
Tribune
« La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force » Paul Valéry.
Singalliance - 4 avril 2025 - Par Bruno Desgardins, CIO, Switzerland*
Trump, avant d’engager sa guerre commerciale contre les alliés traditionnels de l’Amérique et le reste du monde aurait été avisé de méditer ce sage propos de Paul Valéry car il se méprend et va affaiblir l’Amérique.
Si Biden a oeuvré pour la puissance américaine avec des plans en faveur des infrastructures, des semi-conducteurs (supprimé par Trump) et de la réindustrialisation.
Si la croissance américaine depuis 2008 a pu être supérieure à celle des autres grandes puissances, en Europe, au Japon ou dans certains pays d’Asie du Sud-Est.
Si l’Amérique, ces vingt dernières années, a pu conquérir des positions oligopolistiques dans plusieurs segments de la tech.
Si la puissance militaire américaine, un budget de près de $900 milliards, soit près de la moitié des dépenses mondiales, est incomparable.
Trump, derrière un discours pro-business, détruit l’ordre libéral international structuré par les Etats-Unis en 1945 autour du FMI, du GATT devenu OMC et de l’OTAN.
Il affaiblit l’Amérique dans ses différentes dimensions, politique, économique, commerciale, diplomatique… Dans cette Lettre 124, nous dressons la liste de 17 signes d’affaiblissement des Etats-Unis sous la férule de Trump. Chacun de ces points pourrait faire l’objet d’une note exhaustive mais nous privilégions ici une synthèse pour offrir une vue d’ensemble.
Sous l’angle politique :
Trump fragilise sa base électorale. Après la majoration des droits de douane et les mesures de représailles décidées par les Chinois, les Canadiens ou les Mexicains, et d’autres encore prochainement, l’inquiétude des agriculteurs américains est manifeste. Ne l’oublions pas, 40% des exportations américaines de maïs sont à destination du Mexique et 50% des exportations de soja sont à destination de la Chine et la viande américaine vendue au Canada va devoir supporter des taxes de 25% et les cours du soja, du maïs, du blé, cette année baissent. Cela tombe mal pour Trump car les Etats du Midwest, Iowa notamment, sont à majorité Républicaine.
Sous l’angle diplomatique :
Trump affaiblit la position des Etats-Unis dans le monde car il abime cent ans de relations de confiance avec ses alliés européens ou asiatiques. Sans doute, beaucoup ont abusé de ce parapluie américain mais, dans un monde plus conflictuel, il eut été plus opportun de consolider le front occidental.
Voter aux côtés de la Russie et de la Corée du Nord à l’ONU contre les Européens alors que la Chine s’est abstenue est un geste de divorce. Imaginer décrocher la Russie de la Chine relève de la naïveté. Au Mexique, la présidente, de gauche, Madame Shenbaum, éloignée des positions idéologiques de Trump, avec 80% de soutien dans les sondages, n’a jamais eu une cote aussi élevée car elle apparait comme un rempart à Trump.
Sous l’angle économique, la stagflation menace et 4 points peuvent l’attester :
La confiance des consommateurs, 70% du PIB, est tombée au plus bas des 12 dernières années (indice du Conference Board et indice de l’Université de Michigan).
La consommation en janvier a baissé pour la première fois en 18 mois et a stagné en février. L’indice PMI révèle une forte baisse des commandes et un ralentissement prochain.
La baisse des taux longs aux Etats-Unis, à moins de 4%, contre 4.57% en début d’année, corrobore cette vue.
Les inscriptions au chômage et le taux de chômage augmentent, l’appréhension de l’inflation est générale.
Ajoutons un 5ème point, les coupes dans le budget fédéral, 17% de la croissance, car elles devraient affaiblir la croissance. Ce n’est pas un hasard si l’administration Trump réfléchit à changer le mode de calcul du PIB, c’est-à-dire à exclure les dépenses publiques !!
Sous l'angle industriel :
Trump se leurre. Il n'a aucune chance de recréer les 6 millions d’emplois perdus depuis la fin des années 1990 voire les 8.5 millions supprimés depuis le pic historique de 1979, alors à 19.5 millions.
Durant le premier mandat de Trump, seulement 400 000 emplois manufacturiers avaient pu être créés et, sous Biden, en dépit de l’IRA, seulement 110 000.
