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Tribune
Quand les mots soufflent fort...
Saines lectures - 19 février 2025 - par Romain Marsily
Hier, 19 février.
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Nomination d’un ultra proche du président de la République (sans légitimité autre) à la plus haute juridiction, avec la bénédiction du RN
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Confirmation de la suppression de la première chaîne, privée, de la TNT par une autorité administrative.
Pente très dangereuse...
En attendant de voir où tout cela nous mènera, décryptage de quelques éléments qui m’ont marqué et intéressé cette semaine.
Quand Vance nous Tance
Nous l’avions presque oublié après les quatre années fantomatiques à la Maison Blanche de Mike Pence puis celles de Kamala Harris, qui lui ont également coûté l’élection : le vice-président américain peut avoir une parole forte et une action politique significative. Sans remonter à John Adams, Thomas Jefferson ou Aaron Burr (ce dernier ayant même retrouvé une sombre renommée avec la comédie musicale Hamilton) souvenons-nous de l’activisme écologique d’Al Gore, Veep de Bill Clinton, ou bien du savoir-faire politique de Dick Cheney (George W. Bush) et de Joe Biden (Barack Obama).
Toutefois, de mémoire récente, rarement un discours de Vice-Président aura autant fait parler en Europe que celui prononcé à la Conférence de Munich sur la sécurité par James David, dit JD, Vance, VP de Donald Trump et personnalité dont nous n’avons pas fini d’entendre parler.
Remarquable de clarté rhétorique, ce discours a provoqué de vives réactions en Europe, excitant les démagogues ou exaltant l’anti-américanisme primaire chic certes, mais clivant également au sein même de sphères libérales et atlantistes.
Pour aller au-delà de l’écume médiatique et des réflexes pavloviens, je ne saurais que conseiller la lecture in extenso de ce discours important.
Je conseille également les différentes analyses, parfois contradictoires entre elles, de cette “Tornade Trump” en Europe qu’ont pu produire Jérémie Gallon (“Donald Trump, miroir des faiblesses, des lâchetés et des erreurs stratégiques de l’Europe” dans Le Figaro), Gaspard Koenig (“Conférence de Munich : Tocqueville contre J.D. Vance” dans Les Echos) ou Alexis Karklins-Marchay dans ce très bon post sur X. J’ai trouvé dans chacune d’elles des éléments très justes reflétant bien mes sentiments contrastés.
Aussi désagréable et humiliant que le discours de Vance puisse être pour nous Européens, aussi contestable qu’il puisse sembler tant dans le timing que dans le fond (il peut être en effet risible de se voir donner ces leçons de liberté d’expression au moment où l’Associated Press est exclue de la Maison Blanche car elle s’obstine à parler de Golfe du Mexique…), nous aurions bien tort d’y répondre par l’anathème ou le mépris.
En effet, ce discours, indépendamment de son émetteur, touche des points très justes.
Oui, certaines libertés fondamentales sont en recul en Europe, à commencer par la liberté d’expression. Comme déjà mentionné ici, nous connaissons une inflation de normes aussi moralisatrices que liberticides qui remettent en cause l’un de droit naturel et imprescriptible. Pour rappel, article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (la seule), “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.” Ces remises en cause se font par ailleurs dans le silence le plus total. Par déformation professionnelle, j’avais alerté il y a quelques mois, dans une tribune pour Contrepoints, sur le danger du mal nommé European Media Freedom Act. De tels exemples sont légions, et JD Vance en mentionne quelques-uns, même s’il ne cite pas toujours les plus pertinents.
Oui, notre continent fait face à une grave remise en cause de son principe censé être directeur depuis les Lumières, la démocratie libérale. Des choix cruciaux, civilisationnels, ont été effectués sans consulter le peuple, voire en le niant. Des résultats de référendum ont été ignorés, enjambés ou contredits. Une technocratie au pouvoir, à Paris comme à Bruxelles, nous enferme, par sa passion des règlementations et une vision momifiée de l’état de droit, dans la stagnation économique et le délitement civique, le tout avec une légitimité démocratique de plus en plus ténue. Plus largement, pour des raisons qu’il serait trop long de détailler dans ce billet, nos démocraties font face à une gigantesque crise de l’exécution, qui se traduit par notre incapacité à maîtriser nos frontières comme par le délitement de certains services publics.
Certes, quand nous nous comparons, nous pouvons parfois nous rassurer, mais ne pas s’apercevoir que nous sommes sur une très mauvaise pente démocratique comme économique constituerait un profond aveuglement.
Plus généralement enfin, comme le souligne mon ami Jérémie Gallon dans l’article mentionné plus haut : “depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, toutes les décisions prises par le président américain ont un point commun : elles nous renvoient, en tant que Français et Européens, à nos faiblesses, à nos lâchetés et à nos erreurs stratégiques.”
Le discours de JD Vance peut être considéré comme important car 1/ il rappelle quelques vérités sur la démocratie, mais surtout 2/ car il doit inciter à nous réveiller, nous Européens, et à enfin comprendre le nouvel état du monde.
