Dissolution
Le chef de l'État prend le risque de confier demain les rênes du pouvoir au parti dont il avait promis d'endiguer la progression ! Cette décision inouïe est pour le pays, un saut dans l'inconnu, dont les conséquences sont incalculables.
Le Figaro - 9 juin 2024 - Par Alexis Brezet, directeur des rédactions du «Figaro».
Le séisme était attendu, la réplique semblait impensable. En réponse à une défaite cinglante qui a pour lui toutes les apparences d'une humiliation, Emmanuel Macron décide de faire tapis ! Au soir d'un scrutin européen, à une semaine de l'Euro de football, à un mois et demi des Jeux olympiques de Paris, il ajoute à la crise politique ouverte par la victoire historique du Rassemblement national une crise institutionnelle en prononçant contre toute attente la dissolution de l'Assemblée.
C'est ce que demandait depuis des semaines Jordan Bardella. C'est ce qu'Emmanuel Macron avait toujours refusé en expliquant : « À élection européenne, conséquences européennes. » En faisant droit, tout à coup, à l'exigence de ses adversaires, le chef de l'État prend le risque de confier demain les rênes du pouvoir au parti dont il avait promis d'endiguer la progression ! Destinée à contredire l'obsédante évidence d'une présidence empêchée, cette décision inouïe est pour le pays, un saut dans l'inconnu, dont les conséquences sont incalculables.
Le chef de l'État fait sans doute le calcul que les électeurs, en quelque sorte effrayés par leur audace et par l'onde de choc que leur choix collectif vient de provoquer, vont corriger aux législatives le vote qu'ils viennent d'exprimer aux européennes. Persuadé, en dépit de tout, qu'il conserve un lien personnel avec les Français, il espère, en dramatisant l'enjeu et en faisant lui-même campagne, rétablir la situation et - peut-être à la faveur de nouvelles alliances - retrouver une majorité.
Mais rien ne dit qu'il en ira ainsi ! La progression du Rassemblement national n'est pas un accident : elle traduit une colère qui vient de loin, qui désormais déferle sur l'Europe entière, et qui se nourrit, pour l'essentiel, d'une double inquiétude : les risques qu'une immigration incontrôlée fait peser sur l'équilibre de nos sociétés, la menace que l'islam politique fait planer sur l'avenir de notre civilisation. Emmanuel Macron aura beau sonner le tocsin, battre le rappel - une fois de plus ! - des bons « Républicains » contre les méchants « extrémistes », il est peu probable que cette angoisse-là recule d'ici au mois de juin.
Quant à la capacité du président de la République - car c'est lui, n'en doutons pas, qui mènera la campagne - à emporter l'adhésion, le moins que l'on puisse dire est que le précédent des européennes n'est pas particulièrement rassurant. En ces temps où l'antimacronisme est la passion la mieux partagée de France, le risque est grand que le chef de l'État galvanise les énergies, certes, mais contre lui ! Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, que fera Emmanuel Macron s'il est contraint de remettre à Jordan Bardella les clés de Matignon ? Pourra-t-il résister aux pressions venues de toutes parts pour l'appeler à la démission ? On ne fera pas grief au président de la République de rendre la parole au peuple, mais, force est de constater qu'il joue sur un coup de dés son avenir, et celui de la France.
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