Editorial

Avant que les extrêmes, à Dieu ne plaise, ne dépècent la France avec leurs programmes économiques fumeux, relisons le livre salutaire de Raymond Tournoux, « La Tragédie du Général ».

Le Point - 26 juin 2024 - Par Franz-Olivier Giesbert

Un dessin en dit souvent plus long qu'un éditorial. La preuve par Urbs, dans Le Canard enchaîné : en voulant, selon ses propres dires, « balancer » sa « grenade dégoupillée » de la dissolution dans « les jambes » de la classe politique, Emmanuel Macron se serait trompé en jetant la goupille mais pas la grenade, malencontreusement restée entre ses mains. C'est ballot, il n'a pas l'air fin, le président !

Macron a-t-il si mal joué ? L'Histoire le dira, mais il est permis de penser qu'il a aussi tenté, avec sa dissolution, si risquée soit-elle, de laisser au RN le soin de gérer la catastrophe économique qui nous attend. Après avoir beaucoup dansé, l'heure des additions est venue et, tandis que la Commission de Bruxelles place la France en procédure de « déficit excessif », l'économie va maintenant se venger après tant d'années d'endettement délirant : c'était écrit, comme notre journal n'a pas cessé de le répéter.

Elle fait froid dans le dos, l'incapacité d'une grande partie de la classe politique à comprendre que la situation est dramatique, comme si elle vivait sur une autre planète, dans un monde de fantaisie. Le chiffrage des programmes des deux extrêmes donne le vertige, voire la nausée. Celui du Nouveau Front populaire a été concocté par de prétendus « économistes » (d'extrême gauche, il va de soi) et ressemble au catalogue d'une maternelle dont les enfants auraient joué à l'élection présidentielle : tout sera gratis pour un coût évalué par la Fondation iFrap à 233 milliards d'euros de dépenses supplémentaires par an, sans financements sérieux. La honte de la jungle ! Au fou !

Les « Front pop » osent tout et n'ont peur de rien, même pas de la banqueroute finale. Le RN, lui, a au moins compris que la crise de la dette est imminente. Chaque jour ou presque, il remballe plus ou moins une des propositions d'un programme jusque-là démentiel, mais on est toujours loin d'une vraie stratégie de remise en ordre des comptes publics. Pour l'heure, Jordan Bardella, son candidat à Matignon, fait penser, malgré son succès – relatif ou pas – annoncé, au capitaine d'un bateau en perdition. Pour éviter le naufrage, il écope, lâche du lest. Au moins n'est-il pas inconscient. Et les finances ne sont peut-être pas le pire…

Les antisémites sont revenus avec leur tête de Famille Addams et leur haine maladive du Juif, cette fois sous le label du Nouveau Front populaire. Avec les « exagérés » de la Révolution française, les « collabos » doriotistes de l'Occupation ou les braillards poujadistes de la IVe, revoilà tous les rebuts de l'histoire de France. En relisant La Tragédie du Général, de Raymond Tournoux (1), chef-d'œuvre absolu, qui nous fait revivre de Gaulle en vrai, on entend, proférées d'outre-tombe, les imprécations du grand homme contre les « politichiens ». Il y en a pour tout le monde et elles n'ont jamais été aussi actuelles : « Les farfadets de l'abandon ! Les trotte-menu de la décadence ! Les partisans du moindre effort ! Les malades de la capitulation ! Les émasculés ! Les guignols ! Les pleurnichards ! Les fuyards professionnels ! »

Si vous voulez vous remonter le moral, ruez-vous donc sur « La Tragédie du Général », parue en 1967 et que les éditions Perrin ont eu l'excellente idée de rééditer. Entre deux saillies sur ces « veaux » de Français, on glanera dans ce livre mille raisons d'espérer, alors que, sous la IVe République, avant que de Gaulle accède au pouvoir, le pays « chancelle au bord d'un abîme financier, économique et social » et que « les budgets sont des fictions » : « En France, dit-il, l'Histoire montre qu'une crise est toujours nécessaire pour que se produise une novation : voyez Clovis, voyez Hugues Capet. Le régime est inadéquat […]. Néanmoins, la France n'est pas finie, elle n'est pas tarie. La France nous enterrera tous. Voyez la jeunesse ! »

« Où est l'avenir ? ll est en nous », dit de Gaulle à Tournoux. « Voyez-vous, poursuit-il, il y a eu la Gaule, les Romains, les masses profondes des trombes ethniques, les ouragans barbares venus de partout, les ruées asiatiques surgies des steppes, les rafales du péril jaune, la paix, la guerre, les druides, l'Église, les clairières monastiques, les abbayes cisterciennes, encore les invasions… Tout passe… » Oui, mais rien ne lasse ni ne casse. « Les lignes de l'horizon restent immuables derrière la forêt gauloise, continue le Général. Tout recommence toujours… Allons ! Nous le savons bien. La France sera toujours la France. »

Que la France électorale ait l'air d'un grand machin disloqué, à la renverse, que les finances soient en capilotade et les intellects de beaucoup de politiques au-dessous du niveau de la mer, il n'y a pas lieu de désespérer. C'est souvent arrivé dans le passé et chaque fois un sursaut s'est produit, qui a tout relancé. Faisons confiance à ceux qui aujourd'hui, à droite, au centre ou à gauche, le préparent, loin des extrêmes, de leurs criailleries et de leurs promesses fumeuses.

 

1. « La Tragédie du Général », de Raymond Tournoux, avec une préface d'Éric Roussel (Perrin, 672 p., 26 €).