Le recul de l’emploi manufacturier n’est pas spécifique aux Etats-Unis mais ces 30 dernières années a affecté la majorité des grands pays car il résulte de l’automatisation, des gains de productivité et de la concurrence chinoise.
Croire à une réindustrialisation est une illusion car les Etats-Unis n’ont ni la main-d’oeuvre disponible, ni les infrastructures pour mener à bien cette entreprise. On l’a vu sous le premier mandat de Trump et on a vu la modestie de créations d’emplois dans l’industrie sous Biden en dépit de son généreux plan IRA.
Sous l’angle commercial :
Il est chimérique d’imaginer une résorption du déficit commercial américain, $1200 milliards, grâce à l’action des droits de douane. On l’a vu sous le premier mandat de Trump. Et, les derniers chiffres publiés en décembre, $123 milliards, et en janvier, $153 milliards, montrent un déficit record dans l’histoire des Etats-Unis car beaucoup de sociétés américaines, affolées par la perspective de hausses des tarifs, ont constitué des stocks de précaution.
Sous l’angle du pouvoir d’achat, identifions 4 catégories de perdants :
Les premières victimes des droits de douane sont les consommateurs américains car les droits sont inflationnistes et car 37% des biens consommés aux Etats-Unis sont importés, 40% même pour les véhicules motorisés, 70% pour les ordinateurs, 40% pour les produits chimiques.
Autres victimes des droits, les classes moyennes : ambitionner de financer les baisses de l’impôt sur le revenu par les droits de douane, c’est organiser un transfert des plus pauvres vers les plus aisés car, beaucoup de pauvres ou de membres de la classe moyenne paient pas ou peu d’impôt sur le revenu et, en revanche, tous paieront plus les produits importés, exemple, les fruits et légumes importés à 50% du Mexique et le pétrole importé car 60% provient du Canada…
Autres perdants, les retraités, car les $42000 milliards d’épargne retraite des Américains sont majoritairement placés en Bourse et donc amputés par le recul de la Bourse.
Enfin, une baisse des dépenses fédérales en faveur de Medicaid est probable, auquel cas, plus de 70 millions parmi les plus pauvres, en seront les victimes.
Sous l’angle des entreprises, 4 remarques :
Taxer les importations en provenance du Mexique et du Canada à 25%, c’est renchérir le prix des voitures mais surtout casser le système de sous-traitance organisé ces 50 dernières années par les entreprises américaines pour optimiser leurs structures de coûts. Exemple topique, l’automobile. Entre les 2 millions de voitures importées du Mexique, et les 700 000 du Canada, 20% des immatriculations américaines sont renchéries. Ce sont souvent des Ford, des GM (840 000 du Mexique, 150 000 du Canada), des Stellantis. Et, encore, faut-il ajouter les composants importés.
Taxer les importations, c’est également renchérir le coût de construction des maisons car beaucoup de matériaux sont importés du Mexique.
Egalement, vouloir couper les budgets pour la recherche publique aura un impact négatif sur les gains de productivité du pays, donc sa croissance future.
Enfin, les errements de l’administration américaine, un jour, une décision, le lendemain, sa suspension, sont autant de freins à des prises de décision d’investissements par les entreprises. On peut imaginer des firmes multinationales industrielles vouloir s’installer au Mexique pour aborder le marché américain mais pas à n’importe quelles conditions.
Sous l’angle budgétaire :
Les coupes initiées par Musk sans discernement ne permettront même pas de réduire le déficit budgétaire.
Sous l’angle de l’endettement public :
Il est illusoire d’imaginer financer les baisses d’impôt, $4500 milliards, par une majoration des droits de douane. Les droits de douane actuels apportent $100 milliards de recettes et donc leur augmentation sur $1500 milliards d’importations ne pourra en aucun cas financer les baisses d’impôts décidées par Trump et ce d’autant plus que les hausses de droits vont décourager les importations.
Sous l’angle monétaire :
L’analyse de Trump, l’idée d’une surévaluation du $ pénalisante pour la compétitivité américaine et explicable par la demande internationale de $, ne tient pas. L’achat de $ n’est autre que le recyclage d’une partie de l’épargne internationale dans le financement de la dette américaine, donc la possibilité pour l’économie américaine de vivre à crédit.
Le rôle du $ sera affaibli car beaucoup de pays fâchés de la perte de l’appui militaire américain seront incités à se distancer de ce privilège impérial américain, en vigueur depuis 1945.
