«C’est la chute de la falaise ou le chemin pour s’en sortir», martèle François Bayrou (ici le 7 août), en dépeignant une France surendettée et cernée par les bouleversements du monde. Hans Lucas/Romuald Goudeau

Politique

Le Premier ministre, qui tiendra ce lundi une conférence de presse sur le budget, dit au Parisien-Aujourd’hui en France sa certitude que les Français prendront « conscience » de la nécessité de serrer la vis de la dépense publique. Et déplore une vision à court terme de la classe politique.

 Le Parisien - 23 août 2025 - Par Pauline Théveniaud

À l’appui de sa démonstration sur l’état du pays, François Bayrou désigne un petit cadre trônant en bonne place dans son bureau. C’est un dessin que l’illustrateur Xavier Gorce lui a dédicacé. « On a le choix : continuer à ne rien foutre et s’appauvrir. Ou se remettre au travail pour préserver notre niveau de vie », y devisent cinq pingouins, avant de conclure : « Nous choisissons de continuer à ne rien foutre mais dans de meilleures conditions. » Tout est dit, songe-t-il.

À Matignon, le mois d’août s’est écoulé tranquillement mais… inéluctablement vers une rentrée en forme de saut dans le vide. La première et dernière de François Bayrou, Premier ministre contesté ? On ne présente plus l’inextricable équation : faire passer un budget comprenant 43,8 milliards d’euros d’économies sans majorité, ni solidarité au sein de sa coalition, face à un risque majeur de censure à l’Assemblée.

Les soudaines louanges de Macron

« Je sais que je suis minoritaire », convient le chef du gouvernement auprès du Parisien, alors que ce lundi 25 août, il organise une conférence de presse sur l’urgence de remettre les comptes publics à flot.

Et voilà qu’une menace s’ajoute : la colère sociale avec des syndicats braqués, des grèves annoncées dans une kyrielle de secteurs (taxis, hôpitaux, énergie…) Et, surtout, cet appel à bloquer le pays le 10 septembre relayé par les dirigeants de gauche, en particulier Jean-Luc Mélenchon, pour décupler la pression sur le pouvoir… Vertige ?

 


 

« C’est : Le pays est devant de grands risques, tiens, nous allons le bloquer ! Comment défendre ça ? », réplique Bayrou. Selon un sondage Toluna - Harris Interactive pour RTL, 70 % des Français soutiennent toutefois le mouvement…

Le climat est tel, que même les soudaines louanges d’Emmanuel Macron à son endroit, après des mois d’agacement, ont sonné comme un mauvais augure dans le microcosme.

Le signe, en tout cas, qu’il y a péril : « Cela va au-delà d’une amabilité avant licenciement. Il se mouille, note un ministre. Compte tenu de la situation internationale, il ne veut pas que ce soit le bazar en France. »

Après avoir échangé avec lui tout l’été, le président a d’ailleurs, fait rare, invité son « PM » jeudi 21 août dans la soirée à Brégançon (Var) pour faire le point sur les dossiers les plus chauds avant le Conseil des ministres de reprise mercredi.

Dans la semaine qui arrive, le locataire de Matignon se rendra aux universités d’été de la CFDT et du Medef. Surtout, il commencera à recevoir les représentants de toutes les forces politiques.

« Les forces politiques sont obsédées par la prochaine élection »

Ses rendez-vous avec les socialistes seront les plus cruciaux, puisqu’ils sont (sur le papier) les seuls opposants avec lesquels il peut nouer un accord de non-censure. Seulement, les contentieux n’ont cessé de s’accumuler.

Cet été, Bayrou n’a échangé avec les chefs du PS que par intermédiaires — dans le rôle des messagers : ses lieutenants Marc Fesneau, Patrick Mignola et le duo de Bercy Éric Lombard et Amélie de Montchalin.



En l’état, croit-il qu’ils mettront leur menace de censure à exécution ? « Ils y laisseraient la peau, car, derrière, l’extrême droite emporterait la mise. Mais on ne peut pas empêcher les gens d’être suicidaires », observe le chef du gouvernement.

Rarement le centriste n’est apparu si pessimiste sur la classe politique. Sans illusion. « De Gaulle avait raison, les forces politiques sont obsédées par la prochaine élection. Et comme il est plus facile d’être contre… C’est comme dans le film Astérix et Obélix : mission Cléopâtre : Pas content ! Pas content ! » mime-t-il.

