Politique
Le premier ministre s’est appuyé sur un large réseau d’ex-collaborateurs et de connaissances pour s’entourer à Matignon.
Le Figaro - 27 septembre 2024 - Par Emmanuel Galiero et Fig Data
Lancé dans la vie politique en 1973, avec un mandat de conseiller général de Savoie sous le bras, Michel Barnier n’a cessé d’élargir son réseau de relations depuis plus d’un demi-siècle. Il a toujours soigné ses contacts avec une régularité de métronome, priant ses secrétaires particulières de bien tenir à jour son précieux fichier, de veiller sur les vœux immanquables et de soigner des missives toujours signées à la main avec petits mots personnalisés.
Le soir du 4 septembre, quand l’ex-négociateur en chef du Brexit comprend que son nom est fixé pour Matignon, il invite aussitôt quelques membres de son cercle rapproché à le rejoindre dès le lendemain matin. « Soyez en forme », les prévient-il sur la boucle WhatsApp des fidèles intitulée « Pros et sympas ».
Michel Barnier les reçoit à 7 heures pétantes, dans son appartement parisien du 7e arrondissement, à deux pas de l’Assemblée nationale. Autour de lui, on retrouve notamment la sénatrice Marie-Claire Carrère-Gée, l’ex-collaborateur Simon Dufeigneux, les jeunes communicants Antoine Lévêque et Erwan de Rancourt… Sans oublier les membres de sa famille, très impliqués dans l’aventure. L’heure est à la fois incroyablement motivante et grave. Le futur premier ministre veut aller vite et anticiper. Il sait qu’il va falloir poser les fondations d’un cabinet solide pour affronter une séquence compliquée, cernée par les urgences. C’est pour cela qu’il se concentre d’abord sur le choix des profils rompus aux questions budgétaires et régaliennes. Pour aborder sa mission dans les meilleures conditions possibles, il nomme donc Jérôme Fournel au poste de directeur de cabinet, puis le préfet Michel Cadot à celui de conseiller territoires, régalien et outre-mer.
Grâce à ce fichier d’ex-collaborateurs, ses conseillers ont pu travailler de manière autonome pour trouver des bras prêts à aider. Ce vivier avait beaucoup servi durant la primaire LR et cette fois, les équipes ont pioché dedans une fois encore. Le nouveau premier ministre avait besoin d’expertises rapides pour réactualiser sa vision des circuits de l’État et pour préparer son discours de politique générale.
Le réseau, Michel Barnier l’a toujours cultivé. Certains se souviennent de ces réunions de « famille » auxquelles il a toujours tenu. Des moments réguliers de partage réunissant parfois 400 personnes, comme ce fut le cas dans les salons de la délégation Wallonie-Bruxelles, boulevard Saint-Germain à Paris. Ces liens tissés avec des chefs d’entreprise, des hauts fonctionnaires, des personnalités politiques ou issues de la société civile, constituent la rançon de cinquante années de vie publique. « Il est sans doute l’un des politiques dotés du plus beau carnet d’adresses de Paris ! », estime un proche qui se souvient de son microparti Nouvelle République. Lancé en 2002, il fut conçu comme un club de réflexion visant à éclairer les problèmes de la société française. Michel Barnier en avait fait un carrefour de grands débats dans les théâtres, avec des personnalités internationales.
« Il n’aime pas le conflit, ni les gens qui cloisonnent. Il aime le collectif », raconte l’un de ses amis en soulignant la capacité du Savoyard à s’entourer de jeunes. Michel Barnier mise aussi sur la confiance, comme celle qui le lie par exemple à son nouveau conseiller spécial Arnaud Danjean, ex-député européen proche de François-Xavier Bellamy. Il a sollicité sa présence à Matignon mais quand cet expert de l’intelligence stratégique issu de la DGSE lui a dit qu’il était sorti de la politique, le premier ministre à peine nommé lui a offert un poste d’éclaireur, en lien direct avec lui. La nouvelle directrice adjointe Valérie Bros, ex-conseillère de Barnier aux Affaires étrangères, est aussi une experte venue de l’Union européenne. Cette fidèle est appréciée pour le regard « différent » qu’elle est capable de porter sur les fonctionnaires de Bercy. Michel Barnier, qui n’aurait eu que trois secrétaires particulières en quarante ans, a également sollicité la dernière d’entre elles, Isabelle Misrachi. Cette collaboratrice historique le connaît depuis 1999 et occupe désormais un poste de chef de cabinet adjointe. Polyglotte, fonctionnaire européen ayant exercé ses talents au sein des services généraux de la « task force Brexit » de 130 personnes, elle était jusqu’alors responsable du protocole auprès d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
Cette fidélité, on la retrouve également au cœur du dispositif diplomatique de Michel Barnier. Il a fait appel à Olivier Guersent, son ex-directeur de cabinet à la Commission européenne comme à Christine Roger, qui fut aussi sa directrice de cabinet à Bruxelles. On sait que le premier ministre est un féru de relations internationales. Éric Ciotti lui avait d’ailleurs confié la gestion du dossier au sein des Républicains. Il a toujours nourri avec attention ses relais et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, il sait qu’il peut compter sur quelques personnalités reconnues dans ce domaine.
Par exemple, les diplomates Philippe Étienne et Pierre Vimont sont considérés comme des éminences morales qui ont formé des générations de diplomates. Mais dans ce cercle, nourri par une carrière européenne bien remplie, on peut aussi croiser des profils comme celui du Norvégien Georg Riekeles, ex-conseiller stratégique de Michel Barnier entre 2009 à 2020. Le spécialiste est aussi directeur délégué d’un think-tank considéré comme le plus influent de Bruxelles, l’European Policy Centre. Il entretient aussi des liens particuliers avec plusieurs figures politiques européennes, d’Angela Merkel à Mario Draghi en passant par Roberta Metsola, Antonio Tajani ou Elisa Ferreira…
Mobilisés dans l’urgence, les alliés de Michel Barnier sont entrés dans la danse de Matignon en mesurant l’ampleur du défi. Il savait que cela risquait de « tirer dans tous les sens ». Certains ont préféré rester à l’extérieur mais beaucoup ont voulu monter sur le bateau. L’un d’eux se dit ravi de pouvoir aider le premier ministre dans cette mission que beaucoup jugent impossible. « Il s’est engagé pour servir le pays. Il s’est lancé dans cette aventure avec fierté et la conscience extrêmement libérée. Il veut simplement répondre à un moment particulier. Il n’a plus rien à prouver. » E.G. ET FIG DATA
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