Sous l’angle de l’emploi :
Un chiffre cité par le WSJ résume la situation. En 2018, Trump avait créé des taxes sur les machines à laver pour essayer de ramener les usines aux Etats-Unis. Bilan, seulement 1800 emplois créés et un coût pour les consommateurs de $1.5 milliards, soit l’équivalent de $800 000/emploi.
Sous l’angle du soft power :
Supprimer les $44 milliards de budget de l’USAID, c’est une goutte d’eau rapportée au PIB américain supérieur à $27 000 milliards, mais c’est un dommage pour le soft power américain auprès des pays du Sud et c’est une place laissée aux Chinois pour le développement des Routes de la Soie.
Dans le récent drame birman, les Chinois et les Russes ont envoyé des secours, les Etats-Unis ont brillé par leur absence. Au Groenland ou à Munich, JD Vance a fragilisé la relation américaine avec les alliés traditionnels.
Sous l’angle militaire, 3 risques :
Rompre avec les pays européens, les inciter à réaliser, enfin l’Europe de la défense, c’est les inciter à être moins dépendants et à moins acheter d’équipements aux Etats-Unis. Depuis 2022, selon ISS, les pays européens, membres de l’OTAN, ont acheté un tiers de leurs équipements militaires aux Etats-Unis, un pourcentage appelé à baisser pour gagner en indépendance. Ainsi, les groupes américains dans la défense devraient moins bien performer que leurs homologues européens ou sud-coréens.
Céder à Poutine avant l’ouverture des négociations, c’est faire le contraire du Républicain Reagan qui privilégiait la paix par la force.
Enfin, rompre avec les Alliés, c’est inciter nombre d’entre eux à acquérir l’arme nucléaire. Voir, par exemple, les propos récents du ministre des Affaires étrangères de la Corée du Sud.
Sous l’angle de la transition énergétique :
La sortie de l’accord de Paris et l’arrêt des subventions, outre le mauvais exemple pour les autres pays, pénalisent l’évolution du deuxième plus gros pollueur de la planète après la Chine.
Sous l’angle migratoire :
Ambitionner de renvoyer 13 millions de migrants illégaux dans une économie proche du plein emploi, aux prises avec des pénuries de main-d’oeuvre dans des emplois de services, est un frein à l’activité et un facteur inflationniste sur les salaires.
On en a déjà des illustrations dans le secteur de la rénovation immobilière et les sociétés du secteur sous-performent notablement en Bourse.
On en aura également dans l’agriculture (manque d’ouvriers agricoles) et la restauration ou l’hôtellerie.
Mais, heureusement, cette politique de déportations, au-delà du vacarme, est un échec. Après 50 000 personnes renvoyées le premier mois après l’élection, on est loin des chiffres annoncés.
Sous l’angle sanitaire :
Voir l’antivax Kennedy Jr à la santé, sans formation médicale, proposer de lutter contre l’épidémie de rougeole avec l’huile de foie de morue et la vitamine A, de préférence à la vaccination, est affligeant. En 2019, il avait déjà affirmé un lien entre ce vaccin et l’autisme !
Pire, pourrait être une imposition de droits à 25% sur les produits pharmaceutiques, menace agitée par Trump, alors que depuis 1994, l’OMC s’est mise d’accord pour exonérer de droits ces produits ! Le risque c’est une hausse des prix et des patients dans l’incapacité financière de se soigner.
Sous l’angle boursier :
La performance du S&P500, baromètre pourtant significatif dans l’entourage de Trump, est négative depuis son entrée en fonction et, déjà, sous son premier mandat, elle avait été inférieure à celle du mandat de Biden.
Depuis le début de l’année, le marché américain est le plus mauvais de tous les grands marchés après avoir été le meilleur sous la présidence Biden en 2023 et 2024, avec des hausses respectives de 25% et 26%.
Et, au-delà de cela, les gesticulations et les revirements dans les décisions, génèrent de l’incertitude pour les marchés.
Après ces 17 points d’analyse critique de la politique de Trump, terminons cette Lettre avec une réflexion éclairante du Général de Gaulle, extraite de ses Mémoires d’Espoir : « Tout en pensant que l’Amérique est indispensable au monde, je ne souhaite pas la voir s’ériger en juge et en gendarme universel ».
*Singalliance.com : Bruno Desgardins, CIO, Switzerland
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