Tribune

Afin de réduire la dette de l'État, Michel Cicurel, économiste et chef d'entreprise, appelle à mobiliser l’épargne de la classe moyenne en lui offrant un rendement élevé et garanti.

Le JDD - 12 juin 2023 - Par Michel Cicurel

Voici sa tribune. « La révolte des Français contre la réforme des retraites, qui ne permettra pas en l’état de sauver notre modèle social, est la dernière des illustrations du triangle des Bermudes dans lequel se débat notre exécutif. Ce triangle infernal, c’est d’abord la dégradation de nos finances publiques et le poids de notre dette ; c’est ensuite la préoccupation légitime de rendre espoir aux classes moyennes que la désespérance conduit au populisme ; c’est enfin l’urgence absolue de financer les transitions climatique, sanitaire, éducationnelle, et numérique, pour restituer sa souveraineté et son rang à la France, ce qui a été amorcé mais réclame beaucoup plus d’argent et nous n’en avons pas.

En effet, la cinquantaine de milliards de France 2030 s’agissant des investissements d’avenir est une prise de conscience, une excellente amorce de solutions. Mais il en faut en réalité dix à vingt fois plus ! Le rapport de France Stratégie chiffre à 66 milliards par an le seul coût de la transition climatique, dont la moitié à la charge de l’État. L’effort est également très insuffisant pour la réforme des retraites, seul vrai gisement d’économie massive pour l’État providence. Le régime par répartition ne peut survivre, quel que soit l’âge du départ, à l’évolution démographique. Il y avait en 1946, lors de sa création, huit actifs pour un retraité. En 2030, il y en aura un pour un et le retraité vivra au moins dix ans de plus. Je disais déjà dans La Génération inoxydable, paru en 1989, qu’il faudrait retarder l’âge de départ, qui reste à 64 ans l’un des plus bas d’Europe, mais réserver la retraite par répartition aux ménages modestes et fournir aux classes moyennes un complément d’épargne plus rémunérateur que l’immobilier ou le livret A.

L’enjeu pour les finances publiques représente près de dix fois l’économie de la réforme actuelle. En effet, depuis vingt ans, les contributions aux retraites sont passées de 10 à 14 % du PIB (le reste de l’Europe est à 10 %) et laissent un déficit en 2030 d’environ 2 % du PIB provenant du régime des fonctionnaires et du régime général, bien plus dégradé que ne le disent les prévisions du Conseil d’orientation des retraites. C’est donc 6 points de PIB qu’il faudrait économiser sur nos retraites, soit… plus de 150 milliards !

Mobiliser l'épargne moyenne

Comment sauver notre modèle social solidaire ? Comment préserver nos classes moyennes « trop riches pour être aidées, mais pas assez pour bien vivre » ? Comment leur assurer un avenir et une retraite paisibles ? Comment accélérer l’accès de la France au statut de grande nation technologique qui réclame les centaines de milliards de l’épargne populaire, aujourd’hui accaparée par la dette de l’État qu’il faut absolument réduire ?

La France dispose d’une amorce de solution sans doute trop simple pour convaincre : mobiliser utilement l’épargne de la classe moyenne en lui offrant un rendement élevé et garanti. Il faut substituer l’État garant à l’État dépensier. Une telle débudgétisation a permis la reconstruction après guerre, et c’est bien de cela qu’il s’agit ! Car les investissements d’avenir réputés à risque ne le sont pas au sein d’un portefeuille large et diversifié et ils promettent en moyenne un rendement trois à quatre fois supérieurs au livret A.

Ce sont les ménages aisés bien plus que la classe moyenne qui ont accès à ces investissements à très haut rendement parce qu’ils peuvent supporter ce risque plutôt théorique. Les classes moyennes (20 000 à 30 000 euros de revenus annuels et 200 000 à 300 000 euros de patrimoine net de dette) investissent dans l’immobilier financé à crédit, et des produits d’épargne sans risque qui rapportent moins que l’inflation.

Or l’immobilier devient inaccessible et l’épargne sans risque reste l’euthanasie du rentier même avec la hausse des taux. L’écart de gain considérable entre les investisseurs aisés et l’épargnant moyen ne fait que s’accroître, et cela aussi révoltera notre classe moyenne.

Alors l’État pourrait lui garantir les investissements à fort rendement, par exemple jusqu’à concurrence d’un plafond de 75 000 euros, sans le moindre coût dans la durée. C’est bien plus rémunérateur que les 2 milliards d’allégements fiscaux annoncés, additionnés à la suppression de la taxe d’habitation et de la redevance TV, et un alignement statutaire sur « les riches ». Et comme l’immobilier ou le fonds euros actuel, les investissements garantis pourraient être financés pour les épargnants par du crédit bancaire sans risque, ce qui augmenterait encore le rendement.​

La vraie réforme, c’est cette transformation de l’État dépensier en État garant qui permettra de mobiliser l’épargne moyenne au service des investissements d’avenir. »