Politique

Un mois après son arrivée à Matignon, le premier ministre a tracé sa feuille de route ce mardi après-midi à l’Assemblée nationale. Avec l’objectif d’éviter la censure de son gouvernement, il se fixe «trois défis».

Le Figaro - 14 janvier 2025 - Par Thibaut Déléaz et John Timsit

Sommaire

«Contenir» et «réduire» la dette publique
Budget, stabilité, action publique... Les «trois défis» de Bayrou
Valls aux Outre-mer, Borne à l’Éducation... Bayrou défend ses choix
La réforme des retraites «remise en chantier»
Des économies pour ramener le déficit à 5,4% du PIB en 2025
Un fonds d’investissement pour réformer l’État
L’effort d’économie demandé aux collectivités territoriales réduit
Débureaucratiser et protéger les entreprises de hausses d’impôts
La réforme de l’audiovisuel public maintenue
Proportionnelle et «probable» retour du cumul des mandats
Vers une «banque de la démocratie»
Gilets jaunes : «Reprendre l’étude des cahiers de doléances»
L’immigration, «une question de proportion»
Corse : «Respect» du calendrier «pour aboutir à une évolution constitutionnelle fin 2025»
Le modèle Parcoursup remis en question
Le déremboursement de médicaments et de consultations abandonné

C’était l’heure de vérité pour François Bayrou. Un mois après sa nomination à Matignon en pleine tempête politique, le premier ministre a prononcé ce mardi après-midi son discours de politique générale. Budget 2025, immigration, proportionnelle... Pendant une heure et demie à la tribune de l’Assemblée nationale, le Béarnais a tracé sa feuille de route à la tête du gouvernement. Au centre des attentions : la dernière réforme des retraites - adoptée en 2023 -, dont le patron du MoDem avait refusé mardi matin toute «suspension» ou «abrogation».

Dès les premières minutes de son intervention, François Bayrou a enjoint à la représentation nationale d’aider le pays à «retrouver» une «stabilité» au terme d’une année 2024 très agitée sur le plan politique. «Quand tout va bien, on s’endort sur ses lauriers. Et quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage», a exigé le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques), en s’appuyant sur les enquêtes d’opinion, qui révèlent que «84% des Français jugent que (son) gouvernement ne passera pas l’année.» Raison pour laquelle il a confié une mission à son équipe : mener une action d’«intérêt général», qui «oblige à dépasser les préférences partisanes». Le Figaro vous résume ce qu’il faut retenir de l’intervention du chef du gouvernement.

«Contenir» et «réduire» la dette publique

«La France, dans son histoire, n’a jamais été aussi endettée qu’elle l’est aujourd’hui», a assuré le premier ministre en préambule de sa déclaration, qui donne au gouvernement la tâche de «contenir» et «réduire» la dette publique. Compte tenu du niveau de cette dernière, François Bayrou considère qu’«aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourra être conduite si elle n’en tient pas compte». Cette «épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social», l’hôte de Matignon estime que tous les partis qui ont été au pouvoir depuis François Mitterrand y ont pris part. Y compris Emmanuel Macron, dont le bilan financier a été alourdi ces dernières années selon lui par «les Gilets Jaunes, le Covid-19, la guerre en Ukraine, l’inflation».

Budget, stabilité, action publique... Les «trois défis» de Bayrou

Alors que les projets de loi de finances 2025 ont été repoussés par la censure historique de Michel Barnier début décembre, François Bayrou a listé les «trois défis» qui guideront son action. «Il faut se ressaisir et adopter sans tarder les deux budgets» - de l’État et de la Sécurité sociale -, a d’abord espéré le premier ministre. Qui souhaite en parallèle «mettre en place les conditions de la stabilité, qui impose de se réconcilier». «Le gouvernement considérera les Français comme des partenaires des décisions à prendre, non comme les sujets d’une monarchie qui n’auraient d’autre choix que d’obéir ou de se révolter», a-t-il promis. Dernier point évoqué par le premier ministre : «L’action publique» que «notre pays doit refonder».

