Le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, son homologue de l'Economie, Robert Habeck, et le Chancelier Olaf Scholz à Berlin, le 30 janvier 2024. - Sipa Press

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Berlin compte sur la bourse pour amortir la hausse des cotisations sociales des salariés et espère générer 10 milliards d’euros par an qui participeront au financement des pensions

L'Opinion - 5 mars 2024 - Par Louis André

Les faits -Le gouvernement allemand doit adopter mercredi une réforme du système de retraites. Elle prévoit la création d’un fonds alimenté par le budget fédéral. Les intérêts générés permettront de  réduire la hausse des cotisations sociales induite par le vieillissement de la population. L’enveloppe doit atteindre 200 milliards d’euros d’ici la prochaine décennie.
En 2030 en Allemagne, du fait de la crise démographique, il n’y aura plus que 1,5 actif pour un retraité. Et la génération des baby-boomer qui quittera en masse le monde du travail aura alors une espérance de vie de dix ans supérieure à celle des années 1960. Elle touchera donc une pension pendant une plus longue période. En raison de ces paramètres, la coalition d’Olaf Scholz a inscrit à sa feuille de route la nécessité d’une réforme des retraites. Celle-ci a été présentée mardi, à la veille de son adoption en conseil des ministres.
Le projet de loi s’inscrit dans le sillage de la réforme menée il y a deux décennies par Gerhard Schröder. Il prolonge, au-delà de 2025, la garantie du taux de remplacement minimum de 48 % pour une carrière complète, qui avait été fixé à l’époque par le social-démocrate. Sans réforme, celui-ci tomberait à 45,4% d’ici 2037. Pour atteindre cet objectif, la coalition rassemblant sociaux-démocrates (SPD), écologistes et libéraux (FDP) a décidé d’ajouter une dose de capitalisation dans le système de retraite allemand.
« Pendant un siècle, on a négligé les opportunités des marchés de capitaux pour la retraite. Désormais nous investissons pour l’avenir de la société », se félicite le ministre libéral des Finances, Christian Lindner. Le gouvernement va créer un fonds, baptisé « capital générationnel », dont les intérêts viendront abonder les cotisations versées par les assurés et l’importante subvention (100 milliards d’euros) visant à assurer le paiement des pensions. L’argent ne viendra pas des cotisations des assurés, comme le souhaitait le FDP, mais du budget fédéral.
L’idée est de profiter des bonnes conditions d’accès au crédit de la République fédérale. Dès cette année, Berlin va injecter 12 milliards d’euros. Le versement est appelé à croître de 3 % par an, selon M. Lindner. Le fonds bénéficiera aussi du transfert d’actifs publics pour un montant de 15 milliards d’euros. Placée sur les marchés financiers, l’enveloppe se chiffrera au total à 200 milliards d’euros au milieu de la prochaine décennie et permettra, à cet horizon, d’injecter chaque année 10 milliards d’euros dans le système de retraite.
Même si l’argent des assurés ne sera pas placé, le recours aux marchés financiers inquiète une partie des acteurs sociaux et de l’opposition de gauche. « Nous devrions élargir la base des cotisants en incluant les fonctionnaires, les députés, les indépendants. Je trouverais cela plus adapté », estime Verena Bentele, chef de la fédération sociale VdK. « On ne spécule pas avec l’argent des contribuables », s’insurge de son côté Martin Schirdewan, chef du parti de gauche radicale die Linke, qui privilégie une remise en cause du plafonnement des cotisations pour les hauts salaires.
Divisions. Les contempteurs de la capitalisation mettent en avant les pertes enregistrées en 2022 par le fonds public devant financer les déchets nucléaires. Son matelas a fondu de 3,1 milliards en raison d’une mauvaise année boursière et une stratégie de placement moins performante que l’index de référence MSCI World. Le ministère des Finances renvoie, lui, aux données historiques, qui montrent une évolution positive des marchés boursiers sur le long terme. « C’est de l’argent bien placé à long terme », tente de rassurer le ministre SPD des Affaires sociales Hubertus Heil. Des garde-fous ont été prévus dans le cas d’un effondrement des marchés financiers, souligne-t-il sans entrer dans les détails. La remontée des taux d’intérêt que devra verser l’Etat allemand pour emprunter l’argent injecté dans le fonds retraite va toutefois grignoter une partie des gains. Ou forcer à une stratégie plus risquée afin de maintenir le rendement, d’environ 5 %, qui est visé.
Ce pilier capitalisation doit limiter la hausse des cotisations sociales, qui s’élèvent aujourd’hui à 18,6 % du salaire brut, mais ne l’empêchera cependant pas totalement. Le projet de loi, qui doit être voté d’ici à l'été, prévoit une hausse de 20% d’ici 2028, le plafond fixé par la réforme Schröder, et même 22,3 % d’ici à 2035. « C’est à mettre en lien avec le vieillissement de notre population », justifie Hubertus Heil, signalant que ces curseurs peuvent encore bouger selon l'évolution de la situation.

Le patronat allemand n’est pas ravi par cette nouvelle propre à détériorer la compétitivité de la première puissance économique européenne. Ses représentants plaident plutôt pour une suppression du départ à la retraite à 63 ans pour les carrières longues et un recul de l'âge légal, qui doit atteindre progressivement 67 ans. Dans son message vidéo hebdomadaire, le chancelier Olaf Scholz y a opposé mardi une fin de non-recevoir. « Il n’y aura avec moi pas de recul de l'âge de la retraite ni de changement sur la règle des 45 années de cotisation. Ces deux mesures ne seraient rien d’autre qu’une réduction des retraites pour tous ».