Guillaume Kasbarian se définit aujourd’hui comme « un député heureux ». Avec sa moustache façon IVe République et sa casquette à carreaux, l’ancien ministre au débit de mitraillette ne laisse pas indifférent : on l’aime ou on le déteste. Côté RN, on penche plutôt pour la deuxième option : « Entre son coming-out dans Paris Match la semaine de la chute du gouvernement Barnier et son libéralisme échevelé, on sent que ce garçon a besoin d’exister », tacle Sébastien Chenu. À droite, Laurent Wauquiez en dit le plus grand bien et n’exclut pas, un jour, peut-être, de travailler avec lui. Guillaume Kasbarian prend le compliment, mais n’envisage pas, pour l’heure, de changer de port d’attache. 

Une personnalité charpentée

À Renaissance, justement, le député suscite des sentiments mêlés. Les plus à gauche, comme Clément Beaune, disent pis que pendre de ce fan du président argentin. « Si on m’avait dit que le Milei Français viendrait de nos rangs… », soupire un député EPR. Des critiques qui le font sourire :  « Ces gens font semblant de découvrir mon libéralisme, alors que je n’en ai jamais dévié depuis 2017. » Au moins Kasbarian peut-il compter sur le soutien de Gabriel Attal. Le président de Renaissance se réjouit de voir le courant libéral incarné par une personnalité aussi charpentée au sein de son parti : « C’est bien la preuve que nous sommes ouverts à différentes sensibilités », souligne l’ancien Premier ministre.  

S’il partage nombre de ses valeurs, David Lisnard, le maire de Cannes, autre libéral revendiqué, pointe toutefois « une contradiction indépassable entre son positionnement et son soutien à la politique social-étatiste d’Emmanuel Macron ». Kasbarian balaie la critique : « En 2017, En Marche incarne l’offre la plus libérale. Si l’élan s’est émoussé à l’épreuve du pouvoir, moi je n’ai pas changé de cap. »