Législatives

Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, les appels affluent chez les professionnels de la gestion de patrimoine.

Le Figaro Économie - 22 juin 2024 - Par Danièle Guinot Anne-Hélène Pommier Jorge Carasso

De la stupeur et des tremblements… L’annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le président de la République, a plongé le pays dans l’incertitude. Passé les premiers moments de sidération, certains Français ont commencé à tenter de se projeter dans l’avenir et à s’inquiéter pour leur épargne. « La dissolution a fait figure de bombe atomique. Il y a de la stupéfaction et beaucoup d’interrogations », constate Jérôme Rusak, à la tête du cabinet de gestion de patrimoine L&A finance. 

Depuis près de deux semaines, les appels d’épargnants inquiets affluent chez les banquiers, les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) ou les assureurs. Ils souhaitent savoir ce qu’ils doivent faire de leur bas de laine. La Bourse de Paris a dévissé (- 6 % entre le 10 et le 14 juin), faisant perdre en un mois aux boursicoteurs tous les gains engrangés depuis le début de l’année. Et le taux de l’emprunt d’État français à 10 ans, l’OAT, un temps en hausse, s’est écarté de celui de la dette souveraine allemande (Bund). « Les clients appellent leurs conseillers, souhaitant sécuriser leur allocation d’actifs pour traverser au mieux l’instabilité liée à la période électorale, voire anticiper les impacts de la prochaine loi de finances », explique Hugues Aubry, membre du comité exécutif de Generali France, chargé du marché de l’épargne et de la gestion de patrimoine. « Il n’y a pas de mouvement de panique », précisent néanmoins tous les financiers. « Depuis quelques années, les crises de plus en plus fréquentes et violentes se succèdent.Les Français s’y sont habitués, même si aujourd’hui leur inquiétude est vive », souligne un banquier privé. 

L’inquiétude est montée d’un cran en fin de semaine dernière avec la présentation des programmes économiques des deux partis en tête des sondages : le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire. « Le programme de la gauche est radical mais clair, et celui du Rassemblement national bouge tout le temps, cela crée beaucoup d’incertitude », avance un banquier. C’est le contrat de législature de la gauche, qui propose un alourdissement général de la fiscalité, qui fait le plus peur. Les questions sur la fiscalité sont d’ailleurs celles qui reviennent le plus souvent dans les réseaux bancaires, les banques privées ou chez les CGP. « La plupart des épargnants se demandent quelle sera la pression fiscale sur leurs placements », confirme Gauthier Haem, directeur du développement chez Yomoni.

Parmi les mesures repoussoirs, la possibilité d’un retour de l’ISF, une réforme de la fiscalité sur les héritages, l’abandon de certaines niches fiscales ou encore une hausse des taxes sur les placements, avec la suppression de la « flat tax » (30 % de fiscalité maximale), mise en place sous la présidence Macron. Sans oublier le retour de l’exit-tax et un accroissement de la progressivité de l’impôt sur le revenu à 14 tranches, qui mécaniquement augmentera la note fiscale des contribuables. « Certains épargnants veulent savoir si les mesures fiscales proposées par les uns et par les autres peuvent être rétroactives », ajoute Jérôme Rusak. 

Le spectre d’une crise de la dette en France inquiète ceux qui ont des actions et des obligations françaises, ainsi que les détenteurs d’assurance-vie. « Nous recevons des appels de clients nous demandant quel sera l’impact d’une hausse du taux de l’OAT et de l’écartement du spread avec l’Allemagne sur leurs fonds en euros », explique un assureur. Ils posent également beaucoup de questions sur les garanties du produit, ses caractéristiques et la fiscalité de l’assurance-vie. » Parfois les craintes sont plus diffuses. « Les clients n’ont pas forcément tous les mécanismes macroéconomiques en tête, mais ils comprennent que la France est en train de se faire dégrader, note Stellane Cohen, présidente du courtier en ligne Altaprofits. Tout cela alimente l’anxiété, avec un pouvoir d’achat qui est déjà en baisse et des craintes sur leur épargne. » Les sociétés de gestion qui conçoivent des portefeuilles d’actions et d’obligations sont elles aussi assaillies de questions. « Les CGP nous appellent à leur tour pour nous demander ce qu’il y a précisément dans nos portefeuilles, quelles actions ou obligations, reconnaît un gestionnaire de fonds. Les questions vont redoubler d’ici les élections. »