Valls aux Outre-mer, Borne à l’Éducation... Bayrou défend ses choix

Formé il y a à peine trois semaines, le gouvernement avait été critiqué par la gauche dès l’annonce de sa composition. En cause ? La présence de deux anciens premiers ministres en son sein : Manuel Valls aux Outre-mer ainsi qu’Élisabeth Borne à l’Éducation nationale. Pour François Bayrou, le premier «a accepté de prendre (une) lourde et passionnante responsabilité», la seconde est un «exemple de méritocratie républicaine et de service de l’État.»

Sans oublier d’évoquer le binôme régalien constitué par Bruno Retailleau place Beauvau et Gérald Darmanin comme garde des Sceaux. «J’ai souhaité une coopération étroite entre les ministères de la justice et de l’intérieur, pour leur confier la restauration de l’autorité de l’État», a fait valoir le chef du gouvernement, selon qui «les questions de sécurité sont brûlantes pour nos concitoyens.»

La réforme des retraites «remise en chantier»

Le gouvernement va «remettre en chantier» la réforme «vitale» des retraites adoptée sous Elisabeth Borne, sans la suspendre, estimant qu’une «fenêtre de tir» existe avant le passage de l’âge légal de départ à 63 ans fin 2026. Après d’intenses négociations avec la gauche, François Bayrou promet «une méthode inédite et quelque peu radicale», un chantier mené avec les partenaires sociaux «pour un temps bref et dans des conditions transparentes».

Une «mission flash de quelques semaines» va au préalable être demandée à la Cour des comptes, puis tout pourra être discuté «sans aucun tabou» y compris sur l’âge de départ, à condition que les propositions ne dégradent pas l’équilibre financier recherché. Alors que les partenaires sociaux seront réunis dès ce vendredi, il leur sera proposé «de s’installer dans les mêmes bureaux ensemble pendant trois mois, à dater du rapport de la Cour des comptes» pour travailler sur le sujet. Le premier ministre souhaite que la nouvelle mouture de la réforme puisse être soumise au Parlement lors du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, à l’automne prochain, «ou si nécessaire par une loi».

Des économies pour ramener le déficit à 5,4% du PIB en 2025

Le budget est la première «urgence» à traiter pour le gouvernement, a affirmé François Bayrou. Le gouvernement, qui a revu sa prévision de croissance pour 2025 à 0,9% au lieu de 1,1%, vise un objectif de réduction du déficit public à 5,4% du PIB pour cette année. L’objectif de retour aux 3% de déficit en 2029, promis par la France à ses partenaires européens, est maintenu. Pour cela, le premier ministre veut proposer des «économies importantes», notamment grâce à une «réforme de l’action publique». Tous les ministres vont ainsi devoir dès le printemps proposer un budget «repensé». Le premier ministre a également questionné l’utilité des «1000 agences, organes ou opérateurs (qui) exercent l’action publique».

Un fonds d’investissement pour réformer l’État

François Bayrou va par ailleurs créer un fonds spécial «entièrement dédié à la réforme de l’État», qui sera financé en cédant une partie des actifs publics, notamment immobiliers. Cet argent ne pourra pas être employé «pour des dépenses courantes» mais devra servir à investir, «par exemple dans le déploiement de l’intelligence artificielle dans nos services publics».
L’effort d’économie demandé aux collectivités territoriales réduit

L’effort demandé aux collectivités territoriales pour la réduction du déficit dans le budget 2025, qui avait suscité une forte opposition des élus locaux, va être réduit à 2,2 milliards d’euros au lieu des 5 milliards d’euros prévus initialement, a annoncé François Bayrou.

Débureaucratiser et protéger les entreprises de hausses d’impôts

Le gouvernement veut que le projet de loi de simplification économique, examiné au Parlement, soit «adopté rapidement». Plus largement, il veut s’engager «dans un puissant mouvement de débureaucratisation», a promis François Bayrou, souhaitant ainsi «rendre du pouvoir au terrain» pour identifier des potentiels «simplifications, suppressions ou allègements d’obligations utiles». Le chef du gouvernement veut notamment que «partout où cela sera possible», l’administration ait la charge de remplir les papiers et que l’usager n’ait ainsi qu’à les vérifier. Le premier ministre veut également «faciliter la tâche» des entreprises et les prémunir «contre des augmentations exponentielles d’impôts et de charges».

