Tribune
Alors que la note financière de la France poursuit sa dégradation et que les candidats aux législatives rivalisent de propositions démagogiques, il faudrait imposer un régime de sportif à l’État-providence en s’inspirant des enseignements de l’économiste libéral Frédéric Bastiat, plaide l’ex-PDG du groupe Essilor.
Le Figaro - 19 juin 2024 - Par Xavier Fontanet
En cette période de campagne électorale, les discussions sur le pouvoir d’achat vont aller bon train. On va suggérer ici des baisses de la TVA, là des hausses de salaires, là encore des indemnités plus élevées pour rendre le chômage moins douloureux. Ces mesures soulageront les peines, mais seulement à très court terme. À moyen terme, c’est une tout autre affaire, elles vont provoquer une série de réactions en chaîne.
Il est un principe qu’il faudrait absolument enseigner dans nos écoles, il est simple et change votre vie quand vous l’avez compris : c’est le principe de l’action et de la réaction. On ne peut juger de la qualité d’une action qu’une fois pris en compte l’effet des réactions qu’elle a produites. Les mesures citées ci-dessus vont créer des surcoûts sociaux et fiscaux qui finiront par se loger dans les prix de revient des entreprises. Les premières qui vont souffrir sont celles qui sont exposées à une concurrence étrangère de pays dont la sphère publique et sociale est plus légère que la nôtre. Nos exportations vont chuter et la désindustrialisation continuera. Notre balance commerciale se dégradera encore plus, cela freinera l’économie et les rentrées fiscales, avec, au bout du bout, une montée de la dette.
L’État, quand il vous redonne du sang dans le bras droit pour vous mettre en bonne santé, il est obligé de le prélever dans le bras gauche, mais il doit garder une partie pour gérer son périmètre qui s’étend.
À ne s’occuper que des conséquences sans remonter à la source des problèmes, on renforce les causes qui les ont produits. Ce petit jeu dure depuis des décennies. Jugeons donc sur cinquante ans le PIB par tête des pays avec lesquels nous sommes en relation. Le résultat que chacun peut constater en allant sur les sites de la Banque mondiale est édifiant. Nous dégringolons régulièrement dans les classements de PIB par tête : le PIB par tête de la Suisse, qui était le même que le nôtre à la mort du regretté Pompidou en 1974, est deux fois et demie plus élevé aujourd’hui. Le smic en Suisse est à 5000 euros, les problèmes de pouvoir d’achat ne sont évidemment pas les mêmes à Lausanne et à Paris. On va vous dire : petit pays ! Très bien, regardons les États-Unis : l’écart est pratiquement de 1 à 2. On va vous dire : oui, mais ce ne sont pas des Européens… Prenez les Pays-Bas ou le Danemark : on parle de 50 %.
La mort de Pompidou provoqua l'arrivée d'une nouvelle génération d'hommes politiques qui, voulant marquer leur différence, se sont appuyés sur des visions différentes du rôle de l'État dans l'économie
La mort de Pompidou provoqua l’arrivée d’une nouvelle génération d’hommes politiques qui, voulant marquer leur différence, se sont appuyés sur des visions différentes du rôle de l’État dans l’économie. Pour Jacques Rueff, l’inspirateur de la vision de De Gaulle et de Pompidou, l’État devait rester sous les 30 % du PIB. La nouvelle génération a été séduite par la pensée de Keynes, qui prônait la dépense publique comme accélérateur de l’économie. C’est en 1974 qu’a eu lieu la rupture. Elle coïncidait avec la crise du pétrole, il n’était pas illégitime de doper l’économie pendant cette période troublée. Tout le monde l’a fait, mais seulement pendant deux ou trois ans. Ici, en France, ce fut différent, nos hommes politiques, de droite et de gauche, ont vu dans ces théories séduisantes un blanc-seing à leur politique de déficit, et les économistes prônant cette nouvelle approche se sont vu donner le micro. Le résultat est simple : la dépense publique est passée en cinquante ans de 30 % du PIB à 58 %, ce qui fait que le poids relatif de la sphère publique à la sphère privée a plus que… triplé !
Quand on compare les taux de croissance sur cinquante ans des économies avec les parts de dépenses publiques dans le PIB, on trouve une relation très exactement inverse. Les dépenses publiques qui devaient stimuler les économies les ont, de façon évidente, complètement freinées. Historiquement, l’ajustement de la compétitivité se faisait par des dévaluations. L’entrée dans l’Europe et l’adoption de l’euro supposait que la France cale ses politiques financières sur celles de nos voisins. Ce ne fut pas le cas. Cerise sur le gâteau, Jacques Chirac a lancé l’idée séduisante (mais funeste !) de l’État-providence qui laisse penser que l’argent tombe du ciel. L’idée que l’État n’est pas comme un ménage ni comme une entreprise est rentrée dans les mœurs.