« Pour les clients les plus inquiets, la question de mettre son argent à l’étranger se pose », relève Jérôme Rusak. De plus en plus d’épargnants aisés envisagent d’ouvrir un contrat d’assurance-vie au Luxembourg, plus clément sur le front fiscal. « Les pays qui ont toujours vanté une forme de stabilité fiscale, comme le Luxembourg, la Suisse, offrent aux investisseurs une meilleure capacité à se projeter dans le temps, à connaître les règles et donc à faire les bons choix », constate Souleymane-Jean Galadima, directeur général du gestionnaire de fortune en ligne Sapians. 

Les clients les plus fortunés n’excluent pas, eux, de quitter la France, à l’issue des élections. « Ils sont souvent perdus. Certains évoquent déjà l’idée d’une expatriation », avoue un gestionnaire de fortune. « Le lendemain de l’annonce de la dissolution, j’avais un message d’un client qui m’a dit : “On y va, on transfère tout en Suisse” », abonde un gestionnaire de fortune dans un family office. D’autres pourraient également être dans ce cas. « Si la flat tax est remise en cause sur les produits financiers, si l’ISF revient à l’ordre du jour, pesant sur l’immobilier, les actifs financiers, la question de garder ses actifs en France et de rester en France va se poser, avance Patrick Thiberge, directeur général­ de Meilleurtaux Placement. D’autant plus qu’il y a eu ces dernières années de très belles réussites d’entreprises françaises, et que le nombre de millionnaires en France, financièrement parlant, a dû fortement augmenter par rapport à il y a 10 ans ou encore plus y a 20 ans. »

En attendant de savoir quel parti dirigera le pays ou si une majorité claire sortira des urnes le 7 juillet, les Français sont soudainement devenus très frileux. « Les clients nous demandent, avec ce qu’il se passe en ce moment, si c’est une bonne idée d’investir », raconte Guillaume Berthiaux, président de Sofidy Gestion privée. D’autres préfèrent jouer la carte de la prudence. « L’incertitude politique créant de la volatilité, les épargnants souhaitent davantage sécuriser leur épargne en diversifiant leurs actifs, en investissant davantage à l’international ou sur des produits structurés, par exemple », explique Hugues Aubry. 

De façon générale, l’attentisme prédomine. « Certains de nos investisseurs qui s’apprêtaient à refaire des investissements sont attentistes. C’est normal. Ils avaient fait leurs calculs, et ils vont peut-être devoir les reprendre eu égard à la fluctuation des marchés, à l’évolution de la fiscalité… », avance Souleymane-Jean Galadima. Ailleurs, certains épargnants viennent de stopper net des projets d’investissement dans la pierre. La période d’attentisme pourrait durer. « Il y aura probablement une période de flou assez longue le temps que l'Assemblée nationale avec une éventuelle majorité décide d’une nouvelle loi de finances », prévient Souleymane-Jean Galadima. Pour autant, « comme toujours en période d’instabilité, on peut s’attendre à ce que les Français épargnent davantage, prévoit Hugues Aubry. En attendant d’avoir plus de visibilité, ils placeront probablement leur argent en priorité sur des produits de très court terme, Livret A, Sicav monétaires, voire simplement sur les comptes courants, comme on l’a vu pendant le Covid. »

En attendant, les experts de la gestion de patrimoine, recommandent à leurs clients de ne pas paniquer pour leur épargne en faisant des arbitrages hâtifs ou en cédant des actions ou son assurance-vie. « L’incertitude politique créée de la volatilité à court terme, mais elle n’impacte pas durablement les marchés financiers, avance Olivier Raingeard, directeur des investissements chez Neuflize OBC. Entre 2016 et 2023, le CAC 40 a gagné 106 % et l’indice américain S&P 500 plus de 165 %. » Certains gestionnaires de patrimoine préconisent d’attendre le vote de la prochaine loi de finances en fin d’année. Elle précisera les orientations fiscales et économiques du prochain gouvernement, des clés indispensables pour revoir sa stratégie de placement. D. G. ET A.-H.P. ET J. C.