Tribune
Les échecs successifs de toutes les réformes des retraites depuis trente ans mettent en évidence l’essoufflement d’un système trop complexe qu’il est temps de repenser, estiment l’ancien premier ministre et l’essayiste.
Figaro Vox - 9 novembre 2025 - Par Gabriel Attal et Eric Weill
Depuis plus de trois décennies, le même psychodrame se répète à intervalles réguliers : un gouvernement tente, face à l’implacable réalité démographique, de réformer notre système de retraite ; des débats enflamment le Parlement ; les rues deviennent la scène de la contestation ; et, pour finir, une majorité de Français assiste, inquiète, au rabotage progressif, et sans fin, de ses droits à la retraite, sur fond de discours anxiogènes sur la nécessité de « sauver » un système à bout de souffle. Système, d’ailleurs, indéchiffrable pour la plupart, tant l’articulation et l’empilement des règles est complexe. Résultat : même à quelques années de la retraite, la plupart de nos concitoyens ne peuvent répondre à ces questions simples : à quel âge pourrai-je partir à la retraite ? Avec quelle pension ? Les jeunes actifs, eux, n’y croient plus : plus de la moitié s’attend à ne jamais toucher de retraite, ou seulement une pension dérisoire !
Dans quelques semaines, que la dernière réforme soit suspendue ou non, la question de la pérennité de notre système restera entièrement devant nous.
Les réformes dites « paramétriques » qui, bien que justifiées sur le plan budgétaire, n’apportent que des solutions temporaires au prix d’une crispation croissante de la population. Nous sommes arrivés au bout de cette logique de patchs et de correctifs qui ne réparent plus mais complexifient toujours davantage. L’esprit de la réforme proposée en 2019 était tout autre : ne plus colmater mais refonder. Imparfaite, sans doute trop ambitieuse pour certains, elle n’a pu aboutir, mais a néanmoins ouvert un chemin.
Ce constat nous invite à en tirer les leçons et à collectivement imaginer une autre approche, traitant le sujet à sa pleine dimension. Tout en reconnaissant la contrainte croissante qu’il exerce sur les finances publiques, il nous faut aussi prendre en compte les autres enjeux qui y sont attachés : ceux d’équité, de lisibilité et de prévisibilité. D’où l’impératif de construire un nouveau système, qui serait tout à la fois radicalement plus juste, plus simple, plus rassurant, plus prévisible tout en donnant à chacun plus de liberté.
Juste : plutôt qu’un empilement de régimes aux règles différentes, chaque euro cotisé ouvrirait les mêmes droits, quel que soit le moment de la carrière et quelle que soit la profession.
Réformer notre système de retraite est indispensable pour réduire notre déficit public et libérer les ressources nécessaires au financement de sujets cruciaux pour notre pays.
Simple : la quarantaine de régimes serait fondue en un seul régime universel aux règles simples auquel seuls les nouveaux entrants sur le marché du travail seraient affiliés. Les euros cotisés seraient directement convertis en euros de pension, définitivement acquis, et consultables à tout moment sur un compte personnel. Il s‘agit là de tirer les enseignements de la tentative avortée de système à points, dont la valeur réelle au moment du départ à la retraite a pu légitimement soulever des inquiétudes.
Prévisible : plutôt qu’un enchaînement sans fin de réformes par à-coups, qui changent parfois tardivement les règles du jeu, mettons en place un système qui resterait à l’équilibre, ses paramètres évoluant progressivement, et par défaut, en fonction d’indicateurs transparents comme l’espérance de vie ou la croissance économique, comme cela se pratique déjà dans des pays aussi divers que la Suède ou le Portugal.
Libre : brisons le totem de l’âge légal qui paralyse inutilement les débats et laissons, dans une large mesure, à chacun la liberté de choisir le moment, et le montant, de sa retraite. Faisons ainsi le choix de la responsabilité et de l’incitation, plutôt que celui de la contrainte et de la frustration. Pour convaincre tous ceux qui le peuvent à travailler plus longtemps. Faisons aussi le choix de la solidarité pour ceux qui auront accompli les emplois les plus pénibles, les plus usants, et qui méritent de partir plus tôt.
Profitable à notre économie et à tous les cotisants : démocratisons la capitalisation, dont profitent aujourd’hui d’abord les plus aisés, ainsi que les fonctionnaires. En investissant pour leur retraite, les Français pourraient financer nos entreprises tout en s’assurant un meilleur niveau de pension.
Responsable : pour prendre en compte les intérêts de chacun – actifs et employeurs – mais aussi favoriser l’adhésion la plus large aux décisions prises, confions la gouvernance de ce nouveau système aux organisations syndicales et patronales qui, sous réserve du respect d’une règle d’or budgétaire, pourraient librement le piloter.