Historiquement, l'ajustement de la compétitivité se faisait par des dévaluations. L'entrée dans l'Europe et l'adoption de l'euro supposait que la France cale ses politiques financières sur celles de nos voisins. Ce ne fut pas le cas
Tout un chacun sait que quelque chose ne va pas. On peut taxer les riches, mais l’expérience récente a montré que les gens vendent leurs entreprises et partent. Les 2 millions d’emplois récemment créés sont en grande partie le fruit de la suppression de l’ISF et de la baisse de fiscalité sur les dividendes. La note financière du pays est en train de se casser la figure, nos hommes politiques, de gauche et de droite, doivent reconnaître qu’il faut bouger.
Le fait nouveau, c’est qu’il y a eu dans le monde des cas exemplaires de pays qui ont réduit de façon significative les dépenses publiques, et que cela a dopé leur économie : Canada, Nouvelle-Zélande et, plus près de nous, Allemagne. Ces pays ont fait des réformes profondes, le Canada sur les dépenses régaliennes, la Nouvelle-Zélande sur la santé et la retraite, l’Allemagne sur le droit du travail et les relations entre l’État et la sphère sociale. Dans ces trois cas, les dépenses publiques ont été baissées de l’ordre de 12 points de PIB sur huit-dix ans. Les faits ont montré que cette baisse a en réalité fait croître l’économie du pays.
Le moment est propice pour populariser la pensée de Bastiat, génie français, respecté dans le monde entier à l’insu de nos compatriotes, et son fameux Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Il faut comprendre qu’une dépense publique - un rond-point, par exemple -, ça se voit. Ce qu’on ne voit pas, c’est la dépense privée qui a été empêchée. Un rond-point, c’est effectivement une dépense qui va permettre de booster l’économie locale. Ce qu’on ne voit pas, c’est que c’est le résultat d’un impôt imposé à un particulier. Prenons un exemple qui fait comprendre les choses. Ça a pu être pris à un entrepreneur qui aurait acheté quelques machines-outils de plus ; elles auraient permis de produire des engrenages exportés, ce qui aurait créé des emplois durables, arrangé la balance commerciale et réduit la dette.
Les 2 millions d'emplois récemment créés sont en grande partie le fruit de la suppression de l'ISF et de la baisse de fiscalité sur les dividendes
L’autre parabole de Bastiat, celle du bras gauche et du bras droit, complète l’explication. L’État, quand il vous redonne du sang dans le bras droit pour vous mettre en bonne santé, il est obligé de le prélever dans le bras gauche, mais il doit garder une partie pour gérer son périmètre, qui s’étend. Croyant nous renforcer, sur la durée, il monte les coûts de gestion de la société. Le jockey (l’État français) est devenu au fil du temps plus lourd que son cheval ; il lui prend son avoine et empêtre ses pas.
Il est temps de revenir, en ce qui concerne la dépense publique et sociale, dans la moyenne européenne. Les solutions pour baisser intelligemment les dépenses publiques sont nombreuses, il suffit de copier ce qui a marché ailleurs : des contrats seniors pour permettre à ceux qui veulent travailler plus longtemps, ce qui soulagera les caisses de retraite ; un puissant développement de l’actionnariat salarié qui donne un fort complément aux retraites ; la sortie du paritarisme, qui permettra aux partenaires sociaux de mieux mesurer le coût de leurs décisions ; la suppression d’une couche régionale et la fusion des communes qui sont trop petites ; l’arrêt de certains ministères ; la mise en Bourse de La Poste ; la vente de France Télévisions ou son apport à un grand groupe de médias coté ; le recours à des concessions et à la sphère bénévole pour reprendre des activités de la sphère publique ; l’organisation d’une saine concurrence entre éducation privée et publique, puisqu’il est évident que le coût de cette dernière est moins élevé… Sans aller jusqu’à vendre La Joconde, il y a beaucoup de choses à faire.
Notre pouvoir d’achat n’est en fait que l’envers de notre compétitivité globale. Il faut adopter à partir de maintenant un régime de sportif pour que notre sphère publique redevienne svelte et permette à nos entreprises de donner enfin toute leur mesure.
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