La réforme de l’audiovisuel public maintenue

Le gouvernement souhaite que la réforme de l’audiovisuel public, dont les discussions au Parlement ont été interrompues par la censure, soit «conduite à son terme». Portée par la ministre de la Culture Rachida Dati, elle prévoit notamment la fusion de Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et l’INA dans une holding baptisée France Médias.

Proportionnelle et «probable» retour du cumul des mandats

Exigence portée de longue date par le Rassemblement national (RN), la proportionnelle pourrait-elle entrer en vigueur avant les prochaines élections législatives ? Si Emmanuel Macron ne peut pas dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale avant l’été prochain, son premier ministre s’est montré favorable à ce que «le mode de scrutin soit enraciné dans les territoires». Et donc au «principe proportionnel pour la représentation du peuple dans nos assemblées». Un élément clé qui ouvre la porte à un «probable» retour du cumul des mandats. Selon François Bayrou, il faudra «reposer en même temps la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale.»

Vers une «banque de la démocratie»

Reprenant une idée qu’il porte depuis plusieurs années, François Bayrou a dit souhaiter «la création d’une banque de la démocratie pour que le financement des partis politiques et des campagnes ne dépende plus de choix de banques privées». Cela permettrait, selon le chef du gouvernement, que le financement des partis et des campagnes «puisse éventuellement et en recours, être le fait d’organismes publics placés sous le contrôle du Parlement».

Gilets jaunes : «Reprendre l’étude des cahiers de doléances»

Au cours de son discours, le premier ministre a tenu à revenir sur la crise des gilets jaunes qui a laissé des traces dans le pays. «Ils ont dénoncé l’état qu’il ressentait de notre société. Et cet état, c’était la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas», a développé François Bayrou en référence aux manifestations qui se sont répétées chaque samedi sur les ronds-points et à Paris entre l’automne 2018 et le printemps 2019. Se basant sur l’idée qu’il se fait de la «promesse française», il a exhorté à «reprendre l’étude des cahiers de doléances qui ont été présentés» par les contestataires de l’époque.

L’immigration, «une question de proportion»

Comme une manière de garder la droite au sein de la coalition au pouvoir aux côtés du camp présidentiel, le premier ministre a jugé que «l’immigration est d’abord une question de proportion». «L’installation d’une famille étrangère dans un village, c’est un mouvement de générosité qui se déploie», a d’abord expliqué François Bayrou, avant de lancer un avertissement pour justifier son analyse : quand «trente familles s’installent, le village se sent menacé et des vagues de rejets se déploient.»

Corse : «Respect» du calendrier «pour aboutir à une évolution constitutionnelle fin 2025»

Quelques mois après la révision constitutionnelle portant sur l’inscription de l’IVG dans le texte fondamental de 1958, François Bayrou a promis que le «calendrier» qui fixe une «évolution constitutionnelle» de l’île à «fin 2025» sera bel et bien «respecté».

Le modèle Parcoursup remis en question

«Parcoursup est une question», a reconnu François Bayrou à propos de l’outil d’orientation des lycéens, sur lequel ils doivent postuler aux formations post-bac. «Les enfants ne sont pas comme les poireaux : ils ne poussent pas tous à la même vitesse», a estimé le premier ministre, regrettant une «obligation d’orientation précoce» qui «perturbe et met en danger». Il a évoqué une potentielle «année d’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur».

Le déremboursement de médicaments et de consultations abandonné

Le gouvernement va abandonner «la mesure de déremboursement de certains médicaments et de consultations» prévue dans le budget du précédent gouvernement Barnier. Une façon d’éloigner le risque de censure, en répondant à l’une des «lignes rouges» du RN. Sur la santé, François Bayrou a plus globalement appelé à «passer d’une logique budgétaire annuelle à une logique de financement pluriannuel» pour mieux «anticiper les besoins de santé futurs des Français».