Eric Coquerel lors de la conférence de presse sur le chiffrage et le financement du programme du Nouveau Front Populaire, le 21 juin 2024 - Sipa press

Économie

L’alliance des partis de gauche a enfin dévoilé un chiffrage commun censé mettre un terme à la cacophonie. Avec un trou de 50 milliards entre les recettes et les dépenses

L'Opinion - 23 juin 2024 - Par Marc Vignaud

Les faits - Le programme prévoit plus de 9 % d’augmentation de l’ensemble des dépenses publiques françaises en trois ans, en plus de leur hausse automatique d’une année sur l’autre.

150 milliards de dépenses nouvelles sur trois ans, d’ici 2027, et 100 milliards d’augmentation d’impôts sur les très riches, voilà ce que promet le Nouveau Front populaire (NFP) dans un chiffrage commun de son programme économique.

Cela représente un choc colossal de 5,3 points de dépenses publiques par rapport au PIB de 2023, dans un pays qui atteint déjà des records en la matière, avec 57 % du PIB. Plus de 9 % d’augmentation de l’ensemble des dépenses publiques françaises de 1 600 milliards, en plus de leur hausse automatique d’une année sur l’autre.

En face, l’alliance des partis de gauche prévoit 3,5 points de PIB de prélèvements obligatoires nouveaux. Peu importe que la France détienne déjà la palme en la matière.

Déficit. Mathématiquement, cela crée un fossé entre ce que la puissance publique encaissera et ce qu’elle dépensera, d’environ 1,8 point de PIB, soit 50 milliards d’euros de 2023. Un déficit qui s’ajoute à celui de 5,5 % du PIB de 2023, niveau qui fait déjà augmenter automatiquement la dette publique compte tenu des conditions économiques actuelles.

Alors, bien sûr, ce chiffrage ne tient pas compte d’un éventuel effet multiplicateur des dépenses publiques, qui, une fois injectées dans l’économie, doit permettre de générer plus de croissance et donc des rentrées fiscales supplémentaires. Mais comme le fait remarquer l’ancien magistrat de la Cour des comptes, François Ecalle, aucun modèle économétrique n’est capable de simuler un tel choc économique avec des mesures aussi radicales.

Question calendrier, la révolution fiscale et économique du NFP commencerait au plus vite. Dès l’été 2024, La France insoumise, le PS, les communistes et les Verts promettent d’entériner pas moins de 25 milliards de dépenses en plus pour augmenter de 10 % le traitement des fonctionnaires et les aides au logement ou rendre l’école « totalement gratuite » (cantines, périscolaire, etc).

Superprofits. En face, ils prévoient 30 milliards d’impôts sur les riches. La moitié sera tirée d’une taxe sur les « superprofits » des entreprises, alors que ces derniers sont largement retombés en 2024 et viennent souvent de l’étranger. L’autre moitié serait obtenue grâce à un impôt sur la fortune, triplé par rapport à celui qui existait sous François Hollande. Il inclurait les fortunes professionnelles.

D’ici 2027, le choc fiscal se poursuivra grâce à la suppression de « niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes ». De quoi ajouter 25 milliards. Ou encore un impôt sur l’héritage augmenté, assorti d’un plafond de 12 millions d’euros au-delà duquel l’Etat prend tout. Le NFP en attend 17 milliards.

Simulateur. Au programme, figure aussi une augmentation massive de l’impôt sur les revenus des personnes gagnants plus de 4 000 euros par mois assorti d’une CSG progressive (5,5 milliards). Un simulateur est déjà disponible pour savoir précisément ce que chacun va payer en plus ou en moins, même si ses résultats sont déjà contestés par les écologistes, qui considèrent qu’il n’engage pas le NFP...

La suppression de la taxe à taux unique sur les revenus du capital d’Emmanuel Macron, pour les imposer comme le travail, rapportait 3 milliards d’euros. Côté dépenses, 90 milliards, soit 60 % du total, serviront à alimenter le pouvoir d’achat avec le chéquier de l’Etat pour 30 milliards d’investissements publics…

Jeudi soir, dans une interview au Figaro, Jean-Luc Mélenchon avait chiffré ce programme à 200 milliards de dépenses nouvelles, pour 230 milliards de recettes. Selon le député LFI sortant Eric Coquerel, la différence tient essentiellement à la période considérée : cinq ans pour Mélenchon contre trois pour le NFP.

La retraite à 60 ans n’est pas incluse dans le chiffrage du programme présenté par l’alliance des partis de gauche vendredi. Elle reste toutefois un objectif pour « la législature », a priori après 2027. Le nombre d’années de cotisation nécessaire sera mis en débat avec les syndicats et le patronat. Cela ressemble fort à un enterrement de première classe, alors que la LFI milite encore pour abaisser l’exigence à 40 ans de cotisation, contre 43 aujourd’hui.

"Il est difficile de voir comment cela ne va pas conduire les entrepreneurs à déplacer en masse leurs opérations ailleurs"

Olivier Blanchard, économiste

Austérité. Quelques heures avant la présentation de ce programme, l’ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), qui avait déploré les effets de l’austérité à la suite de la crise financière de 2008, l’a vertement critiqué en anglais sur X (ex-Twitter).

Olivier Blanchard considère qu’il est « pire que le programme économique du Rassemblement national », qu’il avait déjà descendu, avec son compère Jean Tirole, prix Nobel français d’économie, dans le magazine Le Point. « Comme les précédentes expériences, il ne peut que mener à une catastrophe économique », assène-t-il, le qualifiant de « dangereux ».

Selon lui, « il est difficile de voir comment cela ne va pas conduire les entrepreneurs à déplacer en masse leurs opérations ailleurs », même si l’alliance de la gauche pense pouvoir l’empêcher en rétablissant l’exit tax.

Quant à la hausse du smic à 1 600 euros contre moins de 1 400 euros actuellement, qui influence toute l’échelle des salaires, elle devrait déclencher « une hausse majeure du coût du travail pour les entreprises », souligne Olivier Blanchard. Celui qui se présente comme un social-démocrate rappelle qu’il y a « un équilibre délicat entre la réduction des inégalités et le maintien d’une croissance forte ». Pour lui, le programme du Nouveau Front populaire « ignore cet équilibre ». Même si, évidemment, d’autres considérations que l’économie doivent guider les électeurs dans leur choix électoral.