Législatives

"Ils annoncent, en laissant bouche bée tous ceux qui ont suivi l’histoire économique récente du pays, des listes de cadeaux bibliques, dignes des rois mages"

L'Opinion - 17 juin 2024 - Par Eric le Boucher,

Comment se fait-il que les deux partis désormais dominants en France, le Rassemblement national et la Nupes, présentent des programmes économiques aussi dingues ? Ils ne proposent pas seulement des mesures pour améliorer « le pouvoir d’achat », puisqu’ils jugent, contrairement d’ailleurs aux chiffres de l’Insee, que tel serait le besoin premier des Français. Ils annoncent, en laissant bouche bée tous ceux qui ont suivi l’histoire économique récente du pays, des listes de cadeaux bibliques, dignes des rois mages.

Entre autres, le RN augmente les salaires de 10 %, abaisse la TVA sur l’énergie, ramène les retraites à 62 ans, supprime l’impôt sur le revenu avant trente ans et offre un prêt de 100 000 euros à tout le monde. La Nupes fait encore beaucoup mieux dans la démagogie avec le blocage des prix, une indexation des salaires sur l’inflation, un smic à 1600 euros, une hausse de 10 % pour les fonctionnaires, la gratuité de l’école, douze milliards pour les jeunes et la retraite à 60 ans.

 

Les rois mages avaient de l’or, les partis extrémistes n’en ont pas. Le coût des promesses est estimé à plus de 100 milliards d’euros pour le RN avec, en face, des recettes non documentées. Il serait de 250-290 milliards d’euros pour la Nupes avec en regard des nouvelles recettes par des impôts d’un maximum de 50 milliards, sauf si elle augmente les charges sociales sur les entreprises.

Comment est-il encore possible en 2024, de raconter des fables économiques après avoir vu l’échec du programme Mitterrand 1981 débouchant sur le tournant de la rigueur, après avoir vu le grec Alexis Tsipras devoir faire pareil en 2015, et Georgia Meloni renoncer à toutes ses promesses en 2022 ? Comment est-ce possible après avoir constaté que les virages vers l’orthodoxie ont tous été finalement très bénéfiques pour leurs pays respectifs ? Comment est-ce possible que des partis en France persistent, une nouvelle fois, à ignorer complètement la question de la production pour ne parler que de distribution, de « social » ? Comment la Nupes qui nous propose un schéma économique communiste puisse, après le drame de l’URSS, la faillite de Cuba et du Venezuela, croire encore que le marché n’est rien et l’Etat est tout ? D’où vient ce double et sidérant aveuglement français ?

 

L’extrême gauche a toujours dominé la pensée de gauche depuis un siècle, sauf à de rares exceptions près, sous la force morale de “la bonne conscience”

Incompétence. La première réponse vient, pour ce qui est du RN, de l’incompétence. Ce parti se veut anti-élite, il n’a, en conséquence, jamais accueilli aucun membre de l’élite. Il est, pour les diplômés, un repoussoir. Le parti peut prétendre le contraire, mais il ne dispose d’aucun expert incontestable en éducation, en santé, en transports, en sciences, en commerce, en économie et, d’une façon étendue, dans toutes les fonctions étatiques. A la direction du RN, seule comptait la question de l’immigration, les promesses économiques ne servaient qu’à meubler l’illusion, et puis le RN était loin du pouvoir. Jordan Bardella à ses portes, vient manifestement de découvrir le vide total, on imagine son angoisse le soir en se couchant. La faiblesse étant humaine, des ralliés de dernière heure vont venir à la soupe, mais ce ne seront pas les meilleurs. Mme Le Pen et M. Bardella devront s’en méfier.

Pour la Nupes, le constat est différent. Cette alliance de la gauche est sous la coupe intellectuelle totale de LFI pour deux raisons. La première est historique. L’extrême gauche a toujours dominé la pensée de gauche depuis un siècle, sauf à de rares exceptions près, sous la force morale de « la bonne conscience » : l’extrême gauche refuse les compromissions, elle est « pure », tandis que la social-démocratie se fait rouler par le grand capital et elle trahit toujours. Cette domination idéologique extrémiste ne s’applique pas qu’à l’économie, on la voit aussi en matière de politique internationale. Le PS et les écologistes se sont contentés de formules alambiquées sur le Hamas (le texte de la Nupes ne reconnaît toujours pas que c’est un groupe terroriste, il se contente de dire que le 7 octobre était « une attaque terroriste »). Nombre de nouveaux candidats LFI sont des véritables antisémites, les élus PS et Verts ravaleront leur honneur en siégeant à l’Assemblée côte à côte avec ces drôles d’amis.

 

La seconde raison de la domination de LFI est prosaïque : quand on observe le parcours du Labour britannique qui est sorti du radicalisme pour s’inspirer du « post-libéralisme » de Joe Biden, on se dit que le PS français n’a tout simplement pas travaillé. La direction actuelle du parti n’a rien fait, rien du tout, pour sortir de l’emprise intellectuelle de l’ultra-gauche. Il faut dire que la tâche est difficile : en France comme aux Etats-Unis, l’ensemble des sciences sociales, sociologie, économie, histoire, est désormais truffé d’enseignants et de chercheurs qui ne conduisent pas des travaux académiques mais mènent des combats idéologiques à l’image de leur idole à tous, Thomas Piketty.

Un reniement programmatique complet du RN aura quand même des conséquences désastreuses sur les taux, sur les investisseurs et les chefs d’entreprise

Défausse. Sur quoi va déboucher le 8 juillet cette double dinguerie économique ? Jordan Bardella a commencé à replier le programme. Il ne conserve que deux mesures, mais on peut parier qu’il ne les appliquera que très partiellement, s’il atteint Matignon. Ses excuses ne manqueront pas : l’état désastreux des finances, l’Europe, Macron à l’Elysée… Tout cette défausse sera sans doute gobée par l’opinion qui mettra très longtemps à admettre, si elle l’admet un jour, que le RN est vide. En attendant, la France n’est pas l’Italie, l’Etat y est central. Le Pen seule n’est pas Meloni accompagnée de Mario Draghi. Autrement dit un reniement programmatique complet du RN aura quand même des conséquences désastreuses sur les taux, sur les investisseurs et les chefs d’entreprise.

La Nupes fera un pareil reniement, un nouveau 1982. La seule différence avec le RN est qu’avant son propre demi-tour, inévitable, elle offrira au peuple quelques mesures « symboliques » au coût faramineux. Mais le virage orthodoxe est écrit. Le surgissement de François Hollande augure de ce scénario à la Tsipras avec une explosion de l’alliance et la réémergence d’une gauche sociale-démocrate.

Toute cette crise politique pour en venir très vite à un abandon en rase campagne ? Oui. Mais nous n’y sommes pas. L’heure est au succès des partis populistes, leur travail de sape intellectuelle, politique a payé. Leur démagogie triomphe. Et ils vont plonger le pays dans le chaos. On voit déjà leur échec et la découverte que Le Pen et Mélenchon sont des chimères. Mais la France va prendre un sale coup.