Retraites
En France, un actif sur quatre profite déjà de ce type de régime. Aucun ne s’en plaint. Pourtant, des blocages idéologiques empêchent tout débat sur son extension au plus grand nombre.
L'Opinion - 13 février 2023 - Par Raphaël Legendre
En 1991, Michel Rocard estimait que la réforme des retraites avait « de quoi faire tomber cinq ou six gouvernements dans les prochaines années ». Il s’est trompé. Après les réformes Balladur (1993), Fillon (2003), Woerth (2010) et Touraine (2014), le gouvernement Borne est le cinquième à s’atteler au calfeutrage du système de pension par répartition, et pourrait bien y arriver à nouveau. Et en trente ans, seul le gouvernement Juppé (1995) a échoué.
Mais quelle usure de courir en permanence après l’allongement de la durée de vie ! A chaque réforme son cortège de mobilisations, de blocages. Ainsi, 963 000 personnes étaient à nouveau dans la rue samedi pour dire non à l’allongement de l’âge de départ à 64 ans. Un scénario qui se reproduira en 2030, quand le lointain successeur d’Elisabeth Borne devra remettre l’ouvrage sur le métier alors que près du tiers de la population aura plus de 60 ans. Puis en 2040, quand la population active aura atteint son pic et commencera à décroître (-50 000 personnes par an). Puis en 2045, quand le taux de remplacement aura baissé de 30 %.
« Ne pas toucher à la répartition, c’est assumer la paupérisation des retraités », résume Erwann Tison, directeur des études de l’Institut Sapiens et auteur d’un récent rapport sur les retraites. Le totem du système de retraites par répartition promet de coûter cher aux générations futures. Or, pour l’heure, les seules alternatives posées dans le débat public sont de travailler plus ou de gagner moins une fois à la retraite.
Etonnamment, la troisième voie que représenterait le développement de la retraite par capitalisation collective n’est jamais évoquée. Sauf par La France insoumise, qui comme monsieur Jourdain, l’a défendue en fin de semaine dernière sans le savoir. Durant l’examen de l’article 1 de la réforme qui prévoit la suppression des régimes spéciaux, le député de Haute-Garonne, Hadrien Clouet, a en effet plébiscité avec cœur le régime de la Banque de France. Une caisse « transparente, sincère, autonome, rentable et protectrice », a-t-il dit, visiblement sans comprendre qu’il s’agissait là d’un système par capitalisation adossé à un fonds de pension de quatorze milliards d’euros. « C’est l’horizon du régime général », a-t-il plaidé, pendant que sa camarade, l’eurodéputée LFI Manon Aubry, dénonçait les profits de Total, qui serviront « bien entendu à remplir les poches des actionnaires plutôt qu'à financer nos retraites ». Mais sans dividendes, pas de régime spécial retraite pour la Banque de France.
En France, plus de huit millions d’actifs cotisent déjà à une retraite par capitalisation collective : 3,5 millions de salariés du privé et 4,5 millions de fonctionnaires
« Inégalités ». Ces déclarations contradictoires montrent par l’absurde l’incompréhension qui entoure encore la mécanique de la retraite par capitalisation. Il suffit pourtant de tenir les deux bouts de l’omelette pour comprendre que les résultats des entreprises pourraient permettre d’alléger le poids des cotisations qui repose sur les épaules des travailleurs. Jaurès lui-même défendait la capitalisation ! « Ceux qui font un monstre de la capitalisation commettent une erreur étrange, écrivait-il dans L’Humanité en 1909. La capitalisation, fonctionnant au compte et au profit du prolétariat [...] est, sous les formes que permet le système capitaliste [...], un fragment de socialisation. »
De nombreux pays prospères comme les Pays-Bas ou la Suisse l’ont adoptée avec succès. En Allemagne, le ministre des Finances, Christian Lindner, vient de proposer la création d’un « fonds de capital générationnel » doté chaque année de dix milliards d’euros pendant quinze ans sur le budget fédéral pour faire face à l’affaiblissement du système par répartition.
En France, plus de huit millions d’actifs cotisent déjà à une retraite par capitalisation collective : 3,5 millions de salariés du privé au travers des PER collectifs et des Perco, et 4,5 millions de fonctionnaires cotisant à la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), un fonds de pension de 42 milliards d’euros qui a dégagé 7,9 % de rendement en 2021.
Un actif sur quatre bénéficie donc déjà d’une retraite par capitalisation. Aucun ne s’en plaint. Pourquoi ne pas en faire profiter le plus grand nombre? « Passer de la capitalisation privée à une capitalisation collective permettrait de limiter les inégalités patrimoniales avec une association de tous aux plus-values du capital. Tout le monde deviendrait actionnaire, pour une vraie génération du partage de la valeur », soulignent Cécile Philippe et Nicolas Marques de l’Institut Molinari.
La principale difficulté est de gérer la période de transition durant laquelle il faut continuer de payer les pensions des retraités tout en épargnant pour sa propre retraite
« Amorcer la pompe ». La principale difficulté est de gérer la période de transition durant laquelle il faut continuer de payer les pensions des retraités tout en épargnant pour sa propre retraite. Car pour constituer une rente, il faut du capital, beaucoup de capital. Les 150 milliards du fonds intergénérationnel allemand ne devraient par exemple rapporter que 3,5 milliards d’euros par an dans quinze ans. C’est 1 % des pensions françaises. Il faudra donc des années pour y arriver. Autant s’y préparer tout de suite.
Des voies et moyens existent. En augmentant le taux d’emploi du pays comme le prévoit la réforme actuelle, les recettes du régime complémentaire du privé Agirc-Arrco auraient gonflé de 2,6 milliards en 2021. « Pourquoi ne pas utiliser ces excédents pour amorcer la pompe d’une petite dose de retraites par capitalisation ? », interroge un responsable patronal en vue. Autre solution avancée par l’Institut Molinari : créer une nouvelle contribution d’environ 1 % du salaire brut en contrepartie de baisses de CSG et des impôts de production assis sur la masse salariale.
Troisième piste de l’Institut Sapiens : entre l’augmentation des actifs due à la baisse du chômage et la disparition d’une partie des enfants du baby-boom, un surcroît de cotisations de l’ordre d’un point de PIB (25 milliards) pourrait être dégagé dans l’avenir pour constituer un fonds. Cet argent rapporterait entre 5 % et 8 % de rendement par an contre zéro pour la répartition et pourrait aider à financer la transition énergétique et environnementale. Preuve de l’efficacité du système : « Les Pays-Bas qui ont mis en place deux piliers capitalisation ne dépensent que 7 % de leur PIB en retraites contre 14 % en France et disposent d’un taux de remplacement (montant de la pension par rapport au dernier salaire) supérieur de 30 % à celui des retraités français », indique Erwan Tison.
A l’exception notable de Philippe Juvin, ils sont pourtant bien peu dans les rangs de l’Assemblée nationale à défendre les vertus de la retraite par capitalisation ces derniers jours. « Ce n’est pas le sujet de cette réforme », se contente-t-on de balayer au sommet de l’Etat.
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