Le Nouveau Front populaire a fait de cette réforme des retraites son cheval de bataille pour séduire les électeurs. EMMANUEL DUNAND / AFP

Retraites

Revenir sur la réforme contestée de 2023 - un souhait réaffirmé dimanche soir par le Nouveau Front populaire - entraînerait un gouffre financier de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, selon l’Institut Montaigne.

Le Figaro - 8 juillet 2024 - Par Emma Confrère

C’était une mesure phare d’Emmanuel Macron, que le Nouveau Front populaire - arrivé en tête des élections législatives dimanche soir avec 178 députés - veut tout bonnement détricoter... Il y a un an, les premiers décrets d’application de la réforme des retraites entraient en vigueur. Objectif : passer progressivement l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et la durée de cotisation à 43 ans dès 2027. Mais avec la dissolution de l’Assemblée nationale, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national avaient fait de cette réforme un cheval de bataille pour séduire les électeurs. Quitte à faire supporter aux finances publiques un coût colossal, des deux côtés, selon les calculs de l’Institut Montaigne.

Cette promesse, parmi tant d’autres, a permis à l’union de la gauche d'obtenir une majorité relative dans le prochain Hémicycle. Dans son programme, elle propose notamment «d’abroger immédiatement les décrets d’application de la réforme d’Emmanuel Macron» et «d’augmenter le minimum contributif (pension de retraite pour une carrière complète) au niveau du Smic et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté». À cela s’ajoutent la réaffirmation «de l’objectif commun du droit à la retraite à 60 ans» et la prise en compte «du RSA pour valider des trimestres en vue de la retraite». À noter que les calculs de l’Institut Montaigne ne portent que sur le régime de retraite et ne prennent pas en compte les «potentiels effets pour les finances sociales, comme la maladie, le chômage ou l’invalidité».

Un coût annuel de 58 milliards d’euros

Malgré l’absence de précisions du Nouveau Front populaire, notamment sur le nombre d’annuités visées, plusieurs éléments peuvent être estimés à horizon 2027. La réforme de la coalition de gauche et d’extrême gauche représenterait ainsi un coût annuel de l’ordre de 58 milliards d’euros. «Compte tenu de l’ampleur des modifications, une marge de +-15% est fixée pour les scénarios bas et haut, soit respectivement 49 milliards d’euros et 67 milliards d’euros», souligne l’Institut Montaigne.

Dans le détail, l’annulation de la réforme de 2023 coûterait 8,2 milliards d’euros. Le retour sur le recul de l'âge à la retraite de la réforme de 2010 pèserait 27 milliards d’euros en 2027. Un total calculé grâce à la Drees - le service statistique du ministère de la Santé -, qui « a décomposé les différents impacts des réformes». Il faudrait ensuite compter 700 millions d’euros par an pour la revalorisation du minimum vieillesse ou encore 8,4 milliards d’euros pour l’intégration des années de RSA comme des années cotisées. S’ajoute aussi la revalorisation du minimum contributif au niveau du Smic pour des carrières complètes, à 13,9 milliards d’euros, «compte tenu à la fois de la hausse du minimum contributif avec la réforme des retraites de 2023 et de la forte hausse du Smic proposé par ailleurs par le Nouveau Front populaire», indiquent les experts du think tank libéral.

Si le cercle de réflexion ne voit pas d’obstacle juridique à la mise en œuvre de ces mesures, il faudra tout de même faire adopter l’abaissement de l’âge comme «les autres paramètres [...] moins consensuels, notamment en raison de leur coût. En cas de majorité relative, il paraît improbable qu’ils puissent être votés», estime l’Institut Montaigne. Une analyse que réfute l’équipe de campagne du Nouveau front populaire, pour qui «la mesure serait applicable en théorie car intervenant hors du domaine “réservé du Président”. Sa faisabilité politique paraît forte en cas de majorité relative, notamment pour ce qui relève de l’âge légal». Reste à voir les avancées dans les prochaines semaines, alors même que le Nouveau Front populaire a obtenu la majorité relative dimanche.

