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Gérard Collomb se battait depuis plusieurs années contre un cancer de l'estomac. Photo Sipa/Retmen

Entretien

En retrait depuis sa démission du gouvernement puis sa défaite aux municipales à Lyon, l’ex-ministre s’était confié au « Point » à plusieurs reprises, sans détour, sur l’évolution du macronisme.

Le Point - 26 novembre 2023 - Par Jérôme Cordelier et Mathilde Siraud

 

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Au lendemain de la présidentielle de 2022, l'ancien socialiste alertait sur la logique mortifère des trois blocs pouvant aboutir, selon lui, à une victoire de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen. « La logique d'un parti unique central conduira à un rétrécissement politique qui pourrait aboutir à la victoire de l'un des extrêmes », nous avait-il confié.

Quand Gérard Collomb appelait Emmanuel Macron à « revenir au réalisme »

Si l'élu accordait des bons points à Emmanuel Macron, notamment sur l'économie et l'Europe, il regrettait que le président n'ait jamais mis à exécution sa promesse de décentralisation. « Il agit avec la conviction qu'il faut un État fort. Et, pour lui, alors, l'État, c'est seulement l'État central. Pour la majorité des Marcheurs, les territoires ne signifient pas grand-chose, leur monde, c'est celui du numérique, de l'universel. Ceux qui étaient sensibles à ces sujets, c'était nous, les élus locaux. Mais Macron lui-même en parlait peu », regrettait-il. « L'action de Macron a pâti de ne pas être inscrite dans les territoires. »

En 2018, Gérard Collomb quittait le ministère de l'Intérieur avec ce constat, prémonitoire, sur les fractures du pays et la situation dans les quartiers : « Aujourd'hui, on vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face. » Cinq ans plus tard, il déplorait dans nos colonnes une société « en train de se déconstruire ».

Celui qui, à gauche, assumait un discours ferme sur l'immigration regrettait le dévoiement du droit d'asile, l'effet d'attractivité et le « en même temps » d'Emmanuel Macron sur ces questions. « Le président voyait bien que ce problème se posait avec toujours plus d'acuité dans notre pays, mais, à l'échelle européenne, face au groupe de Visegrad rassemblant les États partisans du "pas d'immigration chez nous" (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie), il voulait incarner le visage humaniste de l'Europe. C'est un équilibre difficile à trouver. »

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Gérard Collomb appelait le président à « revenir au réalisme », notamment sur la question de la dépense publique. « Le "quoi qu'il en coûte" a mis dans les têtes l'idée selon laquelle la puissance publique bénéficiait de moyens infinis. » Sous ses analyses, on sentait la rancœur poindre, au moment de parler du tempérament d'Emmanuel Macron.

L'ancien baron lyonnais, très conscient des limites du personnage, lui suggérait « de se changer lui-même », ce qui n'a pas dû être de nature à arranger ses relations avec le Château. « Macron, c'est un inventeur, un lanceur d'idées, quelqu'un qui a de la culture, mais qui peut parfois trop se focaliser sur le détail. Il peut être dans une pensée cosmique ou être totalement absorbé par les microsujets, mais il peut pécher au niveau intermédiaire, celui de l'organisation. »

Quand Collomb dénonce un « tournant de la politique d'immigration »

Il y a un an, à l'annonce de l'accueil par la France du navire humanitaire Ocean Viking, l'ancien parlementaire était sorti de sa réserve et même de ses gonds, dénonçant un « tournant de la politique d'immigration ».

Il s'était à nouveau livré au Point, confiant pour la première fois avoir démissionné de ses fonctions ministérielles en 2018 sur fonds de désaccord sur la création de centres d'accueil de migrants. « Il est clair pour moi à l'époque que si l'on ouvrait ces "centres contrôlés", tous les migrants resteraient sur notre sol. Je refuse que l'on rentre dans cette spirale ; Emmanuel Macron insiste », racontait-il alors.

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Celui qui prônait un « humanisme de générosité mais aussi de responsabilité » s'était longuement expliqué sur les problématiques d'immigration, incitant l'exécutif à se saisir de ce sujet à bras-le-corps, avant qu'un pouvoir d'extrême droite n'arrive en responsabilité. « Gérald Darmanin veut une politique ferme sur l'immigration mais, dans la majorité, beaucoup de gens sont sur des positions ouvertes et plaident pour accueillir tout le monde. C'est pour cela que j'interviens : il ne faut pas qu'Emmanuel Macron s'enferme dans cette politique d'acceptation de nouveaux navires. S'il continue, la prochaine fois ce ne seront plus des femmes et des hommes politiques modérés qui auront à gérer les problèmes d'immigration. Regardez ce qui s'est passé en Suède », mettait-il en garde.

Des déclarations qui résonnent particulièrement, à l'heure où le gouvernement cherche par tous les moyens d'obtenir une majorité sur une nouvelle loi immigration, cinq ans après la sienne, qui avait à l'époque fracturé la majorité.