« Que tout le pays travaille plus, cela a de la valeur moralement et financièrement »

A contrario, est-il prêt, lui, à lâcher du lest ? Il y a des marges de manœuvre sur l’effort demandé aux plus favorisés ou dans la transcription des conclusions du conclave sur les retraites dans le budget de la Sécurité sociale. Mais pas tant sur la suppression de jours fériés, mesure massivement rejetée. S’il se dit souple sur les modalités (principalement les dates retenues), Bayrou ne semble pas en démordre : « Que tout le pays travaille plus, cela a de la valeur moralement et financièrement. »

Au sommet de l’État, mi-juillet, on a été surpris par la célérité avec laquelle le RN, mais surtout le PS ont menacé de faire chuter le gouvernement après la présentation du plan Bayrou. « Il y a un truc qui a troublé tout le monde : les gens n’ont pas attendu pour dire : On censure », témoigne un macroniste haut gradé. Stupeur et tremblements.

« Seule l’adhésion des Français peut changer les choses dans ce climat de rapport de force », en déduit le Premier ministre, qui a décidé, en dépit de son impopularité record, de prendre l’opinion à témoin. Ainsi est né au creux de l’été son « podcast », une série de vidéos YouTube intitulée « FBdirect ».

« Je ne sais pas ce qu’il a fait. Il devait être tout seul à Matignon… »

Dans un Paris déserté, le résident de Matignon s’est targué de ne pas prendre de congés. Mais jusqu’au sein de son gouvernement, des ministres s’interrogent sur la façon dont le Palois a mis ce temps à profit.

« Je ne sais pas ce qu’il a fait. Il devait être tout seul à Matignon… », grince un lieutenant du président, observant que le chef du gouvernement n’a fait aucun déplacement ces deux dernières semaines et que ses vidéos sont loin d’avoir eu la quotidienneté annoncée.



« D’avoir été là, tous les jours, pour moi, c’était un signe, une main tendue aux Français », fait valoir le Béarnais qui a aussi invité les internautes à lui écrire. Parmi les quelque 6 000 messages reçus, les récriminations contre les privilèges aux élus lui ont sauté aux yeux. Geste avant la rentrée, il a annoncé lancer une mission pour les passer au crible.

Dans la boîte mail, outre les thèmes de la justice fiscale, du temps de travail, de la fraude fiscale, revenait aussi, bien sûr, l’opposition à la suppression de deux jours fériés et à la réforme des retraites.

« Ce qu’on entend le plus souvent : Des efforts oui, mais pas pour moi, les immigrés, les riches, c’est eux qu’il faut faire payer. En réalité, il faudra que tout le monde participe, avec des garanties de justice », retient le destinataire de ces interpellations.

« L’Europe est moins debout que je ne le voudrais »

Pas ébranlé par les maigres audiences de ses vidéos ou les commentaires unanimement acides des internautes sur YouTube, il pense que la « prise de conscience » s’opérera au dernier moment.

D’ici là, il poursuit sa stratégie : dramatiser pour marquer les esprits. « C’est la chute de la falaise ou le chemin pour s’en sortir », martèle-t-il, dépeignant une France surendettée et cernée par les bouleversements du monde.

Lundi 18 août, en direct comme tant de téléspectateurs, François Bayrou a suivi les échanges entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et les dirigeants européens mis en scène par l’Américain à la façon d’une téléréalité diplomatique. Dubitatif, comme sur l’accord États-Unis/Union européenne sur les droits de douane.

« Pourquoi Poutine céderait-il ? Comment Zelensky pourrait-il céder ? L’Europe est moins debout que je ne le voudrais, souffle-t-il, chacun cherche à se faire valoir par rapport à sa propre opinion publique ».

« Une rentrée à la hauteur de l’Histoire »

En France, il faut « une rentrée à la hauteur de l’Histoire », plaide-t-il, « pas une rentrée de décomposition avec mobilisation, négociation, marche arrière ».

On ne sait pas toujours s’il cherche un trou de souris ou à préparer une sortie par le haut. Il se complaît, en tout cas, dans ce seul contre tous. Il y voit du panache — d’autres du déni et de l’isolement. « Combattre, cela donne du sens à la vie », prône-t-il.Plus prosaïquement, un conseiller du gouvernement retourne le problème dans tous les sens : « Je ne vois pas, pour finir, comment il n’est pas censuré. » Au bord du précipice.