Un coût un peu moins élevé pour le RN

Du côté du Rassemblement national, les changements avancés par Jordan Bardella sont un peu moins dispendieux. Ils semblent toutefois difficiles à appliquer, notamment avec la troisième place obtenue par le parti. Le Rassemblement national décroche ainsi 142 sièges dans le prochain Hémicycle, contre 156 pour le camp présidentiel. Comme le NFP, Jordan Bardella propose, lui aussi, d’abroger la réforme des retraites du gouvernement et de «mettre en place un système de retraites progressif». «À compter de l’automne, les Français qui ont commencé à travailler avant 20 ans et qui justifient de 40 annuités pourront partir à la retraite dès 60 ans», a annoncé le président du Rassemblement national la semaine dernière sur TF1. L’âge légal de la retraite serait ainsi de 62 ans, avec «un nombre d’annuités allant jusqu’à 42 années de cotisation». La mise en œuvre de cette deuxième partie de réforme serait «déterminée après» un audit des comptes publics.

À horizon 2027, le coût total annuel serait de 34,7 milliards d’euros sur le champ du régime général et jusqu’à 44,7 milliards d’euros si l’on y ajoute l’annulation de la mise en cohérence des régimes complémentaires sur les mesures d’âge du régime général. L’Institut Montaigne a également calculé un scénario bas, à 31,5 milliards d’euros, où seules les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans bénéficieraient de la mesure. Pour expliquer ce «coût important», l’institut met en avant «la proportion importante des personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans dans les générations qui vont partir à la retraite - dans les prochaines années. Ainsi, près de 57 % de la tranche d'âge des personnes nées en 1962 (qui devraient partir à la retraite à partir de 2024 dans le système actuel) ont cotisé pour au moins un trimestre avant leurs 20 ans et seuls 10,5 % à 25 ans ou après.»

Pour l'heure, seuls quelques facteurs de coût pour les finances publiques peuvent être estimés en l'absence de précisions sur d'éventuelles réformes annexes. «En revenant totalement sur les mesures d'âges et de durée de cotisation de 2003, 2010, 2014 pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans, et partiellement pour ceux qui ont commencé à travailler après 20 ans, le coût de la mesure est estimé à 26,5 milliards d'euros», détaille l'Institut Montaigne. L'abrogation de la réforme de 2023 représenterait 8,2 milliards d'euros à échéance 2027, ce qui correspond au rendement des mesures d'augmentation de l'âge légal et de hausse de la durée d'assurance. «Si toutes les dispositions de la réforme de 2023 étaient abrogées, y compris celles favorables aux futurs retraités -ce qui n'a pas été annoncé par le Rassemblement national- le coût de la mesure serait ramené à 6,2 milliards d'euros», complète le think tank libéral.

Des précisions à apporter

Comme le Nouveau Front populaire, les mesures proposées par le Rassemblement national semblent conformes à la Constitution et aux traités européens. Là encore, l’abrogation de la réforme des retraites pourrait être soutenue à l’Assemblée mais «selon certaines dispositions précises de la future mesure, les formations de gauche pourraient ne pas s'y rallier. Étant donné l'opposition a priori du bloc présidentiel et de la droite républicaine, l'abrogation de la réforme pourrait être plus délicate que prévu en cas de majorité relative». C’est pourquoi l’Institut Montaigne se montre prudent sur la faisabilité politique qui «demeure très incertaine, étant donné le flou qui règne encore quant aux paramètres précis de la mesure et aux intentions réelles du Rassemblement National quant à celle-ci, notamment en cas de coalition avec une partie de la droite traditionnelle».

Qu’il s’agisse du Rassemblement national ou du Nouveau Front populaire, il est à noter que le chiffrage de l’Institut Montaigne n’intègre pas la potentielle diminution de l’activité et donc du PIB. Gilbert Cette, président du Conseil d'Orientation des Retraites, estimait notamment que les pertes de recettes fiscales associées à la hausse des pensions pour le seul retour à l'âge légal de 60 ans, pourrait induire un coût annuel pour les finances publiques compris entre 50 milliards d’euros et 120 milliards d’euros. Les externalités positives ne sont pas non plus prises en compte.

Mais pour les deux partis, leur programme n’est pas encore suffisamment précis pour chiffrer définitivement leurs mesures, et connaître leur poids final dans les dépenses du futur gouvernement. Une chose est sûre : alors que le déficit du système des retraites continue de se creuser, malgré la réforme de 2023, l’équilibre budgétaire risque d’être de plus en plus difficile à trouver si les changements récents, adoptés au forceps, sont annulés.