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Réformes
Face à l’impasse démographique, la retraite par capitalisation sort de l’ombre, promue de plus en plus ouvertement par la droite et le patronat, mais pas seulement...
L'Opinion - 4 février 2025 - Par Christine Ollivier et Sarah Spitz
Jusqu’à présent on voyait bien qu’on prêchait dans le désert, mais aujourd’hui il y a un élément déclencheur : l’effondrement du taux de fécondité en France
Preuve que les choses pourraient devenir sérieuses, le président du Medef Patrick Martin a proposé d’étudier la question sur le perron de Matignon, après un rendez-vous avec François Bayrou, le 7 janvier. L’organisation patronale a récemment créé un groupe de travail sur le sujet. En octobre dernier, lors d’un colloque sur le financement des retraites organisé par les députés Eric Coquerel (LFI) et Charles de Courson (Liot) à l’Assemblée nationale, elle a proposé d’ajouter « un étage de retraite par capitalisation » pour diversifier le système en péril. Si leurs interlocuteurs syndicaux avaient déjà remarqué que le Medef évoquait davantage la capitalisation lors de négociations, cette prise de parole officielle a surpris.
« Les esprits mûrissent sur ce sujet parce que la réalité démographique nous saute à la figure. Jusqu’à présent, on voyait bien qu’on prêchait dans le désert, mais aujourd’hui il y a un élément déclencheur : l’effondrement du taux de fécondité en France. Ça change tout : à 1,6 enfant par femme au lieu de 1,8 ou 2, le système par répartition tout seul ne marche plus ! », explique Eric Chevée de la CPME.
Mur démographique. « Il y a encore quelques années, lors des discussions sur les retraites, on mentionnait la capitalisation pour mieux l’écarter, rappelle Franck Morel, ancien conseiller social d’Edouard Philippe, désormais secrétaire national en charge du travail à Horizons. Le mur démographique était déjà défavorable, mais moins qu’aujourd’hui. On est en train de changer de dimension de ce point de vue ».
Les paramètres classiques du système par répartition sont devenus autant de terrains minés : les entreprises ne veulent pas augmenter le coût du travail, et jouer sur le montant de la cotisation, sa durée ou l’âge de départ à la retraite est explosif..
Dans les prochaines semaines, un autre catalyseur pourrait alimenter le débat. Le « conclave » sur les retraites démarrera fin février. Dans ce cadre, la CPME se fixe un objectif : que le document de sortie mentionne la retraite par capitalisation pour, a minima, engager la réflexion. Reste à convaincre les syndicats... Ils se montrent bien résolus à ne pas faire déborder les discussions du « conclave », qui doivent s’en tenir à l’équilibre du régime par répartition. Et après ?
Tout le monde sait que la capitalisation existe déjà, dont l’assurance-vie. Il faut avoir la lucidité d’en parler
Pour la CGT, c’est un grand non de principe. D’autres se montrent moins fermés. « Nous avons dit que nous entrerions dans les discussions sans totem ni tabou, notamment sur la question de l’âge... Décréter nous-mêmes des lignes rouges n’est donc pas bienvenu, concède Yvan Ricordeau, numéro deux de la CFDT. De plus, tout le monde sait que la capitalisation existe déjà, dont l’assurance-vie. Il faut avoir la lucidité d’en parler. Simplement, pour nous, ce n’est pas le sujet de 2025 parce que le sujet de 2025, c’est la répartition ».
Ce qui n’empêche pas le syndicat d’émettre deux réserves sur l’instauration de ce pilier : « Les organisations qui promeuvent la capitalisation ne disent pas quel en serait le financement ! Or, sans augmentation du coût du travail, c’est impossible. De plus, si on veut mettre en place cet étage, il y aura nécessairement une génération sacrifiée qui va payer le coût de la transition ».
En termes d’équité, on trouve dommage que seuls certains salariés de grandes entreprises aient des PER. Pourquoi ne pas créer un compte d’épargne retraite obligatoire ?, avance Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC. Mais il faudrait alors absolument éviter le cas de figure où un employeur refuse d’augmenter un salarié au prétexte qu’il abonderait plus fortement son compte épargne... » Si le syndicat chrétien s’interdit lui aussi d’aborder le sujet pendant le « conclave », il a tout de même été débattu en interne lundi.
Mentalités. De nombreux Français se sont en réalité déjà engagés dans la voie de la capitalisation. D’après les données de Bercy, en France en 2023, presque dix millions de personnes détiennent un PER (plan d’épargne retraite), pour plus de 95 milliards d’euros d’encours. Pour moitié, ce sont des PER individuels (55,2 milliards d’encours et plus de 3,4 millions de titulaires).
Depuis vingt ans, les fonctionnaires bénéficient, eux aussi, d’une partie de leur retraite par capitalisation, au travers des dispositifs Prefon ou encore de la RAFP (retraite additionnelle de la fonction publique), instaurée en 2005 et à laquelle cotisent près de 5 millions d’entre eux.
Ce recours croissant à des produits de capitalisation individuelle, alimenté par l’incertitude sur l’avenir du système par répartition, contribue à une évolution accélérée des mentalités. « Nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin, tempère Franck Morel. Il faut encore que le corps social l’accepte et surmonte sa crainte de voir la répartition vampirisée par la capitalisation. Et il faut s’accorder sur la manière de mettre en place la capitalisation ».Et puis, prévient-il, « capitalisation ou pas, il ne faut pas évacuer le fait qu’il sera de toute façon nécessaire d’augmenter notre quantité de travail ». De quoi nourrir, peut-être, le prochain débat présidentiel.
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