Comme évoqué il y a quelques semaines ici même dans un billet faisant allusion à Régis Debray, derrière certaines extravagances de Donald Trump nous retrouvons une logique impériale (ce mot ne constituant pas une insulte pour moi…) qui, à quelques nuances près, se retrouve dans les administrations américaines successives. Cette logique, quelle est-elle ? Résumons-la de manière abrupte :
1/ Hyperpuissance depuis 1945, les Etats-Unis possèdent une crainte - légitime - de déclassement politique, économique, industriel, ainsi que, loin de se laisser abattre ou envahi par du nihilisme, une puissante volonté de conserver leur leadership.
2/ La principale menace identifiée contre ce leadership, et donc contre la prospérité et la liberté des Américains, est incarnée par la Chine, et dans une moindre par un Sud Global (avec toutes les limites que cette appellation comporte) mené par la Chine via son activisme en Afrique, dans le Pacifique, et même en Amérique Latine.
3/ En conséquence, le principe majeur - le fil rouge - de la politique américaine en cette première moitié de XXIe siècle est de contrer vigoureusement cette menace chinoise, et tout ce qu’elle induit en matière d’accès aux ressources naturelles, d’alliances stratégiques, militaires et commerciales.
De cette logique découlent le pivot américain vers l’Indo-Pacifique théorisé par Barack Obama dès 2012 ou encore l’Inflation Reduction Act de Joe Biden en 2022. Si Donald Trump n’a guère remis en cause ces orientations, lui et ceux qui l’entourent insistent également sur ce qu’ils considèrent comme une autre nécessité stratégique, celle de découpler la Russie de la Chine. Là encore, le mouvement paraît rationnel : une mainmise de la Chine sur les ressources russes renforcerait la menace chinoise, et une alliance renforcée entre ces deux puissances serait dangereuse, quand bien même elles seront naturellement enclines à s’affronter de nouveau un jour lointain.
Il faut donc, selon cette logique, réintégrer la Russie dans le giron occidental, quels qu’en soient les accommodements “raisonnables”, qui peuvent être l’intégrité du territoire ukrainien, ou pire demain peut-être, les pays Baltes.
Nos enjeux européens étant différents, cette logique de nos alliés américains ne peut pas être complètement la nôtre. Encore faudrait-il que nous ayons la puissance et la crédibilité d’en imposer une autre.
Or, depuis des années, et notamment depuis le pivot vers le Pacifique exprimé si clairement par le Président Obama, qu’avons-nous fait en Europe pour construire un rapport de force favorable ? Quelles conséquences avons-nous tiré des évolutions de la doctrine américaine ? Nous avons sapé les fondements de notre prospérité. Nous avons proscrit toute volonté de puissance, y compris militaire. Nous avons refusé de renforcer notre marché commun. Nous avons oublié de réfléchir à de meilleurs processus de décision, respectueux des peuples. En revanche, nous nous sommes enfermés dans un cocktail constitué de normes, de règlementations, de taxes, de moraline et de repentance.
Il est temps de radicalement changer. Puisse l’humiliant discours de JD Vance participer à ce réveil en nous obligeant à poser un diagnostic lucide et à entreprendre des réformes structurelles, avant qu’il ne soit vraiment trop tard.https://romainmarsily.substack.com/p/jd-vance-et-nous-boualem-sansal-alain?utm_source=substack&utm_medium=email&utm_content=share&action=share&token=eyJ1c2VyX2lkIjoxNzk2NjEyMjcsInBvc3RfaWQiOjE1NzQ2OTAzMiwiaWF0IjoxNzQwMjE1MjIxLCJleHAiOjE3NDI4MDcyMjEsImlzcyI6InB1Yi0yNzEwOTkyIiwic3ViIjoicG9zdC1yZWFjdGlvbiJ9.Emmq8vezOXp3doS2Nq6rtOSrAqoVE_7CuCwVHMSVdnE","text":"Partager","action":null,"class":null}" data-component-name="ButtonCreateButton">Partager
Boualem Sansal, l’honneur de la France
À propos de principes et de volonté de puissance… Il y a des hommes qui, par leur engagement, leur courage et leur intransigeance face à la servitude, incarnent l’honneur d’un pays mieux que bien des institutions officielles. Boualem Sansal est de ceux-là. Il l’a encore démontré ces derniers jours en refusant l’injonction de sbires du régime algérien de choisir un avocat “non juif”. L’honneur de la France, aujourd’hui, serait donc de le défendre vigoureusement.
Depuis plus de trois mois, ce grand écrivain, figure de la littérature francophone et défenseur inlassable de la liberté d’expression, est incarcéré en Algérie. Son crime ? Écrire, en français, sur la France et sur l’Algérie, avec cette lucidité qui dérange les régimes autoritaires comme les fanatiques. Son arrestation relève du pur arbitraire. Son maintien en détention s’inscrit dans la longue tradition des régimes qui, par haine de la vérité, répriment ceux qui la disent.
