Le ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt, jeudi dans son bureau à Paris. (Gilles Bassignac/Divergence pour le JDD)

Entretien

L’ancien député socialiste réfléchit à réduire la durée d’indemnisation au chômage des seniors. La réforme des régimes spéciaux ne s’appliquera qu’aux nouveaux embauchés.

Le JDD - 8 octobre 2022 - Par Sarah Paillou et Emmanuelle Souffi

En bon ministre du Travail, Olivier Dussopt ne chôme pas. Mardi, des concertations démarrent sur la réforme des retraites avec un premier volet sur l’emploi des seniors. Il y a urgence car la France reste à la traîne en Europe avec un taux d’emploi de 35,5 % de 60 à 64 ans. Dans ces conditions, difficile de porter à 65 ans l’âge légal de départ en retraite à moins de faire basculer des salariés dans la précarité ou l’inactivité. Pour éviter qu’ils ne décrochent, le ministre du Travail compte mettre la pression sur les entreprises pour qu’elles les maintiennent en poste et qu’elles en recrutent. Mais aussi sur les chômeurs. La durée d’indemnisation pourrait être abaissée alors qu’elle est actuellement de trente-six mois à partir de 55 ans. « S’il est légitime d’avoir des règles spécifiques, cette perspective peut être vue comme une voie de délestage », estime Olivier Dussopt. La question sera évoquée avec les partenaires sociaux dans le cadre des discussions sur l’évolution des règles de l’assurance chômage qui s’ouvriront dans la semaine du 17 octobre. Elle risque de faire tiquer les syndicats. Car la France compte près de 1,4 million de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans.

Vous pilotez les deux réformes sociales les plus sensibles de ce début de quinquennat. N'est-ce pas risqué alors que les Français s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat ?
Tout est complexe mais rien n’est impossible parce que tout converge vers le seul objectif que nous visons avec le président de la République et la Première ministre : le plein-emploi. Pour y parvenir, il y a notamment la réforme de l’assurance chômage et celle des retraites. Cette dernière doit remplir deux buts : améliorer notre système pour financer de nouveaux droits, le rendre plus juste, et l’équilibrer pour le rendre durable. Si nous améliorions le régime sans assurer son équilibre financier, ce n’est pas responsable. Si nous l’équilibrions sans l’améliorer, ce n’est pas juste.

Quel est votre calendrier ?
Je rappelle que nous avançons dans le cadre du mandat donné au printemps par les Français au président de la République. Nous ouvrons mardi un premier cycle de concertation sur les retraites, avec l’objectif d’avoir un projet connu avant la fin de l’année, adopté par le Parlement à la fin de l’hiver pour une mise en œuvre à l’été 2023. Mercredi, j’ai réuni les partenaires sociaux qui ont salué le temps pris pour ces échanges, alors que tout le monde pariait qu’il y aurait des chaises vides et des portes claquées… Des organisations, dont la CFDT, ont demandé un débat transparent, sincère et loyal. Je partage ce vœu, c’est pourquoi je veillerai à ne jamais prétendre qu’un accord sur un ou plusieurs sujets signifie un soutien à la réforme dans sa totalité. Il faut accepter que des désaccords perdurent, ce qui ne nous empêche pas de trouver des points de convergence.

 

Quels seront les thèmes abordés ?
Nous discuterons pendant les prochaines semaines autour de trois thèmes. D’abord, la prévention de l’usure professionnelle et l’emploi des seniors. Ensuite, l’équité et la justice sociale avec l’amélioration des dispositifs de solidarité et l’égalité entre femmes et hommes. C’est dans ce cadre que nous aborderons les régimes spéciaux, en privilégiant une méthode progressive vers la normalisation comme nous l’avons fait pour la SNCF : la réforme ne concernera que les nouveaux salariés. Enfin, nous évoquerons l’équilibre du système.

