Tribune
L’un a gagné les élections et l’autre a rendu l’espoir à son camp : Keir Starmer et Kamala Harris ont remis en selle la gauche dans leurs pays respectifs. Comment ? En faisant le contraire de la gauche française.
leJournal.info - 8 août 2024 - Par Laurent Joffrin
Le Parti démocrate se reprend à espérer : sa candidate, Kamala Harris, vice-présidente de Joe Biden, a suscité une immense ferveur dans le camp progressiste américain ; elle vient de choisir un colistier, Tim Walz, dont l’itinéraire politique, la bonhommie et le talent oratoire sont en passe de le rendre tout aussi populaire. Dès lors les sondages ont remis la gauche américaine à égalité avec les Républicains maraboutés par Donald Trump, qui cherche maintenant un angle d’attaque. Pour bloquer cette redoutable contre-offensive l’ancien président se cantonne, comme à son habitude, dans l’insulte raciste et le mensonge permanent.
Pour opérer ce rétablissement spectaculaire, Harris a-t-elle donné des gages aux radicaux de son parti ? En aucune manière. Loin de jouer sur les ressentiments et les frustrations du peuple américain, elle joue l’espoir, l’avenir, et use d’un style ouvert, joyeux, optimiste qui rappelle le meilleur Obama. Quoiqu’issue d’une minorité (mixte au demeurant : elle est à la fois, selon les dénominations américaines, d’origine noire et indienne) elle refuse de se présenter autrement qu’en patriote universaliste, loin de tout communautarisme, attachée au « rêve américain », et s’en tient à un discours humaniste qui la place au centre du parti ; elle s’est enfin adjoint les services du gouverneur du Minnesota, un potentiel vice-président connu pour son attachement aux compromis politiques et à la cause des classes moyennes. Pour battre Trump, qui semblait promis à une victoire inéluctable après l’attentat dirigé contre lui et qui bénéficie du soutien fanatique de sa base, elle sait qu’elle doit convaincre les électeurs centristes et donc tenir le discours de la responsabilité et de la tolérance.
Keir Starmer, chef du Parti travailliste britannique, a écrasé les conservateurs au pouvoir depuis 14 ans. En radicalisant le parti ? C’est tout le contraire. Pour rendre son crédit au Labour, il a rejeté dans la minorité Jeremy Corbyn, leader de l’aile gauche, connu pour son discours radical et ses ambiguïtés avec l’antisémitisme qui s’infiltrait dans le parti. Battu dans la compétition interne, Corbyn a même dû quitter la formation travailliste. Austère, décidé, responsable, Starmer a mené son parti à la victoire en défendant un programme prudent et réaliste et en prévoyant de se rapprocher de l’Union européenne (sans remettre en cause le Brexit). Il a ainsi obtenu une très large majorité contre le Premier ministre Rishi Sunak, qui ne cessait de donner des gages à l’aile droite des conservateurs.
Pétrie de certitudes, la gauche française s’en tient à un « programme de rupture » et à un discours agressif excluant tout compris. Elle dira bien sûr que les situations dans les trois pays, France, Grande-Bretagne et États-Unis n’ont rien à voir. Dans un sens, elle n’a pas tort : à Londres et à Washington, la gauche gouverne ; en France, elle végète dans l’opposition depuis sept ans, stagnant à un niveau électoral historiquement bas. Ce qui la met en bonne position pour donner des leçons…
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