Face à cela, que fait la France ? Silence poli, diplomatie de l’ombre, prudence calculée. Comme si l’indignation risquait de froisser le régime d’Alger. Mais comment ne pas voir que ce silence, loin de protéger Boualem Sansal, l’enferme davantage ? Comment tolérer que qu’un citoyen français soit ainsi pris en otage par un pouvoir qui cherche à humilier la France à travers lui ?
Il y a pourtant des leviers d’action, et ils sont nombreux. Comme le rappelle le comité de soutien à Boualem Sansal, fondé par Arnaud Benedetti, dans une lettre ouverte au président de la République parue dans Le Figaro, plusieurs mesures peuvent être prises :
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Dénoncer l’échange de lettres de 2007 entre Bernard Kouchner et Mourad Medelci, qui accorde une exonération de visas aux détenteurs algériens de passeports diplomatiques. Un privilège dont l’Algérie bénéficie alors qu’elle bafoue les droits fondamentaux.
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Remettre en cause le régime migratoire spécifique accordé par l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui donne aux ressortissants algériens des facilités d’entrée et de séjour en France. Suspendre cet accord ou le renégocier constituerait un levier de pression immédiat.
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Hausser le ton diplomatiquement et médiatiquement, en mettant l’affaire Boualem Sansal au premier plan des relations franco-algériennes, au lieu de s’abriter derrière une diplomatie feutrée qui ne donne aucun résultat.
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Réaffirmer publiquement la nationalité française de Boualem Sansal, alors que le régime algérien refuse de le reconnaître comme tel et empêche l’ambassadeur de France à Alger de lui rendre visite. Il est un citoyen français et doit bénéficier de la protection pleine et entière de la République.
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Exercer des pressions économiques et politiques sur l’Algérie, en rappelant que la France détient des leviers pour rééquilibrer une relation diplomatique qui s’est trop souvent faite à sens unique.
J’ajouterai à ceci le poids que pourrait avoir l’Union Européenne si elle le souhaitait, en redéfinissant par exemple de nombreux tarifs douaniers vis à vis de l’Algérie.
L’heure n’est plus aux demi-mesures. Boualem Sansal est un citoyen français. Il doit être défendu comme tel. Si la France ne défend pas ses ressortissants, si elle accepte qu’un de ses grands intellectuels soit sacrifié sur l’autel de relations diplomatiques empoisonnées, alors qu’a-t-elle encore à défendre ?
L’affaire Boualem Sansal, au-delà de son sort individuel, engage ce que nous sommes. Elle est un test. De notre capacité à défendre nos valeurs. De notre fidélité à ceux qui ont fait le choix de la liberté et qui en paient aujourd’hui le prix.
L’honneur de la France est en jeu. Qu’elle en soit digne.
Alain Caradeuc et la Cariatide en chute libre
Alain Caradeuc fait partie de ces rencontres inattendues qui finissent par s’imposer naturellement. Nous sommes presque voisins et, sans surprise, nos pas ainsi que des amitiés communes nous ont conduits aux mêmes tables du Café de la Mairie, ce lieu discret mais essentiel du 6e arrondissement.
Si le quartier connaît ses figures, Alain en est assurément une. Son long parcours, entre mode, luxe et design, témoigne d’un goût affûté pour l’élégance et d’un attachement sincère au rayonnement de Paris et de ses savoir-faire. Avec Les Lumières de Paris, association dont il est un pilier, il milite activement pour la préservation et la mise en valeur des métiers d’art qui font l’âme de la capitale.
Lors de cette aventure originale que fut ma campagne électorale, il m’a fait l’amitié d’un soutien actif, et au fil des conversations, nous n’avons cessé de nous trouver des affinités. Mais je ne pensais pas le voir s’essayer à la littérature. Son premier roman, Mort d’une Cariatide, paru il y a quelques jours, est pourtant une très belle réussite.
Pourquoi ai-je apprécié ce livre ? Parce qu’il conjugue deux dimensions que j’aime retrouver en littérature, et dans la fiction en général : un ton picaresque et une trame politique. Un roman qui, tout en nous entraînant dans une aventure haletante et parfois délirante, nous fait ressentir le grand courant du monde. Autrement dit : quand un couillon rencontre le Zeitgeist.
Mort d’une Cariatide présente cette caractéristique. Son antihéros, dépassé par les événements, rappelle un Fabrice à Waterloo transposé dans le Proche-Orient compliqué. Pris dans un tourbillon qui le dépasse, il tente d’y échapper ou de s’y adapter furtivement, souvent maladroitement, accompagné d’un personnage féminin aussi étrange que remarquable.
C’est un livre qui se lit d’une traite, un véritable page-turner, mais qui, en tourant la dernière page, laisse aussi une empreinte durable. Une réflexion sur l’époque, sur ses tensions et ses illusions, sur l’art de survivre dans des univers en ruine.
Je vous recommande vivement Mort d’une Cariatide.
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