Pas un euro de cotisations ne financera autre chose que les retraites

Mais le taux d'emploi des seniors reste bas…
Nos mauvais résultats s’expliquent par plusieurs causes. D’abord, des dispositifs qui peuvent être perçus comme des encouragements, pour les employeurs, à se séparer des seniors. C’est le cas par exemple de la durée maximale d’indemnisation chômage, qui, à partir de 55 ans, passe de vingt-quatre à trente-six mois. S’il est légitime d’avoir des règles spécifiques, cette perspective peut être vue comme une voie de délestage. Ensuite, nous partons à la retraite à un âge moyen moins élevé que nos voisins européens, et cela joue aussi sur l’emploi des seniors. Enfin, notre système économique n’a pas la culture de l’emploi des seniors. On considère trop souvent que le temps de travail restant à un salarié de plus de 55 ans ne justifie pas un investissement dans sa formation. Cette question rejoint d’ailleurs la lutte contre l’usure professionnelle. Les seniors disposent de compétences qu’il leur faut transmettre aux plus jeunes. Certains secteurs professionnels sont aujourd’hui confrontés à des difficultés de recrutement, parce que ce point n’a pas été anticipé.

 
 

Comment les maintenir en poste ?
Contre la pénibilité au travail, il faut une politique de réparation qui englobe notamment les départs anticipés. Mais aussi investir massivement dans la prévention, en améliorant les conditions de travail et en renforçant la formation et les reconversions car certains métiers resteront toujours pénibles. On pourrait aussi renforcer les droits à la formation de ces salariés afin qu’ils puissent se réorienter. Dans ce domaine, l’État ne peut pas tout faire : les entreprises et les branches professionnelles doivent aussi résolument s'engager.

La meilleure façon de maintenir les seniors dans l’emploi reste d’améliorer les conditions de travail

Faut-il des obligations ?
La création d’un index professionnel de l’emploi des seniors, sur le modèle de celui pour l’égalité femmes-hommes, fera partie des discussions. Tout comme des mécanismes incitatifs, sous forme par exemple d’exonérations de cotisations sociales, qui sont proposés par les organisations patronales. La meilleure façon de maintenir les seniors dans l’emploi reste d’améliorer les conditions de travail et de lutter contre les conséquences de l’usure professionnelle.

Et pour favoriser leur retour à l’emploi ?
Une des pistes pourrait être de permettre à un senior qui accepte un emploi moins bien payé de conserver une partie de son indemnité chômage afin de compenser le manque à gagner. Nous pourrons y travailler. Nous souhaitons également favoriser la retraite progressive et le cumul emploi retraite pour rendre plus facile la transition entre l’emploi et la retraite.

Les Français ont parfaitement intégré que la réforme des retraites est nécessaire pour préserver notre système

En 2017, Emmanuel Macron a supprimé plusieurs critères de pénibilité au travail. Allez-vous les réintégrer ?
Ils étaient extrêmement compliqués à mettre en œuvre. Les chefs d’entreprise parlaient d’un Everest administratif. Il faut trouver d’autres solutions.

Naturellement, l’âge de départ en retraite va arriver à 64 ans. Est-il judicieux de braquer l’opinion avec une réforme impopulaire ?
Je n’ai jamais connu de réforme des retraites populaire mais les Français ont parfaitement intégré qu’elle est nécessaire pour préserver notre système. Cela ne veut pas dire qu’ils l’acceptent de bon cœur, d’autant que, pour certains, le travail est une souffrance. Mais nous voulons que notre système de retraite par répartition perdure, que les actifs actuels, comme leurs enfants, leurs petits-enfants, aient une pension. Selon le rapport du Conseil d’orientation des retraites, notre système sera déficitaire à hauteur de 12,4 milliards en 2027 ; et 2027 c’est demain ! Nous avons donc un impératif, et nous refusons d’augmenter les prélèvements obligatoires ou de continuer à creuser notre dette.

