
Editorial
Par ses saillies incessantes destinées à entretenir sa notoriété, l’écologiste radicale dessert avec application la cause de l’écologie.
LeJournal.info - 22 juillet 2025 - Par Laurent Joffrin
Comment peut-on dire des choses aussi bêtes ? Interrogée sur la loi Duplomb qui prévoit la réintroduction du néonicotinoïde acétamipride, fortement contesté mais que beaucoup d’agriculteurs estiment nécessaire à l’équilibre économique de leur exploitation, la députée de Paris répond élégamment : « la rentabilité, j’en n’ai rien à péter ».
Elle veut dire par là que les impératifs de santé publique doivent l’emporter sur les considérations économiques. L’aurait-elle dit ainsi que l’argument se serait fort bien entendu. Mais bien sûr, cette formulation rationnelle n’aurait engendré qu’un buzz médiatique modéré, voire nul, bien en deçà des ambitions communicantes de l’intéressée. La mauvaise monnaie chasse la bonne sur les réseaux, et dans ce monde de l’invective gratuite, une courte insulte vaut mieux qu’une argumentation sérieuse.
Argumentons, donc. Par sa sortie méprisante, Sandrine Rousseau attire l’attention du public. Mais en proclamant que les agriculteurs qui cherchent à équilibrer leurs comptes sont des empoisonneurs, elle remplace le débat par la caricature. Tous, en effet, n’appartiennent pas au monde honni de l’agro-business avide de profit, loin de là. S’ils usent de produits chimiques pour prévenir la destruction de leur récolte par tel ou tel insecte vorace, c’est souvent pour maintenir à flot leur exploitation, laquelle leur procure un maigre revenu en échange d’un nombre d’heures de travail digne des romans d’Émile Zola.
On dira que la survie de ces fermes en difficulté ne saurait justifier qu’on menace la santé des Français. C’est là que tout se complique. Quelle est la dangerosité exacte de l’acétamipride ? Impossible de répondre à la question d’un revers de main ou d’un tweet vengeur sur le réseau X. Ni même à l’aide d’une pétition, serait-elle signée par des millions de personnes. Ce n’est pas le nombre qui fait la vérité.
L’EFSA, l’organisme consultatif qui juge par ses avis circonstanciés de la sûreté des productions alimentaires, composée d’experts connus et reconnus, a autorisé ce néonicotinoïde dans toute l’Europe jusqu’en 2033. Serait-ce une bande d’empoisonneurs corrompus par les lobbies agricoles ? Son homologue français, l’ANSES, a fait de même. Cette agence officielle réunirait-elle un aréopage d’émules de Marie Besnard, l’empoisonneuse de Loudun, ou de l’empereur Néron, qui assassina de cette manière le pauvre Britannicus ?
Mais à l’inverse, l’EFSA, par exemple, a dû se séparer de certains de ses membres convaincus de conflit d’intérêt avec l’agrobusiness. Aussi bien, le lobby paysan, qui recule rarement devant l’emploi de moyens expéditifs, exerce une pression militante, morale et électorale sur beaucoup d’élus, en France et dans les autres pays européens. À cet égard, ses méthodes n’ont rien à envier, au contraire, à celles des écologistes qu’on accuse à son de trompe de manipulation de l’opinion et d’activisme excessif.
Un certain nombre d’experts, qui peuvent exciper eux aussi d’une compétence impeccable, se posent en lanceurs d’alerte, présentent des études inquiétantes sur les effets de l’acétamipride sur les insectes (et donc sur la biodiversité), sur les mammifères et affirment qu’elle a des conséquences néfastes sur la fertilité humaine ou sur le développement des enfants. Quant à son influence sur le cancer, les preuves sont quasi inexistantes, mais les associations spécialisées (l’ARC ou la Ligue nationale de lutte contre le cancer) tirent la sonnette d’alarme.
Ce qui relativise, pour le moins, la rhétorique enflammée qu’on observe des deux côtés. À ce stade, on peut affirmer sans trop de risque que la substance incriminée est moins dangereuse que ce qu’en disent ses adversaires. Mais aussi qu’une application stricte du principe de précaution devrait conduire à une interdiction progressive de l’acétamipride, compte tenu des doutes émis par nombre de scientifiques.
Reste la question que Sandrine Rousseau évacue avec une superbe condescendante et dogmatique : le sort des agriculteurs dans cette bataille. Ils souhaitent vivre correctement de leur travail, lequel favorise la souveraineté alimentaire du pays et l’entretien des paysages français. Et si certains, plus industrieux ou plus chanceux, engrangent honnêtement des profits, au nom de quoi faudrait-il se gendarmer, seraient-ils membre de l’agrobusiness ? Beaucoup d’agriculteurs soulèvent également le risque de concurrence déloyale, dans la mesure où les paysans français voient arriver en France des aliments exemptés des normes qu’ils doivent supporter. Ont-ils tort ?
C’est l’hostilité de principe à l’économie de marché qui anime Sandrine Rousseau, militante radicale recyclant dans l’écologie l’éternel anticapitalisme de l’extrême-gauche. Derrière le combat pour ou contre l’acétamipride se cache le vrai problème du monde paysan : un revenu moyen insuffisant. Plutôt que les insulter, la pasionaria écologiste ferait bien de proposer des solutions crédibles pour y remédier. Mais c’est évidemment plus difficile que de pondre des tweets à longueur de journée.
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