Démocratique : au regard de l’ampleur du chantier, une telle réforme devra être préparée et affinée en concertation avec les partenaires sociaux et faire l’objet d’un véritable débat public avant les prochaines échéances nationales. Le suffrage devra ensuite donner la force nécessaire au déploiement de ce projet qui prendra plus d’une génération.
Réformer notre système de retraite est indispensable pour réduire notre déficit public et libérer les ressources nécessaires au financement de sujets cruciaux pour notre pays : l’école, la transition écologique, la défense ou la recherche et développement. Mais, répétons-le, l’enjeu en la matière n’est pas seulement budgétaire : il est aussi démocratique. Il s’agit de clore le cycle sans fin de réformes anxiogènes pour restaurer la confiance dans l’un des principaux piliers de notre État-providence. Et sortir du psychodrame permanent qui, plus que tout autre pays, empoisonne notre vie démocratique et nous empêche de nous projeter vers l’avenir.
Le message de Gabriel Attal et Eric Weill
Mercredi, l’Assemblée nationale débattra de la suspension de la réforme des retraites de 2023.
Ce débat que le Gouvernement a estimé nécessaire d’ouvrir, nous savons déjà comment il se terminera : une nouvelle fois, la gauche et l’extrême droite voteront ensemble, et suspendront la réforme, quel que soit notre vote.
Mais nous refusons de nous laisser enfermer dans un débat que nous subirions. Nous voulons parler de la réalité de notre système et de son avenir. La réalité, c’est que depuis 30 ans, on propose aux Français en moyenne une réforme des retraites tous les 4 ans. À chaque fois, une réforme de paramètres, toujours source de tensions et toujours présentée comme celle de la dernière chance. Et pourtant, une réforme est toujours suivie d’une autre quelques années plus tard.
Nous ne pouvons plus continuer ainsi.
Bien que nécessaires, ces réformes successives ne règlent plus rien. Elles colmatent et rafistolent un système conçu dans l’après-guerre, quand le nombre de retraités était plus faible, l’espérance de vie bien moindre et la natalité bien plus élevée.
Pire, elles ont rendu notre système incompréhensible et sapé la confiance que les Français, et notamment nos jeunes, avaient en lui.
Aujourd’hui, tout a changé.
Alors, nous aussi, nous devons tout changer.
Ces réformes paramétriques ont créé de la défiance et des déficits.
Nous, nous voulons imaginer un système qui crée de la confiance et de la croissance.
Nous proposons donc de bâtir un nouveau système de retraite universel, libre, juste, compréhensible et pérenne.
C’est pourquoi nous avons écrit avec Éric Weil, spécialiste des retraites et auteur du livre Retraites : un blocage français, une tribune aujourd’hui dans Le Figaro pour présenter ce nouveau système.
Ce projet repose sur des principes majeurs :
➡️ Un régime universel, où chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits.
➡️ Un régime libre, sans âge légal de départ à la retraite, fondé exclusivement sur une durée de cotisation.
➡️ Un régime clair, où chacun sait, à tout moment de sa carrière, ce à quoi il a droit en euros.
➡️ Un régime pérenne qui donne toute sa place aux partenaires sociaux. Nous miserons sur la confiance et les partenaires sociaux définiront les paramètres du système par la négociation. Ils devront respecter une règle d’or budgétaire : l’équilibre financier du système.
➡️ Un régime qui incite au travail et permet d’investir dans l’avenir. Nous ouvrirons les vannes de la capitalisation à tous et créerons un fonds de capitalisation : 1000€ pour chaque naissance, que les parents pourront abonder en défiscalisant leurs versements. En dix ans, seulement, ce sont plusieurs milliards d’euros que nous aurons déjà mobilisés et qui permettront de financer notre économie et notre innovation.
Changer de système, ne pas mettre des rustines sur un modèle qui prend l’eau : c’est ça la Nouvelle République que nous portons.
Dans les prochains jours, le parti fournira à vos départements et vos comités de quoi animer la réflexion et nous mobiliser pour défendre notre vision des retraites.
Car quand certains parlent du passé, nous, nous voulons parler d’avenir.
De l’avenir des retraites, de l’avenir du pays, de l’avenir de la jeunesse.
Et pour cela, j’ai besoin de vous. De votre engagement, de votre mobilisation, de votre conviction.
Car ce que nous proposons n’est pas une nouvelle réforme de paramètre : c’est une vision, un choix clair, une transformation profonde qui peut redonner confiance dans nos retraites, dans un des piliers de notre modèle social.
Gabriel Attal est ancien premier ministre, secrétaire général de Renaissance et président du groupe EPR. Éric Weil est auteur de « Retraites : un blocage français. »
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