Lire aussi - À l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet tente d'être la partisane absolue du dialogue

Pour Laurent Berger, 65 ans, « c’est niet ». Êtes-vous prêt à accepter 63 ou 64 ans ?
Nous entrons dans la discussion sur la base du mandat du président de la République :  64 ans en 2027, 65 ans en 2031 avec un rythme de quatre mois supplémentaires par an. Mais dès juillet, le président de la République a dit que sur la question de l’âge, il n’y avait ni totem ni tabou. Cela sera à concerter, mais il nous faut reculer l’âge moyen de départ. Introduire une clause de revoyure peut être une façon de prendre date dans l’avenir pour faire un point. Si certains connaissent d’autres moyens pour équilibrer et améliorer notre système sans peser sur le niveau des pensions ou sur le coût du travail, je les invite à nous dire lesquels !

Est-ce aux actifs de financer les politiques publiques ?
Je vais être très clair : pas un euro de cotisations retraite ne financera autre chose que les retraites. Si nous parvenons à équilibrer le régime, nos comptes publics s’en porteront mieux, la croissance économique sera plus forte. Et nos marges de manœuvre seront restaurées afin de financer d’autres priorités.

L'Assemblée nationale doit adopter solennellement mardi le projet de loi sur l’assurance chômage. Quand allez-vous ouvrir des concertations ?
Ce texte répond à une urgence : proroger les règles d’indemnisation qui prennent fin le 1er novembre. Mais nous souhaitons aussi rendre notre système plus efficace en le modulant selon la conjoncture économique. Dans la semaine du 17 octobre, je réunirai les partenaires sociaux pour échanger avec eux sur les indicateurs qui définiront ce qu’est une bonne ou une mauvaise situation économique, et sur les critères de modulation. Nous enchaînerons au premier semestre 2023 avec une négociation interprofessionnelle sur la gouvernance de l’assurance chômage, et une autre sur le partage de la valeur, acceptée par tous, à l’exception de la CGT.

J'ai fixé un principe : nous ne toucherons pas au montant des indemnités chômage

Quels pourraient être les critères de modulation ?
J'ai fixé un principe : nous ne toucherons pas au montant des indemnités. On peut en revanche s’interroger sur les conditions d’entrée dans le régime –  six mois travaillés sur vingt-quatre aujourd’hui –  et sur la durée d’indemnisation. Certains sous-entendent que jamais, nous ne protégerons davantage les demandeurs d’emploi si le marché du travail se dégrade. Mais nous l’avons déjà fait : en 2020, en plein confinement, nous avons prolongé leurs droits.

Cette modulation pourrait-elle être territorialisée ?
Mes services y travaillent, parce que je ne veux pas mettre sur la table de la concertation un outil qui serait impraticable. En revanche, je m’engage d’ores et déjà à ce que la situation spécifique des territoires ultramarins, qui connaissent des réalités extrêmement différentes, soit prise en compte. J’ai soutenu un amendement en ce sens à l’Assemblée.

Au cours du débat parlementaire, des députés ont proposé de considérer le refus d’un CDI, après un CDD, comme une démission. Qu’en pensez-vous ?
Cette proposition me pose deux problèmes. Sur le fond, cela reviendrait à sanctionner des salariés qui sont allés au bout de leur engagement contractuel, leur CDD. Refuser un CDI est une liberté. Ensuite, techniquement, Pôle emploi n’a pas nécessairement les moyens de savoir si un demandeur d’emploi vient de refuser un CDI aux mêmes conditions que son CDD. En revanche, je comprends la colère des chefs d’entreprise qui croient devoir verser une prime de précarité à quelqu’un qui a refusé un CDI aux mêmes conditions que son CDD. Or selon le Code du travail, l’employeur n’est pas tenu de la payer. Avant l’examen au Sénat, je veux donc voir s’il est possible de mieux formuler cette disposition afin d’éviter de pénaliser l’employeur sans forcément modifier les droits à l’indemnité.