Collectivités locales

Sous Anne Hidalgo, l’état de dégradation de nombreux jardins publics de la capitale, dont plusieurs connus dans le monde entier, est à peine croyable, s’inquiètent les deux architectes Dominique Dupré-Henry et Tangui Le Dantec.

Le Figaro Vox - 23 septembre 2022 - Par Dominique Dupré-Henry et Tangui Le Dantec*

Afin d’affronter le réchauffement climatique dans les années à venir, les villes - et Paris en particulier - vont devoir s’adapter et réfléchir à des solutions pour proposer des espaces de nature aux citadins qui vivent et travaillent dans des villes denses et minérales. La première des propositions à mettre en œuvre d’urgence est d’entretenir les espaces de nature existants en ville.

Or force est de constater qu’à Paris, ce n’est pas la priorité.

Le Champ-de-Mars, le plus grand des jardins parisiens (24 hectares) et le plus fréquenté (21 millions de visiteurs par an) est un exemple particulièrement éloquent. Conçu et étendu lors des différentes Expositions universelles, le jardin a accueilli en 1889 le plus emblématique des monuments parisiens, la tour Eiffel, devenu aux yeux du monde entier le symbole même de Paris. Or, ces dernières années, l’état du Champ-de-Mars n’a cessé de se détériorer pour atteindre à présent un niveau de dégradation tout à fait alarmant.

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La diminution des moyens humains, matériels et financiers, que l’on constate dans tous les parcs gérés par la ville de Paris, s’est traduite au Champ-de-Mars par un manque criant d’entretien des espaces verts, pelouses, jeunes arbres et parterres. Depuis cet été, suite au manque d’anticipation des sécheresses, les pelouses n’ont plus rien de pelouses, à tel point que les touristes cherchent désespérément un angle de vue pour faire des selfies avec la tour Eiffel ne montrant pas la terre nue sur laquelle il n’est plus possible de s’asseoir.

Auparavant, certaines pelouses étaient mises au repos et donc inaccessibles, le temps de se régénérer ; aujourd’hui, ces règles de bon sens ne sont plus appliquées au Champ-de-Mars, renforçant malheureusement les effets dévastateurs des canicules. De plus, les parterres et pelouses pourtant protégés par des grilles sont largement piétinés sans aucun respect pour le travail des jardiniers. Des décharges à ciel ouvert sont même constituées, en attente de ramassage des feuilles mortes, où les gens jettent leurs divers déchets. Le mobilier urbain, notamment les bancs Davioud et le mobilier en pierre Belle Époque, est aussi dans un état catastrophique.

Le manque d’entretien du célèbre site est allé de pair avec une montée des incivilités voire de la délinquance

Autres causes de dégradation des espaces de nature à Paris, les privatisations à répétition générées par l’événementiel. La construction du Grand Palais éphémère a détruit la perspective sur l’École militaire, privé les usagers d’une grande partie du jardin et privatisé de fait cet espace public au profit d’activités événementielles toujours plus envahissantes. Le bassin et les fontaines place Jacques-Rueff, au centre du jardin, ont été ensevelis cet été pendant plus d’un mois sous des tonnes de sable et autres matériaux pour l’organisation d’un événement hippique de quelques jours, laissant le site en très mauvais état, alors que les fontaines sont si précieuses en période de canicule!

De la même manière, en juillet 2021, l’installation d’une fan zone, au moment des Jeux olympiques, sur les magnifiques jardins et fontaines du Trocadéro a considérablement abîmé le site qui n’a pas retrouvé depuis son atmosphère initiale. Là aussi, les touristes mal à l’aise tentent avec difficulté de prendre en photo la perspective sur la tour Eiffel, dissimulée par les innombrables palissades taguées.

Parallèlement, le très coûteux projet OnE (107 millions d’euros) de l’agence Gustafson Porter + Bowman prévoit de redessiner entièrement la perspective centrale s’étendant du Trocadéro jusqu’à l’École militaire. Ce projet, approuvé par la municipalité, tout en renforçant l’exploitation commerciale du quatrième site le plus visité de France, compromet la survie de platanes centenaires parmi les plus remarquables du jardin, ce qui a donné lieu à une mobilisation citoyenne et médiatique sans précédent. Et l’incertitude reste entière sur la volonté de la municipalité parisienne de préserver ces platanes centenaires une fois l’émotion publique retombée.

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Enfin, la construction d’une enceinte de «sécurité» autour de la tour Eiffel a isolé celle-ci du reste du jardin, supprimé la transparence de la perspective sous les pieds de la tour Eiffel et, pire, abouti au résultat que le Champ-de-Mars se retrouve traité comme une arrière-cour avec en façade les alignements de poubelles!

Le Champ-de-Mars est pourtant un jardin de Paris classé en tant que site historique et patrimonial, il devrait donc, à ce titre, être entretenu avec particulièrement de soin et non utilisé comme terrain de jeux et surexploité au profit d’activités événementielles. Il représente une des images de la France dans le monde, quel respect de la nature en ville notre capitale donne-t-elle à voir à ses habitants et aux visiteurs?

Comme souvent, le manque d’entretien du site est allé de pair avec une montée des incivilités voire de la délinquance dont les médias se font l’écho. Ce phénomène ne cesse de s’aggraver au grand désespoir des riverains, des usagers du jardin et des touristes qui en sont victimes.

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En ce qui concerne Paris dans son ensemble, sur des sites moins touristiques, ce manque d’entretien généralisé des jardins ne fait qu’exacerber des problématiques locales certes différentes mais plus graves encore. Nombre de jardins publics sont actuellement fermés, en particulier dans l’Est parisien, pour des problèmes d’insécurité alors que ces quartiers sont déjà particulièrement carencés en espaces verts comme le 18e avec moins de 2 m² par habitant (source Apur) ou le 10e avec moins de 1 m² par habitant, alors que l’OMS en recommande 10 m².

Dans le nord-est de la capitale, de nombreux squares de quartier, qui accueillaient des espaces de jeux pour enfants, sont infréquentables pour des problèmes de violence, de consommation d’alcool et de drogue.

Dans les quartiers aménagés récemment du Nord-Est parisien, pourtant très denses, par exemple Chapelle International (18e), les nouveaux squares comme celui du 21-avril-1944 sont tellement minéraux qu’on hésite à les qualifier de squares. Absence de végétation, abondance de matériaux tels le gravier ou le sable, ils auront beaucoup de difficulté à jouer leur rôle d’îlot de fraîcheur tant la priorité a été donnée à une rentabilité maximale de l’opération avec un entretien minimal de l’espace.

Les jardins publics ont un rôle appelé à se renforcer en raison du réchauffement et du dérèglement climatique. Ces rares espaces de nature dans une ville aussi dense que Paris ne peuvent pas être les variables d’ajustement des politiques sociales et budgétaires, sauf à prendre le risque de dégrader fortement la qualité de vie des habitants.

*Dominique Dupré-Henry et Tangui Le Dantec sont cofondateurs d’Aux arbres citoyens!, association pour la sauvegarde des arbres détruits ou menacés par les travaux d’Anne Hidalgo.